benjamin | hey brother There's an endless road to rediscover

[13 Avril 1971] Tu es né le 13 avril. Ça fait de toi un bélier. Tu ne le savais pas en grandissant, mais ta femme te l’as appris. Tu le gardes en mémoire, parce qu’elle te le rappelle de temps en temps, mais tu ne te souviens pas l’ascendant, même si tu es sûr et certain qu’elle a dû le calculer aussi. A vrai dire, elle connaît probablement ton heure de naissance alors que t’es pas fichu de t’en soucier. Un bélier donc. Energique, persévérant, aimant les défis, mais pas la défaite, presque belliqueux, impulsif. Tu ne peux pas forcément donner tort à ce portrait grossier de ton caractère mal embouché. Tu t’en fous. Là où tu as plus de mal à la croire, c’est quand elle te sort le calendrier lunaire et t’explique que tu es un cochon d’or. Ça fait toujours ricaner vos enfants, les traîtres. Enfin bon, tu ne trouves pas forcément amical et prêt à aider tous les inconnus que tu croises, n’en déplaise au pouvoir des astres et des superstitions.
[03 Juillet 1974] Tout comme ta propre naissance, tu n’as pas de souvenirs de la date fatidique, si ce n’est pour ceux sans cesse ressassés par tes proches. Une réalité réécrite au fil des années qui forme presque une mythologie à part entière, comme dans chaque famille, comme ce que toi et ta femme faites pour vos enfants en leur comptant leurs années d’antan qui n’existent que dans vos souvenirs peu fiables. De ce que tu sais, tu n’as jamais été ravi à l’idée d’avoir un petit frère : tu ne voulais pas partager tes jouets et tu ne voulais pas partager ta chambre.
[Mai 1987] Au final, tu l’aimes, ton petit frère. Tu ne le diras pas tout le temps, mais garde à ceux qui lui cherchent des noises : il n’y a que toi qui a le droit de l’emmerder et tu n’hésites pas à le faire savoir. Faut dire que tu es plus doué pour imposer ta loi et multiplier les conneries que pour ramener un bon carnet de notes à la maison. Ce n’est pas nouveau. L’école ça reste difficile tout au long de ton enfance et de ton adolescence. Il faut que tu bosses dur, pourtant, pour montrer à ton frère la bonne voie à suivre, même s’il est vite plus doué que toi malgré les années qui vous séparent. Le pire, c’est que t’es pas bête, loin de là. Tu comprends les choses et t’as pas de soucis à en parler. Seulement, quand il est question de les écrire, tout s’embrouille. Alors, quand l’occasion se présente, tu arrêtes. Tu as persévéré jusque là, mais il n’y a pas de mal à admettre la défaite et à chercher une voie qui te corresponds plus, hein ? En tout cas, tu t’estimes heureux que tes parents ne cherchent pas à t’en décourager. C’est comme ça que tu signes pour l’armée.
[18 septembre 1993] T’es sorti de l’armée avec quelques cicatrices en plus et deux ou trois mauvais rêves qui te hantent encore de temps à autre. T’as aussi les permis auto, moto et camion en poche et t’as pas hésité longtemps à te lancer dans une carrière de conducteur poids-lourd. C’était ça ou agent de sécurité et, si tu as la carrure, ta passion va tout de même aux engins à moteurs. C’est ce que tu expliques à la jolie nana qui t’a laissée lui payer un verre. Elle n’ignore sans doute pas que tu as eu plus que ta dose pour ce soir, vu comment t’arrives pas à la fermer sur des choses dont elle a rien à faire. Elle t’écoute et te sourit et te parle d’elle tout en te précisant que tu risques d’oublier tout ça, mais qu’elle sera ravie de se répéter à l’avenir.

TW : accident de voiture, mort, résurrection

Spoiler:

