Alors on danse - Aonghas

Le reste de la nuit passé comme elle avait commencé : avec de l'alcool, des clopes et toujours plus de ses "encore" murmurés. Et l'immortel avait été comblé, bien plus de fois qu'il ne l'avait pensé en quittant le bar avec lui. Au milieu des extases à répétition, ne même plus penser à ce qui l'embêtait, à ses visions de papillons, juste donner son corps et sa voix pour l'autre. Dont il ignorait toujours le nom. Pas très important, probablement pas en tout cas, il lui demanderait plus tard. Pour l'instant, la seule chose dont il était capable, c'était respirer, essayer de calmer son palpitant qui s'affolait à en crever. Pas que ça aurait été très grave si il en était mort, ça aurait sans doute été une de ses plus belles morts. Mais ça aurait pu être emmerdant si l'autre le remarquait. Aucune idée de l'heure qu'il était. Aucune envie de le savoir. Peut-être aperçu vaguement une lumière par la fenêtre, mais ça ne voulait pas dire grand chose. Et puis plonger finalement dans le noir, dans l'inconscient, probablement dans le sommeil sans même réellement s'en rendre compte. Pas de rêve étrange pour une fois, l'esprit bien trop fatigué pour rêver, pour penser, pour faire quoi que ce soit d'autre que se reposer.

Quelque chose qui l'avait réveillé, aucune idée de quoi. Peut-être un rayon de soleil, peut-être un bruit au-dehors. Le corps s'était un instant recroquevillé avant de s'étirer longuement en se tendant dans le lit. Et en bougeant les bras, il avait remarqué qu'il était tout seul dans ce lit. Cela lui rappelait les bribes de la dernière fois. Allait-il encore se faire envoyer sur les roses cette fois ? Il ne se souvenait que de cela. Et d'avoir oublié son manteau. Une main s'était levée pour aller frotter le visage et passer dans les cheveux, les agiter un peu, les remettre en place vaguement pour qu'ils ne lui tombent pas devant les yeux. Et il s'était redressé. Personne autour, juste le vide de la chambre et le murmure de Soho à l'extérieur de l'appartement. Il avait soupiré, pas la peine de chercher ses vêtements des yeux, ils n'étaient pas dans cette pièce. Pas la peine de chercher non plus si il n'y avait pas un paquet de clopes, il trouverait cela en retrouvant ses vêtements. Et il s'était levé réellement pour arpenter le reste de l'appartement. Heureusement qu'il était immortel, que la fatigue, la douleur, les crampes ne le marquaient pas trop. Juste un peu ailleurs, encore dans les brumes du sommeil, des souvenirs de cette nuit, bien plus tenaces et précis que ceux de leur rencontre passée.

Passer dans l'appartement sans faire attention, pour aller jusqu'à la cuisine où il avait retrouvé une partie de ses vêtements. Les enfiler et mettre la bouilloire en route, parce qu'un thé ferait du bien. Et mettre la main dans sa poche pour trouver son paquet de cigarettes et en tirer une qu'il avait calée entre ses lèvres immédiatement. Fouiller un peu la cuisine pour trouver de quoi l'allumer et se préparer son thé après le clac de la bouilloire. Il avait fait ça lentement, en ouvrant moult placards avant de trouver tout ce qu'il cherchait. Et, la tasse en main, la clope aux lèvres, l'immortel était finalement revenu dans le salon pour remarquer enfin qui s'y trouvait. Le barman, toujours aussi nu, allongé dans l'un des canapés. Il s'était assis en face et avait juste regardé la scène, un peu sourire sur les lèvres, en buvant son thé. Il était partagé entre s'en aller pour éviter de se faire virer et attendre de le voir se réveiller. Dans le doute, chercher son t-shirt des yeux, par terre et sur les autres meubles. Mais rien. Jusqu'à ce qu'il voit le morceau de tissu sous la tête de l'autre. Si il partait avant qu'il se réveille, ce serait sans t-shirt donc...Soupirer peut-être un peu, parce qu'il avait du mal à ne pas juste le regarder dormir paisiblement. Et se dire que rester encore un peu ne ferait de mal à personne.

Pas pu s'empêcher de rire aux éclats en voyant l'homme sursauter et manquer de tomber. Encore moins pu s'arrêter quand il l'avait engueulé en le traitant de psychopathe. Il n'était pas si loin du compte, ce qui rendait cela encore plus drôle. Pas une bonne idée de lui dire qu'il avait raison cela dit et juste prendre une gorgée de thé pour essayer de calmer son rire. Et une fois calmé, avoir un regard différent sur l'homme. Pas parce qu'il était à jeun, pas parce qu'il faisait jour non plus. Parce qu'il y avait quelque chose d'autre, à le voir comme ça, se couvrir et presque s'emmitoufler dans la veste en cuir. Et il avait clairement un regard un peu doux, en le voyant comme ça, essayer de se protéger du froid. Il serait bien venu le réchauffer mais il était déjà parti vers la cuisine avant que l'immortel ait commencé à bouger. Il avait soupiré et avait cherché un instant du regard les vêtements dans le salon. Quelques pas pour les attraper, quelques gestes pour tout remettre dans le bon sens, et il était allé jusqu'à la cuisine où se trouvait le barman.

