Le gala de Sadih Manda [PV Esther]

Le gala de ce soir s'annonçait comme particulièrement cocasse. L'organisatrice de l'événement, Sadih Manda, avait convié une cinquantaine de mannequins et de spécialistes de la mode pour promouvoir sa nouvelle parade : laquelle était basée sur la quasi-nudité. Des sous-vêtements quasi-transparents, voir transparents complètement, pour hommes et pour femmes, qui devaient normalement témoigner d'une libération des complexes au Moyen-Orient. Car oui, Sadih Manda était une femme israélienne, et donc bien au fait que dans cette région du monde, il était compliqué de pouvoir parler de libération des mœurs.

Assis dans un coin de la salle, près des rangs de photographe, Lowen notait plusieurs choses à toute vitesse dans son calepin. Quelques paparazzis, à côté de lui, préféraient pointer leurs appareils vers autre chose que la scène illuminée. En effet, ils ne cessaient de jeter des coups d'oeil et de prendre des clichés toujours plus étranges de Manda, qui se tenait dans une tribune sur-élevée aux côtés d'un homme à l'air peu commode. Et par peu commode, Lowen sous-entendait dégoûtant : chic costume, un verre à la main, une main bien baladeuse, et surtout, ce sourire arrogant de mortel riche au-delà du possible.

Il prit de nouvelles notes, pendant que la vingt-quatrième mannequin sortait sur la piste. Une femme, maigre et plate, arborant un ensemble de sous-vêtement si transparent qu'on aurait cru qu'elle n'en portait tout simplement pas.

Le bruit d'un appareil photo à sa gauche le fit tourner le regard. Voilà qui semblait plutôt sortir de l'ordinaire ! Une femme, grande et élancée, s'intéressant à l'événement plutôt qu'aux ragots, dans ce milieu où quatre-vingt quinze pourcents des photographes étaient des hommes. Et qui plus est, des mecs petits, moches et probablement avides du moindre sou. Des mendiants, pourrait-on dire.

Lowen se rapprocha un peu, mais pas trop pour éviter qu'elle ne se sente collée. Il se mit à parler, haussant juste assez la voix pour se faire entendre malgré le volume assourdissant de la musique.

« Bien le bonsoir ! Vous devez être la première que je vois prendre des photos intéressantes depuis le début de ce show. »

Il prit de nouvelles notes sur son calepin. Essentiellement, la description de la femme. Grande, élancée, le visage fin et les joues légèrement creusées. Cheveux blonds et courts, un maintien droit. Une attitude de quelqu'un de sérieux et d'appliqué dans son travail.

Une vraie photographe, donc.

« Je ne vous ai jamais vue à ce genre d'événements, alors que je pense pouvoir dire que j'connais bien les petits toutous qui sont venus prendre des photos de Manda. Vous travaillez pour qui ? Indépendante ? »

Conscient qu'il avait la même approche d'un dragueur ? Sûrement. Est-ce qu'il s'en préoccupait ? Pas le moins du monde. Il n'était pas idiot au point de croire que les mortels ne pouvaient pas être dignes d'intérêt. Certains avaient un vrai talent, une vraie personnalité, mais ils étaient rares. Et si cette femme en était une, tant mieux. Sinon, il ne se priverait certainement pas de la rabaisser comme il le fallait.

Une mannequin l'a invitée à être photographe à cet événement. Esther l'a photographiée il y a quelques mois pour une séance. Elle a parlé d'elle et a reçu cette invitation qu'elle n'a pas pu refuser. Il est vrai qu'elle refuse rarement une invitation photographique. Elle s'est toujours dit qu'elle voulait tout prendre en photos, alors refuser, même les demandes les plus simples ou les plus étranges, serait contradictoire. Elle refuse surtout lorsque le délai ne fonctionne pas. Elle ne peut pas être partout en même temps. Là, cette invitation datant d'il y a quelques semaines, elle a donc pu s'arranger sans problème pour être à cet événement assez particulier. Faire un défilé, de la lingerie de cette sorte, avec l'endroit d'où elle vient et les mœurs qu'il y a... elle n'a pas peur et c'est ce qu'il faut. Esther aurait bien aimé que la religion ne soit plus un problème, surtout après ce qui est arrivé, mais... ce n'est pas le cas. Elle ne sait pas trop si c'est plus fort ou moins fort, elle sait juste que c'est regrettable que cela prenne toujours de la place. Elle tire donc son chapeau transparent (pour rester dans le thème de ce défilé) à Sadih Manda.