[Février 1996] La vie continue pour tout le monde, mais rien n’est plus comme avant. Officiellement, il est mort et enterré. Officieusement, vous avez toujours les repas de famille le dimanche midi même s’il s’éloigne de plus en plus, souvent à l’international, te parlant de concepts encore flous d’étoiles et de constellations et de tout ce qui a toujours existé si loin de votre perception. Apparemment il rejoint une organisation de personnes comme lui regroupé sous l’emblème d’une hydre. Tu t’en fous et tes parents aussi. Tout ce qui compte c’est qu’il est là. N’empêche que le secret est lourd à porter et que tu aimerais tant pouvoir le partager avec ta conjointe… C’est le seul silence qui perdurera entre vous.
[07 Mai 1996] Tu ne sais pas ce que tu as fait pour être aussi heureux, mais la femme que tu as rencontré il y a quelques années de ça remonte l’allée, toute de blanc vêtue, et il te faut tout ton sang froid pour ne pas verser les larmes qui te montent aux yeux. Quand tu as mis un genou à terre, dans l’appartement que vous partagez, après être rentrés de la petite pizzeria à deux rues de là, elle a dit oui. Aujourd’hui, tu as stupidement peur qu’elle se rende compte de ce que tu lui caches depuis six mois et te jette son bouquet à la figure. Elle dit oui de nouveau. Tu es presque surpris quand c’est ton tour de répondre et tu t’empresses de l’imiter, bredouillant le mot, ce qui la fait rire. Vous êtes mari et femme, Monsieur et Madame Bailey, jusqu’à ce que la mort vous sépare. Mais de ces jours, même la mort ne semble plus si menaçante.
[Juin 1996] Une chose t’apparait maintenant comme une évidence : mortel ou non, tu peux pas compter sur ton petit frère pour assurer sa propre sécurité. C’est ton rôle de grand-frère. Et vu les conneries qu’il te raconte en ce moment, ça fait trop longtemps que tu n’as pas joué ton rôle et certains essaient de se l’approprier et lui remplir la tête d’idées qui te font légèrement froid dans le dos. Pas qu’elles soient ouvertement horribles. T’aimes juste pas la direction dans laquelle elles peuvent être poussées, surtout quand tu le sais aussi influençable en ce moment. Alors c’est tout naturellement que tu prends la seule place à laquelle toi, pauvre mortel, tu peux prétendre dans cette organisation de sombres charlatans condescendants. Ils t’aident à monter ton entreprise de transport pour entreprises et particuliers, les financements sont débloqués, et tu ne peux qu’accepter le cadeau empoisonné, la dette gravée noir sur blanc sur des papiers signés de ta main. Si c’est pour ton frère, passer un pacte avec le diable ne te dérange pas. Te voilà Adorateur de l’Hydre. Quelle bonne blague.
[27 août 1997] Un an de cette vie ne suffit pas à te gagner entièrement à la cause. Peu importe ce qu’ils pensent, tes collègues plus zélés que toi convaincus de faire partie de quelque chose de plus grand qu’eux, toi tu sais que rien n’est plus important que la famille. Ta conviction était déjà profonde avant, mais là, en tenant un bébé au creux de tes bras, elle emplit ta poitrine de chaleur et d’une détermination nouvelle. C’est ton enfant que tu tiens alors que ta femme s’endort enfin, te laissant pour un instant seul responsable de cette vie nouvelle que vous avez créée à deux. Tu ne mentionneras jamais l’Hydre à ses oreilles innocentes. Tu le protégeras de cette double-vie qui est la tienne et il grandira ignorant, mais heureux, tu t’en fais la promesse. Tu as vu trop d’Adorateurs endoctriner leurs enfants, trop de tragédies prendre place sous l’étendard sanglant, trop de souffrance justifiée par un fanatisme dérangeant et ça te rend malade rien que d’y songer. Ton frère peut se voiler la face s’il le veut. Bordel, c’est même toi qui lui permets de se raconter tous ses bobards en t’assurant que ses fréquentations ne deviennent jamais trop dangereuses et qu’il reste soigneusement éloigné des immortels en qui tu sens le plus de noirceur.
[20 décembre 2000] Votre famille continue de s’agrandir. La grossesse est plus stressante que la première, les complications se multiplient, l’accouchement arrive plus tôt que prévu. C’est éreintant et ce n’est même pas toi qui porte le bébé. Vous avez de la chance, néanmoins, et votre fille se révèle être une battante. Il ne faut pas moins d’une semaine pourtant pour pouvoir l’accueillir à la maison. Les affaires sont florissantes et c’est donc une véritable et respectable demeure familiale qui est désormais à ton nom. Chaque enfant a sa chambre, même si votre fille dormira encore un moment avec vous dans la suite parentale. Le salon est ouvert sur une charmante cuisine, il y a du parquet à foison, du vrai, un petit jardin et un garage assez grand pour vos deux voitures et ta moto. Sans parler du petit atelier où tu peux bricoler et du grenier qui abrite encore quelques cartons qui ne seront pas défaits avec des années. C’est ta petite vie parfaite bien loin des affaires sordides sur lesquelles le moins tu en sais, le mieux tu te portes.
[2011] Elle s’appelle Malia. S’appelait, tu supposes. Ce n’est pas la première gamine que tu vois se brûler les ailes. Dieu sait qu’ils sont nombreux, ceux tombés pour de sombres idéaux, aux services d’égos nourris par les siècles, happés par les têtes innombrables de l’hydre. Elle te marque plus que les autres même si son histoire n’est pas unique. Le truc, c’est que tu l’as prise sous ton aile, Malia. Tu as été son mentor et tu as tenté de la prévenir, de la pousser à faire attention, mais tu ne peux pas être omniprésent. Tu n’as pas ressenti une telle culpabilité depuis ce fatidique accident de voiture et ça te terrifie. Si tu n’as pas pu la protéger, comment crois-tu pouvoir protéger ton frère ? Dans un recoin sombre et froid de ton cœur, la peine se durcit et forme un noyau de rancœur. Un jour, tu la vengeras, c’est une promesse, pour elle et pour son frère. En attendant qu’une occasion se présente, tu ne changes pas grand-chose à la routine de ta vie et les années passent alors que tu prends soin de garder tes distances avec les plus jeunes recrues. Plus jamais tu ne veux t’attacher à une d’entre elles à ce point.