When doubt reveals an ally ft. Caleb

Son plan de travail croule sous un tas de papiers éparpillés, un gobelet de café encore fumant en son coin. La belle française constitue quelques dossiers en ramassant les feuilles volantes pour les rassembler à la bonne place. Lunettes sur son nez fin, c’est concentré, un crayon coincé entre ses canines, qu’elle lit et relit encore ses analyses pour les ordonner. Non sans froncer les sourcils sur son regard noisette, elle reste attentive aux autres employés qui semblent s’agiter sans raison aucune. Et pourtant, à travers les nombreuses vitres qui officient comme cloisons, elle relève ses iris presqu’ambres pour croiser un duo de costard-cravates qui pavane dans les couloirs du laboratoire. Souvent les visites pour s’assurer du bon déroulement des recherches, Charlie ne s’attarde sur les visiteurs seulement pour tendre l’oreille et, pourquoi pas, noter quelques nouvelles informations.

Parce que les doutes s’accumulent depuis quelques temps chez la française. Surtout depuis les derniers évènements qui ont ébranlé Amaranth Pharmaceutical. Trop de non-dits, trop de messes basses, trop d’inconnus qu’elle croise et trop d’activité dont personne n’est informé. Donc elle a commencé à fouiner, Charlie, par simple curiosité d’abord, elle a fait ses recherches, mais rien au cœur des laboratoires ne lui dévoilait quoique ce soit. Alors elle notait, la française, les jours, comme celui-ci, les noms qu’elle pouvait intercepter, les rendez-vous à la sauvette. Elle datait les visites, tentait de se faufiler au plus proche des conversations quand le moment l’y prêtait. Loin d’être la meilleure des enquêtrices, elle tentait pourtant de son échelle à creuser cette épaisse couche sombre qui faisait de l’ombre aux laboratoires, elle en était certaine. Aujourd’hui est l’un de ses jours semble-t-il. Elle coince le stylo entre ses doigts fins afin de le libérer de ses dents, et jette des coups d’œil à ces visiteurs derrière la vitre qui semble se diriger droit vers elle et ses collègues de recherche. Elle reconnait seulement l’un des deux visages, un responsable hautement placé, quant au second, c’est bien la première fois qu’elle le voit. Alors elle abandonne toute sa paperasse, toute ses données quand la porte s’ouvre plus loin. Elle fait déjà mine de se concentrer plutôt sur son ordinateur, où sont encore affichées ses dernières données scientifiques et tout un tas de courbes.

Et puis, il y a ce café, au bout de sa paillasse, sur laquelle elle se penche avec hâte, tentant le plus discrètement possible dissimuler son calepin sous ses documents, dans le même mouvement. Celui-là même où elle inscrit les moindres informations qu’elle peut agglutiner en vrac. Opération finalement ratée et avortée quand son gobelet se renverse sous son geste presque trop brusque et qu’il s’écrase au sol. Si la française voulait rester discrète, c’est raté. Et c’est non sans pester un parfait « Shit ! » -vieille habitude ancrée à New-York- qu’elle finit par se baisser dans sa blouse blanche pour réparer sa foutue gourde. Grimace contrariée qui retrousse son nez, la Kotov a déjà fait meilleure impression, pour dire vrai…