Elle ne remarque pas trop les autres photographes, à part pour se dire qu'ils ne savent pas très bien visée, occupée à travailler, à capturer l'image des différents mannequins tout en se demandant comment ils allaient pouvoir publier le tout dans un magazine tout public. Il n'y a pas grand-chose de caché et cela lui donne envie de manger en voyant tous ces hommes et toutes ces femmes un peu trop longilignes. Elle n'est pas vraiment mieux, mais après deux ans dans divers camps, plus quelques années d'alcoolisme où manger était rarement sa priorité, elle ne voit pas trop comment elle aurait pu reprendre un peu de poids. Là, eux tous, ils font cela de manière volontaire et elle ne comprend pas trop. M'enfin, c'est leur choix suppose-t-elle. Elle sait que parfois ce n'est pas toujours facile, qu'il y a des maladies, mais... cela ne l'empêche pas de vouloir manger quelque chose de vraiment gras et de pas du tout santé. Plus tard.

Esther relève la tête lorsqu'elle pense qu'on s'adresse à elle, avec toute cette musique c'est plutôt difficile d'en être certain. Il y a un jeune homme qui continue de parler. « Oh... je pense que si Sadih Manda aurait voulu être sur les photos, elle aurait fait partie du défilé. » Elle fait un mince sourire. La créatrice a donc le droit à une certaine intimité, même si ses « collègues » ne sont pas trop d'accord avec cela. « Indépendante. Je viens pas souvent à Toronto. » Son accent l'indique. Bien qu'elle parle anglais de manière très fluente, qu'elle peut adopter plusieurs sortes d'accents en cas de besoin (pas tous, elle travaille encore là-dessus mais elle est capable d'en imiter plusieurs), parfois elle ne cache pas ses origines, n'en voyant pas trop l'intérêt. Elle vient de Vienne, parle allemand à la base et cela peut s'entendre ; tout dépend de l'oreille de l'interlocuteur. « Et vous ? » Elle ne se rappelle pas l'avoir déjà vu quelque part, ce qui n'est pas anormal puisqu'elle reste rarement longtemps au même endroit.

Lowen esquissa un sourire, ou plutôt un rictus, laissant clairement échapper son manque de foi concernant Sadih.

« Elle, monter sur scène ? Sans vouloir être sexiste, je pense que ça fait longtemps qu'elle préfère être montée que monter elle-même sur scène. »

La grossièreté et le manque de respect ne l'étouffait pas, d'autant plus qu'il n'était pas forcément dans le faux. Il était de notoriété publique que Sadih Manda avait une vie particulièrement exotique quand elle n'était pas occupée à soutenir des causes nobles à travers son métier. Comptait-elle réussir à impressionner assez l'homme à ses côtés, ce soir, alimentant un peu plus les ragots sur elle ? Non pas que ça ait une quelconque importance.

Lowen se fichait bien de ça, car il avait trouvé un nouveau centre d'intérêt.

« Moi, je travaille pour un journal de San Francisco. On a quelques uns des mannequins qui viennent de la ville, donc on m'a porté volontaire pour venir couvrir l'événement. Deux mecs et une femme, si ma mémoire est bonne. En vérité, c'est le genre de galas où je n'ai pas trop l'habitude de venir, mais je me dis qu'il peut être de bon ton de diversifier un peu ses horizons. Ça me change de devoir dire que la circulation est mauvaise en périphérie, que tel gang a attaqué tel gang, ou que monsieur Jason Radnek, fils d'immigré tchèque, est persuadé que les dieux marchent parmi nous. »

Etait-il besoin de préciser qu'il avait évidemment prononcé ces mots à dessein ? Il en avait rencontré beaucoup, au cours des siècles, des énergumènes persuadés que les dieux païens de jadis marchaient toujours parmi les mortels, qu'ils avaient simplement perdus leurs pouvoirs et leur influence. Dans la pratique, ce n'était pas peut-être aussi faux qu'on pourrait le croire, mais les véritables dieux étaient les membres de l'Ordre de l'Hydre. Les futurs maîtres de cette planète.