Le regarder un instant faire son thé et froncer les sourcils en voyant l'alcool. Puis les cachets. Pas qu'il en ait réellement quelque chose à faire. Mais il y avait presque quelque chose de triste à le voir faire, à le voir retourner à des excès d'alcool à peine réveillé. T'es toujours aussi peu aimable le matin ? Juste lancé comme ça, parce qu'il se rappelait encore assez de comment ça avait été la dernière fois, le lendemain de cette soirée. Mais Aonghas avait quand même un petit sourire, parce qu'il était bien trop content de sa nuit pour se laisser abattre par quelques mots ce matin. Il s'était avancé jusqu'à lui et lui avait tendu ses vêtements avec un petit sourire. T'as l'air d'avoir froid. Il continua de boire son thé et fumer sa clope, laissant l'autre se couvrir. Et il laissa échapper un nouveau petit soupir, appuyé sur le plan de travail, à le regarder toujours un peu.

T'as un nom au fait ? La dernière fois que je suis venu, tu m'as viré tellement vite au réveil que j'ai même pas eu le temps de te le demander. Toujours un petit sourire sur ses lèvres, avant de reprendre une gorgée de thé, la dernière ce coup-ci, et poser la tasse à côté de lui. Une main dans la poche de son jean, il avait tiré son téléphone, constatant que le monde ne s'était pas arrêté de tourner sans lui et qu'il avait des messages à lire. Ce serait pour plus tard. Moi c'est Angus, si jamais ça t'intéresse. Il continuait de regarder son écran de téléphone, appuyé nonchalamment sur le plan de travail. Il aurait presque demandé son numéro, pour le revoir, mais il allait peut-être lui laisser quelques minutes de plus, histoire qu'il soit pleinement réveillé. Déjà un nom, ça serait pas mal, juste histoire de savoir comment désigner celui qui avait été son dieu grec pendant la nuit. Qui pourrait toujours l'être une nuit de plus, plus tard...

Y'avait de ces moments où tout ce qu'on avait envie de faire, c'était changer le passé. Pas grand chose. Juste deux minutes. Se dire juste qu'on aurait pas dû dire tel ou tel truc, ou qu'on aurait dû prendre un bus plutôt qu'un métro. Rien de bien compliqué. Rien qui changerait la face du monde. Juste changer une décision pour une autre. C'était ce que se disait l'immortel là, alors qu'il était tout seul dans la cuisine et qu'il ne bougeait même plus. Parce qu'il ne comprenait pas vraiment ce qu'il venait de se passer en fait. Parce qu'il ne savait pas ce qu'il avait pu faire pour provoquer la réaction de l'autre. Pour faire en sorte qu'il s'en aille comme ça. Qu'il le vire encore une fois. Pas que ce soit si bizarre que ça, de ne pas vouloir voir quelqu'un au lendemain d'une nuit comme celle qu'ils avaient passée. Ça lui arrivait aussi. Mais il n'était jamais comme ça. Et il ne comprenait pas. Il avait beau repassé le film dans sa tête, les quelques minutes qui précédaient, pour essayer d'y voir une logique, quelque chose. Tout ce qu'il voyait, c'était qu'il devrait arrêter d'essayer. Arrêter de vouloir avoir des relations normales avec des gens. Avec des mortels. Se limiter au boulot, et aux autres immortels de la constellation avec qui il ne partageait pratiquement rien.

Il avait mis longtemps à bouger. Aucune idée de combien, ça n'était pas important. Pas du tout même. Il avait commencé par se décoller du plan de travail, posant un regard un peu vide sur la cuisine et ce qui s'y trouvait, pas vraiment envie de voir, de remarquer des détails qui auraient pu le faire sourire, ou dont il aurait pu se souvenir, plus tard. Juste il était juste retourné vers le salon, chercher un instant si sa veste était là. Pas de trace, l'autre avait dû la garder, sans doute. Pas envie de chercher à la récupérer, pas maintenant, pas là alors qu'on venait de lui dire de partir. Pas envie de discuter avec quelqu'un qui ne voulait manifestement pas discuter, même pas écouter une demi-seconde. Il avait soupiré, cherché quelque chose à se mettre qui n'était pas complètement tâché, parce que vu l'état de son t-shirt, ce n'était même pas la peine d'essayer de le ravoir. Trouver un pull, le genre large et lâche, sans doute exprès, et l'enfiler. A peine pris le temps de remettre réellement ses chaussures, même pas de les attacher, et il avait filé. De toute façon, ce n'était pas comme si il avait un autre choix.

En se retrouvant dans la rue, l'immortel avait l'impression de revoir cet autre matin où il était parti, la tasse encore à la main, le jour où il avait oublié sa veste en premier lieu. Il avait les épaules basses, en marchant dans la rue, en allant trouver un taxi pour le ramener chez lui. Il était allé se laisser tomber dans un fauteuil, connecté son téléphone à l'enceinte et lancer la musique, forte et qui l'empêcherait de penser. La tête en arrière sur le dossier du fauteuil, à regarder le plafond, à presque prier qu'une vision stupide et incompréhensible l'emporte, au moins ce serait différent, au moins ça l'occuperait. Pourquoi fallait-il encore qu'il essaie de s'intéresser aux mortels ? A chaque fois, ça se passait mal. A chaque fois, c'était lui qui finissait par regretter et souffrir. Jamais ça ne se passerait bien avec un mortel. Il soupira longuement, laissant le temps tourner autour de lui, jusqu'à ce qu'il fasse noir dehors. Et il laissa encore le temps défiler, espérant presque y échapper...