« J’espère que vous ne vous êtes pas brûlée avec ce café. », cette soudaine voix grave et proche a le don de surprendre la scientifique. C’est donc rapidement que la frenchie se redresse, un tas de papier absorbant entre les doigts avec lesquels elle vient d’éponger et d’effacer sa bourde. Le mug rigide dans la seconde main, elle le dépose sur un coin de la paillasse qui ne croule pas sous les feuilles alors qu'elle jette le reste dans la poubelle attribuée à son bureau. « Ça va merci. J’ai eu de la chance pour cette fois. », sa moue se détend entre un sourire et un retroussement de son nez sous ses lunettes, tic typique de la Kotov quand elle s’auto-flagelle pour ses maladresses ou  accuse d’autres malaises. Et elle doit tout de même bien redresser la tête, Charlie, parce que cet inconnu fait au moins une tête de plus que lui. Elle plisse doucement les yeux pour l’analyser, et c’est bien ce qu’elle pensait : elle ne l’a jamais vu ici. D’ailleurs, son nom lui est étranger lorsqu’elle l’entend filtrer à travers la voix grave à l’accent prononcé. Elle avise finalement la main large qui lui est tendue dans des présentations formelles et ne prend qu’un laps de temps pour se désinfecter les mains d’une pression de solution avant d'enfin répondre à la gestuelle de l’homme. « Enchantée Monsieur Faust… Charlie Kotov, gaffeuse professionnelle qui se pratique de temps en temps à la recherche scientifique. », le sourire s’étire sur son minois, déjà familiarisée avec ce genre de politesses de circonstance, non sans prétendre à une pointe d’humour pour sûrement se détendre elle-même. « Anglais donc. », qu’elle taquine de déduction tout en quittant finalement la main de l’autre. Puis un rire fin, pas réellement amusé, lui échappe tandis que sa silhouette pivote vers son plan de travail, préférant se soustraire au regard de ce nouvel arrivant. « Sur nos gardes, oui… J’ai préféré quitter New-York après.. Et bien, après ce malheureux événement. », le frisson dévale encore sa colonne vertébrale à ce souvenir. Des scientifiques avaient péri, comme des mois de recherches s’étaient envolés mystérieusement. Heureusement, la française ne travaillait pas ce jour-là, mais encore aujourd’hui, les questions ne cessent de tourner en boucle dans sa tête. Pourquoi a-t-elle eu autant de chance, aussi ? : celle-ci est réservée à ses moments plus sombres, une fois que la nuit avale la ville et qu’elle n’a plus que le silence pour lui répondre. Mais Charlie reste avant tout une scientifique : une femme rationnelle qui veut répondre à chacune de ses énigmes. Alors les états d’âme, elle les évite, sachant pertinemment qu’il n’y a pas de solution à ce genre de problème d’ordre émotionnel.

Et cette présence masculine se rappelle à elle lorsque ledit Caleb Faust se penche sur sa paillasse. Si Charlie a toujours été naïve, a toujours essayé de voir que du bon en chacun, depuis quelque mois ce comportement change nettement. La méfiance s’est glissée sous sa peau, surtout depuis le désastre de New-York : les rapports de recherche se sont corsés, les comptes rendus réclament plus de précision et de résultat, quelques locaux sont interdits à certains professionnels comme elle et les costards-cravates comme le brun multiplient les allées-venues dans les laboratoires. Bien sûr, la française reste septique devant ces nouvelles mesures. C’est donc de cet élan méfiant qu’elle commence à rassembler ses documents en vrac sous le nez de l’inconnu, sans même s’encombrer de discrétion, ses paupières légèrement plissées de suspicion à son égard. Secret professionnel, après tout, pas vrai ? « Je suis en train d’étudier deux génomes de type animal, en ce moment... », elle rassemble, tape les feuilles en un paquet et s’assure que son bloc-notes personnel est toujours bien dissimulé entre elles : si elle s’inquiète, c’est surtout à ce qu’on tombe sur ce dernier. Puis elle dépose le tas plus loin, assez pour que le regard bleu atteint d’hétérochromie partielle sectorielle -évidemment, elle a rapidement remarqué ses yeux vairons- ne se saisissent de rien. « Ceux de la méduse et de l’axolotl pour être plus exacte. Vous savez, ces p’tites créatures amphibiennes, genre de salamandre ! Ils présentent tous deux un gêne de régénération très complexe et étendu. La méduse est capable de se régénérer alors même que son corps est divisé en deux. L’axolotl, lui, est plus proche de nous qu’on ne peut l’imaginer, il est doté de deux paires de membres et d’une respiration pulmonaire. Pourtant, on a des milliers d’années de retard par rapport à lui, il peut régénérer un œil crevé ou perdu, par exemple, reconstruire ses membres mutilés ou amputés et même recréer des parties de son cerveau. C'est impressionnant, n’est-ce pas ? Vous imaginez ce qu’une telle faculté génétique pourrait nous apporter ?». De toute évidence, Charlie est passionnée par le sujet et d’autant plus excitée par les recherches qu’elle mène pour ce qu’elle pense être la cause médicinale.

De cet entrain fasciné, elle est même prête à ouvrir ses documents informatiques et à détailler un peu plus ses connaissances à l’homme. Mais rapidement elle se ravise, se retournant et  se plantant plutôt devant ce Caleb, une main posée sur sa paillasse, malgré le ridicule de sa taille. Son regard noisette se rétrécie finalement et jauge l’homme, alors qu’elle incline son minois, intriguée :  « Vous êtes scientifique, Monsieur Faust ? Je n’ai pas vu votre carte… ». La méfiance refait surface, en effet, malgré le timbre de sa voix qui reste poli et professionnel pour ne pasen venir à irriter le représentant. Elle ne sait finalement rien de ce simple visiteur qui n’a même pas pris la peine de préciser son rang au sein des fameux laboratoires Londoniens.