Lowen nota quelques indications supplémentaires sur son calepin, avant de tendre la main à la jeune femme.

« Samuel Lowe. Vous vous plaisez dans ce genre d'événements ? Je parie que beaucoup de ces photographes adoreraient vous voir sur la scène avec les mannequins, vu votre tour de taille. »

Incisif, à la limite du cruel et de l'impoli. Ainsi était Lowen. Les mortels étaient susceptibles, et c'en était souvent amusant de leur faire ensuite tourner la tête et changer d'avis.

Le journaliste ne semble pas être d'accord avec elle... enfin, peut-être que oui tout compte fait. Il part sur un sujet totalement différent, ne répond pas vraiment. Elle fronce des sourcils en l'entendant répondre, pas très certaine de ce qu'elle devrait penser de ce qu'il vient de dire. « Tant qu'elle s'amuse, elle peut bien faire ce qu'elle veut. » Esther ne voit pas pourquoi elle devrait la juger sur le comportement qu'elle peut avoir, surtout avec le comportement que elle, elle peut avoir. Ils sont dans une époque théoriquement libre à ce sujet. S'il n'est pas content il n'a qu'à se faire monter aussi, problème réglé, non ? Elle ne pense pas que ce soit aussi simple que ça. Elle hoche ensuite la tête, n'indique pas qu'elle aime bien San Francisco. Trop voir de pays alors qu'elle est aussi « jeune » ça peut faire louche. Habituellement, elle essaie de s'en tenir aux trois quatre endroits de mentionnés. Juste au cas. Elle n'a rien contre les humains, mais elle n'a pas non plus envie d'être traquée car quelqu'un trouverait quelque chose de trop louche. Ou qu'il ferait partie du Conclave, donnant un indice. Elle se met ensuite à rire, doucement. « Il consulte un psy ? » demande-t-elle. Des dieux qui marchent parmi eux. Elle ne le pense pas, elle en aurait sûrement rencontré ou un Immortel plus âgé lui en aurait parlé suppose-t-elle. Ou bien c'est réservé à ceux qui ont plus d'un siècle. Elle a dépassé cet âge, mais si on enlève ses années de vie humaine, elle ne l'a pas encore atteint. Elle est relativement jeune face à ceux qui ont vécu des milliers d'années. Elle n'est pas non plus la plus jeune.

Il se présente ensuite, la questionne. « Esther Fisher. » Elle serre la main qui lui tend. « Je préfère être derrière la caméra que devant. » Elle hausse les épaules, elle n'a aucune envie d'être devant. « Et j'aime bien ce genre d'évènement... enfin, là ça manque de couleurs. » Elle préfère les défilés haut en couleurs... là se sont les différentes couleurs du corps humain qu'il y a. Elle reporte son attention sur la scène pour pouvoir prendre des photos des nouveaux modèles, qui ne se voient pas vraiment. « La pub va être en pixel... ça va donner une drôle d'idée pour la lingerie. » Lingerie pour les fans de jeux vidéos. Elle sait qu'il ne va pas y avoir que des pixels partout, mais pour le grand public, c'est autre chose.

Lowen fit la moue un bref instant, avant de finalement se dire que c'était un point de vue comme un autre et qu'il fallait plutôt se préoccuper d'autre chose. Cette Esther Fisher – dont le nom ne lui disait absolument rien – avait quelque chose d'intrigant qui poussait clairement le jeune homme à essayer de la connaître un peu plus pour découvrir son secret. Il avait l'impression qu'il y avait quelque chose à connaître, et qu'il pouvait le découvrir aisément. Alors, au travail.

