The Usual (Esther)

Neda glissa un regard appréciateur vers l’horloge en entendant la sonnette de la porte d’entrée rompre le silence. Pile à l’heure. Elle froissa dans son poing le post-it, son petit système de sécurité pour palier à ses problèmes de mémoire, qui lui rappelait son rendez-vous en savourant de savoir qu’elle n’en avait pas eu besoin cette fois. Même si la brune avait été totalement incapable de se rappeler la manière dont elle était entrée en possession de cette carte de visite, au moins elle n’avait pas oublié que quelqu’un venait aujourd’hui. À sa requête. On lui avait demandé d’envoyer des photos pour le programme d’une conférence au travail. Comme ce n’était pas prévu à la base, Neda s’était aussitôt retirée de l’événement en prétextant un changement d’emploi du temps. Parler de ce qu’elle avait pu tirer de babioles millénaires sous le couvert de la science était une chose, exposer son visage aux appareils photos numériques pour que l’internet le garde à jamais en était une autre. Malgré tout, l’idée était restée en suspens. Pour être tout à fait honnête, Neda n’avait jamais rien pu faire contre son éternelle coquetterie. Son visage avait beau traverser les siècles inaltéré, protégé des cicatrices ou des traces du temps – voire, comme ils le disaient à la télévision, des imperfections –, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir envie de le figer régulièrement. Un peu comme une manière de s’assurer que les autres la voyaient bien telle qu’elle se percevait dans son miroir et qu’elle ne souffrait pas de vues de l’esprit. Et puis, Neda ne se lasserait jamais de cette sensation de triomphe qui la remplissait dès que quelqu’un s’extasiait sur sa prétendue ressemblance avec sa mère / tante / grand ou arrière grand-mère (selon les cas) en regardant de vieilles photos d’elle. Les Mortels avaient quand même un talent fou pour ne pas voir ce qui était sous leur nez lorsque cela ne correspondait pas à leurs certitudes.

Maintenant qu’elle avait fait le tour, l’idée de se faire tirer le portrait lui plaisait bien. En plus, ce n’était pas comme si elle le faisait tous les quinze jours ! Enfin... il ne lui semblait pas. Une fois de temps en temps ne lui ferait pas de mal, songea-t-elle pour s’en convaincre à nouveau en marchant vers la porte d’entrée. Comme toujours, elle accueillit le nouveau visage derrière la porte avec une impression de déjà-vu qu’elle écarta par la force de l’habitude. La brune avait vu tellement de combinaisons de visages que tous lui paraissaient familiers. À l’exception notable des visages asiatiques. Neda avait passé si peu de temps en Asie que son œil n’était absolument pas exercé. Ce serait peut-être une bonne raison de rendre visite à Lupe, d’ailleurs. Ses impressions de déjà-vu empiraient ces derniers temps et ce n’était pas pour lui plaire. « Bonjour ! Merci d’être venue jusqu’ici. Je suis Neda, c’est moi qui vous ai téléphoné. » L’accueillit-elle avec un sourire. Elle lui tendit la main et prit la sienne un moment avant de s’effacer pour la laisser entrer. « Entrez, je vous en prie, ne restez pas dans le froid. » Cette impression de la connaître la saisit de nouveau en la voyant de plus près. Son état ne s’interrogeait vraiment pas, décidément. « Est-ce que vous voulez boire quelque chose ? Un thé ? Café ? Eau ? Je dois aussi avoir des boissons plus corsées. »