Première étape, faire la conversation. Ça, c'était facile.

« Je ne dirais pas que ça manque de couleurs. Regardez cette femme, par exemple : sa peau d'ébène brille sous les projecteurs, signe qu'on a appliqué probablement une bonne dose de maquillage sur son visage. Des nuances viennent s'appliquer au niveau de ses formes, et à la plante de ses mains et de ses pieds. Les sous-vêtements sont légèrement opaques, donnant une impression de gris. Je pense qu'on a déjà plusieurs couleurs, là, non ? »

Avec un sourire malicieux digne d'un farfadet, il poursuivit :

« Et d'autres sont blancs caucasiens, tandis que d'autres encore sont asiatiques. Tout cela conduit à des nuances de couleur, non ? Et en plus de ça, chacun porte un prototype de sous-vêtement différent, plus ou moins transparent, qui donne un effet différent sur chaque corps ; encore d'autres nuances à apprécier pour l’œil exercé. Mais... je chipote, je vois ce que vous voulez dire. Après tout, vous êtes photographe, vous savez aussi bien que moi que même la plus terne des images recèle une richesse colorée. »

Il griffonna de nouvelles choses dans son calepin, notamment le nom de la femme.

« Cela dit, pour revenir à votre histoire de pixels, peut-être que ça pourrait être le point de départ d'une toute nouvelle marque, vous ne croyez pas ? Et ça ferait un carton ! Tous ces... gens... qui passent leur temps sur un écran, ils en seraient sûrement ravis ! Tous ces enfants élevés à l'Internet pourraient trouver ça drôle et apprendre plus tôt ce qu'est la nature humaine. »

Il guetta une réaction. Il avait volontairement parlé de « gens » avec un léger mépris dans la voix, laissant transparaître son dégoût profond pour certains mortels. Pour la plupart des mortels. Pour quasiment tous en fait. Rares étaient les exceptions, car rares étaient ceux connaissant leur place ou leur importance réelle.

Esther prend d'autres photos pendant que Samuel explique son point de vue à propos du manque de couleurs. Elle opine la tête de temps à autre, elle ne s'est peut-être pas très bien exprimée, ne pensant pas à la diversité des modèles, mais vraiment plus aux tenues et à leur transparence presque identique. Défilé de lingerie, elle a pensé plus à ceci qu'à ceux qui portent la dite lingerie. Ils viennent avec, pourrait en être une selon le journaliste (et d'autres), mais elle est concentrée sur les sous-vêtements. « Vous avez raison... il y a plein de couleurs amenée par les lumières et le maquillage... mais je sais pas. Déjà, je pense pas que ceux qui vont acheter cette lingerie vont avoir la bonne luminosité ou avoir le bon maquillage... » Ce qui va enlever une partie de l'esthétisme colorée qu'il y en ce moment, qui ne va pas donner le même effet... comme souvent n'importe quel vêtement porté sur le podium. En même temps, la mode c'est une sorte d'art. On ne porte pas l'art : on le regarde. La créatrice a sa vision et peut-être que le fait que personne ou presque ne porte sa vision ne lui dérange pas. Esther ne peut pas trop dire, elle ne connait pas Sadih Manda. « Puis en fait, j'aime bien le jeu de transparence qu'il y a avec de la lingerie plus colorée. Qui cache un peu, mais pas trop, qui laisse deviner, avec assez de place pour l'imagination tout en donnant une bonne idée... » M'enfin, c'est ce qu'elle aime, elle. Elle se doute bien que ce n'est pas le cas de tout le monde. « J'imagine que là... c'est juste pas ma palette. » Elle pince ses lèvres l'une contre l'autre pour éviter de rire à ce qu'elle vient de dire. Elle étouffe son rire en toussant.

Des sous-vêtement pixels... après tout il y a bien des sac à dos qui donnent l'impression d'être tirés de manga, alors pourquoi pas ? Minecraft est un jeu assez populaire et pourtant, a un esthétisme assez carré. Elle n'a jamais joué (elle a beau se tenir à jour niveau technologie, elle est loin d'avoir tout testé), mais le sait. Elle hausse les épaules. « Ça devrait prendre preneur... vous devriez proposer votre idée. » Elle, elle n'a aucun intérêt à ce qu'une de ses idées la mette en lumière. « Et je pense pas qu'ils aient besoin de sous-vêtements pour connaître la nature humaine... ils ont Internet comme vous dites. C'est plus comme quand on était petit. » Elle suppose, il semble avoir environ le même âge qu'elle physiquement parlant, un peu plus jeune peut-être. Quand le wifi n'existait pas, que ça bloquait le téléphone et que ça n'était pas dans tous les foyers. « Tous ces gens... vous êtes un des rares qui n'est pas touchés par ça ? Je vous admire. » La plupart des personnes disent « on passe tellement de temps ». Même elle, quoi de plus simple que de regarder quelques films ou quelques épisodes d'une série de façon régulière ? Elle adore sortir, découvrir, explorer, s'amuser, sauf qu'elle est capable (parfois), de rester à ne rien faire.

Se passant une main dans les cheveux d'un air désinvolte, Lowen adressa un sourire taquin à Esther.

« Ma chère, quand vous aurez passé autant de temps que moi à observer ce que l'Humanité fait ou ne fait pas, ce qu'elle dit et ce qu'elle ne dit pas, ce qu'elle aime et ce qu'elle n'aime pas, je peux vous assurer que vous verrez aussi les choses de cette manière. Je passe du temps lié toute cette technologie, bien sur, mais il ne m'est pas trop difficile de m'en séparer. Regardez ce mec là-bas, avec son costume marron de pouilleux. »

C'était Richard Jones, un journaliste médiocre de Miami. Pauvre, à peine capable de se curer le nez tout seul, et ayant des relations très loches avec sa sœur séduisante. Laquelle se tenait précisément à côté de lui.

« Vous le voyez, avec son téléphone dans une main et son notebook dans l'autre ? Il se sert de toute cette technologie pour travailler, car il ne s'imagine pas faire autrement. Il pense que l'ère moderne dans laquelle nous vivons vaut bien la peine de devenir un esclave de cette technologie. Alors que moi, avec seulement un calepin, un stylo, je suis capable de vous tracer un descriptif de toute cette farce de gala, de vous-même et de la moitié des gens autour de nous. C'est ça, la différence, ma chère Esther. Les « gens » sont prévisibles et faciles à observer. Moi pas. »

Pure arrogance, mais il savait se donner aussi ce côté « vérité ». Il avait totalement raison quand il disait tout cela, et même si la blonde ne le voyait pas ou n'était pas d'accord, il s'en moquait. Les aveugles étaient monnaie courante dans ce monde.

Les lumières changèrent brusquement, alors que le dernier mannequin repartait. Une annonce fut faite, indiquant que Sadih Manda allait elle-même faire une apparition sur scène pour un petit discours. Evidemment, tous les paparazzis avides de clichés tendance se préparèrent alors à mitrailler l'organisatrice de photos et d'invectives visant à lui arracher un cliché des plus rentables. Métier de merde.

« Ah, nous allons assister à un grand moment ! La lie de l'Humanité, assise juste à nos pieds, qui va se ruer sur un morceau de viande telle une charogne. »

Au sourire que le journaliste lui fait, Esther s'attendait à une réponse légère, un peu humoristique ou encore cabotine... bref, elle ne s'attendait pas du tout à ce qu'il lui dit. Elle le regarde, cligne des yeux. Il est... comme elle ou bien il est vraiment prétentieux (ce qui ferait en sorte qu'il serait Immortel et prétentieux) ? Elle ne sait pas, il donne de plus en plus cette impression de prétention. Elle ne compte pas lui demander et va donc jouer à celle qui ne connait pas les Immortels et être niaise, un peu blonde sur les bords même. « Vous êtes plus proche du 40 que du 30 ? J'ai besoin de savoir ce que vous faites pour votre peau. » Parce qu'il a l'air bien jeune. « Faut être capable d'en décrocher, oui. » Tant mieux pour lui donc s'il arrive à le faire plus facilement que la plupart des autres (humpf). Elle regarde le type, ne sait pas trop qui c'est, elle n'est donc pas certaine de bien le regarder. Surtout que presque tout le monde à son téléphone dans la main ainsi qu'un notebook. « J'imagine que vous en êtes capable... mais ça va prendre plus de temps de cette façon. » fait-elle, essayant de ne pas se mettre à rire. Les traitements de texte par la voix existe, autant les utiliser pour pouvoir décrire la moitié de la salle. « Et vous me décririez comment ? » Elle est curieuse, surtout qu'ils ne se connaissent pas. « Je vous trouve plutôt facile à observer... vous êtes pas invisible. Vous êtes un fantôme ? » Ce qui expliquerait tout le temps qu'il a eu pour observer l'Humanité.

Il se remet à parler... et elle aime encore moins ce qu'elle entend. « Je vais aller rejoindre la lie de l'Humanité comme je fais partie de l'Humanité. » Et qu'elle est probablement plus supportable que lui, peu importe leur défaut. Elle se met donc à marcher en direction des autres afin d'être un peu plus proche de la designer.

Partant d'un léger rire, Lowen est assez surpris – et déçu – de voir la jeune femme partir et le laisser en plan comme ça. Il n'aime pas qu'on l'ignore, bien sur, et encore moins lorsqu'il sait avoir raison à propos des mortels et qu'on le rejette ainsi, comme un morceau de tissu usagé. Peut-être qu'au final, il a surestimé l'intérêt qu'il fallait porter à cette Esther, et qu'elle n'est au final qu'une humaine comme les autres. Parfaitement incapable de se rendre compte de ce qu'elle est, de ce que ses semblables sont.

Mais pour autant, est-ce que son jeu va s'arrêter là ? Oh non ! Il a bien mauvaise idée, et il la délecte d'avance. L'heure est venue de foutre un peu plus d'ambiance dans cette fête improvisée et complètement ennuyante. Sortant ses lunettes de soleil, il les plaça sur son visage, puis se décala légèrement pour parler à un quadragénaire à l'air frustré.

« Hey, vous allez bien ? »

Il ne lui laissa pas le temps de répondre. Persuader un mortel comme il allait le faire, c'était un art parfois compliqué, et il valait mieux ne pas leur laisser l'occasion de répliquer.

« Attendez, je vous reconnais ! Vous êtes ce gars qui a fait la une, la semaine dernière, parce que les paparazzis ont diffusé des images de vous trompant votre femme. Bon, j'avoue, je condamne un peu l'action mais... est-ce que ça valait la peine de ruiner votre vie ? »

Il passe, en toute simplicité, un bras autour des épaules de l'autre. Lequel est complètement déboussolé... et soumis à ses mots.

« Je serais vous, j'irais leur en coller une. Voir deux. Voir trois ! Franchement, ils méritent que ça, pas vrai ? Et puis, c'est pas comme si ils allaient s'arrêter. Manda, Jones, tous les gens avec quelques secrets ici, ils vont ruiner la vie de tout le monde, exactement comme ils ont ruiné la vôtre. Ce ne serait que justice que quelqu'un leur colle un poing dans la gueule, non ? »

« Vous avez raison. Quelqu'un doit agir... »

Et voilà le travail.

Avec un grand sourire aux lèvres, Lowen resta tranquillement assis là où il était. Il avait agi en toute discrétion, le regard de tout le monde tourné vers la scène où Sadih faisait son apparition. Mais le quadragénaire désabusé et trompeur fit le travail à merveille : incapable de se rendre compte qu'il avait été marabouté, il s'approcha des paparazzis, et donc d'Esther, et en prit un par l'épaule. La suite... ô joie ! Quelle calamité !

Une bagarre se déclencha, entre plusieurs photographes à scandale et l'homme désabusé, au point que Sadih décida de prendre la poudre d'escampette et que les choses tournèrent au vinaigre quand la sécurité se mit à intervenir à coup de matraques. Ça devenait très chaud – trop chaud même ! - et Lowen s'approcha donc simplement d'Esther pour la tirer légèrement par le bras à l'écart.

« Alors, n'avais-je pas raison ? Vous avez vu ce qu'il peut se passer, avec juste quelques bons mots et un peu de persuasion ? »

C'était l'atout de la dernière chance. Soit elle était spéciale, et comprendrait le message, soit elle était débile et inutile. Et pour le Celte, il n'y avait pas d'autre alternative. Il ne supporterait pas que son plan tombe à l'eau.

Esther reste tranquille, Samuel ne vient pas la déranger. Ouf. Elle arrive très bien à faire son travail en parlant, mais de là à devoir le supporter... c'est une autre histoire. Elle ne sait pas trop pour qui il se prend et elle ne veut pas le savoir non plus. Le début de conversation s'est modifié vers une autre type de conversation à laquelle elle ne s'attendait pas trop. Elle pensait que cela resterait comme ça. Elle se trompait. Une bagarre se déclencha pour elle ne sait trop quelle raison et elle se mit à reculer. Elle sait se battre, n'aime pas vraiment le faire mais peut le faire en cas de besoin. C'est plutôt le résultat d'une bagarre qu'elle n'aime pas trop : les blessures. Elle préfère éviter d'en avoir avec la vitesse à laquelle elle peut guérir. Des agents de sécurité la dépassèrent dans l'autre sens, allant rejoindre ceux qui ont choisi ce moment pour montrer qu'ils ont de la poigne, pour elle ne sait trop quelle raison. Raison qui ne tarde pas à se faire savoir en la présence du journaliste. Il la tire par le bras et explique que c'est lui qui a pu provoquer cela. Elle cligne des yeux. « Et en déclenchant ça vous montrez votre supériorité c'est ça ? » dit-elle, blasée, pas du tout impressionnée par ce qu'il vient de provoquer. C'est enfantin, immature et stupide trouve-t-elle. Et elle ne comprend pas ce qu'il veut lui prouver non plus. Que les humains se laissent influencer facilement ? Il pense qu'elle n'a jamais regardé les informations ? Qu'elle est née hier et qu'elle a grandi d'un seul coup ? Ce n'est pas le cas. Elle est une Immortelle, pas une Taltos (enfin, il lui semble que c'est un être qui grandi d'un seul coup, cela fait un moment qu'elle n'a pas lu ce livre). Elle sait très bien que les hommes peuvent être influencés par quelques mots, elle en a été une des victimes puisqu'elle est née juive. Ce qu'il ne sait pas, surtout qu'elle ne pratique plus depuis sa renaissance (déjà qu'elle n'a jamais été une fervente pratiquante), n'empêche, un homme à en influencer bien d'autres. Ce n'est pas nouveau.

Elle secoue la tête, soupire, lève les yeux au plafond tout en rangeant son appareil photo dans son sac. Elle n'en a plus de besoin et elle ne compte pas prendre des photos de ce qui est en train de se passer. Oh, cela trouverait sûrement preneur, sauf que ce n'est pas son genre. « Moi tout ce que je vois c'est la reine du lycée qui s'ennuie... ou qui veut se venger. » Ce qui lui fait penser à où elle a un peu plus vu ce genre de comportement. « Vous avez un peu trop souvent regardé Mean girls je pense. » Niveau originalité, c'est donc zéro. Il y a sûrement d'autres films dont c'est plus au moins le sujet, mais elle pense que c'est le plus connu des dernières années.

Lowen pousse un soupir audible et non dissimulé, alors qu'il voit bien que la blonde lui fait de la résistance. Est-elle donc si crédule que ça ? Pense-t-elle véritablement qu'il ne fait ça que pour s'amuser ? En un sens, oui, c'est aussi pour ça qu'il le fait, mais peut-être qu'au fond, il le fait aussi pour essayer de prouver à d'autres qu'il a raison, non ? Et comment fait-elle pour ne pas le voir ?

Sa déception égale son questionnement.

Il se serait donc trompé ? Il aurait pensé, espéré même, que cette femme au port fier et au visage fin allait être comme lui, et ce serait fourvoyé lamentablement ? Le coup était dur à digérer, car il ne se trompait pas souvent et n'aimait pas cela. L'échec était synonyme de faiblesse, et il fallait qu'il reste imperturbable s'il voulait être meilleur que les mortels. Son ego en avait pris pour sa gouverne, et il allait falloir réparer ça.

« Pour tout vous dire, j'espérais une autre réaction. Mais je vois bien que ça ne semble pas atteindre votre esprit. »

Il eut un sourire triste – faussement triste – et haussa les épaules. Il fouille dans une de ses poches, et en sort une paire de lunettes de soleil. Il les place sur son visage, avant de cette fois adresser un sourire moqueur et plein d'humour à la jeune femme :

« Enfin bon, toute bonne chose a une fin, pas vrai ? J'ai essayé de voir si vous aviez un peu plus de jugeote et d'esprit que les autres, mais malheureusement, vous avez des principes froids. Tant pis ! Je vous ai surestimée, et je vais donc m'en aller. Si jamais vous avez l'intention de changer d'avis, ou de vous rendre compte qu'au final, le bas peuple ne mérite pas la considération que vous lui accordez, n'hésitez pas à me contacter. Vous avez mon nom, mon visage, et vous savez où je bosse. »

Il se recula de quelques pas, tournant la tête vers un mortel qui passait à côté.

« Le gars de la sécurité a insulté votre mère. Allez donc le corriger. »

Le mortel, hypnotisé, s'empressa d'aller obéir. Pendant ce temps, avec une légère révérence moqueuse et un sourire goguenard, Lowen tourna les talons et abandonna Esther au beau milieu d'une bagarre renouvelée.

Et tant pis si, au final, elle n'était qu'une mortelle aussi banale que les autres !

Samuel n'a pas l'air content. Ce qui contente donc Esther, satisfaite qu'il ne le soit pas. Elle aime apprendre à connaître les autres, mais elle a quelques limites. Elle pensait que cela se serait terminé là, mais et il est revenu, elle a reparlé, toujours pas impressionnée. Elle ne rajoute rien lorsqu'il parle, il va toujours avoir raison. Aucun autre point de vue n'est bien pour lui, il est meilleur que tout le monde après tout. En cas de besoin, elle peut le contacter car elle sait qui il est. « J'ai déjà oublié. » lui fait-elle savoir. Il est pas si intéressant que ça après tout. Ce n'est pas exactement le cas, mais elle va tout faire pour que cela puisse l'être. Elle ne pense pas que cela va être très compliqué. Elle a simplement a rencontré. Quelques personnes au cours des prochaines heures, savoir leur nom et leur métier et ce petit pépin devrait être réglé. Il parle à une autre personne et cette dernière réagit beaucoup trop fortement. Il se fait très pers... oh ? Il serait... un Immortel ? Avec le don de persuasion ? Il n'a aucun scrupule à l'utiliser, pas comme elle. Raison pour laquelle elle ne l'utilise presque pas et qu'elle ne le contrôle pas très bien. Et bien. Elle l'aime encore moins alors. Elle ne veut rien faire avec lui. Encore moins. Tout compte fait, cela va être plus compliqué qu'elle ne le pensait de l'oublier à présent qu'ils ont un point commun. Elle le regarde, peut-être un peu trop longtemps, surprise. Elle revient à elle lorsqu'elle se fait pousser par quelqu'un qui vient de recevoir un coup. Elle l'aide à se relever et l'incite à se diriger vers la sortie plutôt que de continuer de se joindre à tout cela. Rien de bon va sortir de là. Il commence par refuser, mais il s'est foulé la cheville et la suit, alors qu'elle évite le plus possible les autres qui commencent à aller dans toutes sortes de direction. La police ne devrait pas tarder à s'en mêler d'après elle, les agents de sécurité ne vont pas suffire.

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