vous ferez chambre à part? (Rahim) (2015, Toronto)

C’était l’automne, la seule saison où Rahim avait le plus de chance de te sortir de ce bout du Yunnan, moins occupée dans le potager, que tu avais laissé au soin des bénévoles saisonniers. Certes, depuis le début de la semaine, tu les avais déjà appelé deux fois – un petit souci de contrôle, comme à chaque fois que tu quittais ton morceau d’Eden. Surtout, tu choisissais le parfait timing pour les appeler, généralement en plein milieu d’une visite qui tirait en longueur et où tu savais que tu ne te plairais pas vraiment. Tu avais tous les droits de faire ta difficile, c’était toi qui payais. Et tu aimais ça, faire tourner les agents immobiliers en bourrique, quand tu les regardais avec tes yeux terriblement sérieux, du haut de ton mètre soixante, pour finalement échapper un « il y a trop de feu» avant de reprendre ta conversation au bout du fil, dans un dialecte d'une région à l’autre bout du monde.

Non pas que tu t’attendais à ce qu’ils aient une quelconque notion de Feng Shui.

Mais ici, vous étiez déjà au deuxième étage et tu sortais de la pièce qui ferait une très bonne arrière-boutique. Le gaz était encore installé, ce qui voulait dire que tu pourrais éviter cette malheureuse tendance des cuisines électriques. Parfois, tu regrettais la cuisson au feu de bois, même les petites brulures qui avaient recouvert tes mains pendant si longtemps. Maintenant, elles n’étaient que des souvenirs enfuis sous d’autres callosités de ta vie.

Ici, c’était un nouveau départ. Un de plus, mais jamais un de trop. Car il y avait Rahim, contre lequel tu t’appuyas presque gracieusement, tes bras enlaçant le sien. « Il faudrait abattre un mur, pour ouvrir l’espace. Mais l’orientation est bonne. » Tu étais bien plus efficace qu’une boussole ou qu’un vol d’oiseau qui suivait les champs magnétiques. Tu étais faite de centaines d’années de mythes et de superstitions. Bien sur que tu savais où se trouvait le Nord et le point d’eau le plus proche – certes, un peu plus difficile au Canada, il y en avait tellement. De ton anglais ponctué de l'accent du jour - léger, avec une tendance à avaler la fin de tes mots - tu proposas« on va voir le troisième étage ? » C’était aussi un élément déterminant. Parce que tu refusais d’acheter un bâtiment et de louer un appartement en plus. Ce n’était pas malin financièrement et tu serais derrière chaque dollar canadien que tu pourrais gagner et épargner.

Vous ferez chambre à part?

@Yixi Cheng

Si un jour, on t’avait que tu passerais un bon moment dans la province du Yunnan, il est fort probable que tu aurais rit au nez de cette personne. Mais Yixi t’as trouvé et elle t’a finalement entraîné dans ses contrées. Au début, ça a été dépaysant, notamment à cause de la langue, ou plutôt les langues et ce n’est pas ce genre de mosaïque qui t’intéressent. Le temps à passé et t’as fini par comprendre à quel moment tu pouvais tirer la chinoise de son jardin, pour repartir vagabonder à travers le monde, pour y voir les couleurs de l’automne, toujours aussi belles. Tu le penses depuis que t’es tout petit, ça, Rahim et c’est même le cas, là-bas, au Canada. On t’a soufflé que la ville est plutôt calme, alors tu as pensé que ça pourrait être un endroit où se poser. T’as su comment amadouer ton aînée et voilà où vous en êtes, à suivre les agents immobiliers, dans chaque coin de la ville. Tu trouves ça long et tu te demandes ce dont les quatre dernière immeubles ont manqué, mais Yixi est l’habituée, pas vrai ? On s’attend à ce que tu la reprennes, que tu lui dises qu’il est temps de faire un choix, mais il n’en est rien. Si tu n’es pas entièrement certain par ce qu’elle veut dire, parfois – même si tu l’as comprend beaucoup mieux qu’au début – t’as trouvé qu’il y avait trop de bruit. Ça n’a absolument rien à voir avec la présence, bien trop proche, de la route et de ton ouïe qui décide de faire une fixation dessus, non. Alors tu arques un sourcil, dans ces moments-là, puis tu déclares que vous aller voir ce qu’il vous a déniché, ailleurs.

Tu as bien aimé, cette autre visite. Le rez-de-chaussée, tout à fait charmant où tu visualises déjà les nombreuses étagères remplies de livres, assez spacieux, mais pas trop. Après tout, tu n’as pas la prétention, ni le désir, d’ouvrir une énorme librairie. Tu estimes que c’est à peu près la superficie qu’il faut, mais t’attends de voir le deuxième étage. Tu as un hochement de tête appréciatif, Rahim, et tu penses que ton étoile peut mieux s’y projeter. « Il faudrait abattre un mur, pour ouvrir l’espace. Mais l’orientation est bonne. » T’esquisses un sourire amusé, alors que tu poses une de tes mains sur son avant-bras. T’as eu raison, n’empêche. « Les deux murs seraient à abattre. » Sinon, le salon de thé risque d’être ridiculement petit et les profits risquent de manquer et ça, ça n’entre pas dans les plans de la quatre fois centenaire. À la mention du troisième étage, l'agent semble se tendre, oh mais en voilà, un détail intéressant, « Évidemment ma mie. » T’as toujours le mot pour rire, aussi. C’est pour le Rachid de ce matin. Le troisième étage c’est, « Un concept. » Si tu n’as pas autant de connaissances dans l'immobilier que la vieille à tes côtés, t’estimes qu’on c’est un peu foutu de vous, avec ce troisième étage qui ressemble un gruyère pour humain. « Le but, c’est d’y vivre, pas d’en faire un camping. » Tu fronces les sourcils et te tourne vers Yixi, elle n’aurait pas omis de te mentionner un détail ou deux ? Tu connais son appréciation pour la rénovation. Ou alors, l’agent est juste mauvais. Ça aussi, c’est une possibilité.

made by valkyrja for ad vitam aeternam

Tu croisas les bras suite au doux nom. Ma mie. Oh, ce n’était pas que tu boudes. Depuis tout ce temps, ce n’est qu’un jeu qui se répétait encore et encore, une partie de Poker qui recommençait chaque jour. « Si tu m’appelles comme ça, autant que tu te comportes en accord avec le titre. » Tu avais trouvé ton amusement pour les cinq minutes à venir, alors que dans un soupir il te tendit sa main, pour t’aider à monter. Tes vieux os n’ont pas de problèmes, ils sont en sublimes forme pour tes 400 ans passé. Ce n’était que pour les apparences, et tu adorais quand cette grande perche te servait de canne.

« Le camping est là où tu as la meilleure vue. » Tu prends même la peine d’accentuer soudainement ton accent asiatique, pour faire comprendre que tu te la jouais aux faux proverbes chinois. Mais tu ne t’attends pas vraiment à donner plus d’explication. Il serait vraiment de l’ordre du camping pour un petit temps. Toi, ça ne te dérangerait pas. Tu as connu bien pire par le passé, et les murs au moins ici, ne sont pas à abattre. Tu n’as toujours pas lâché le bras de ton étoile et tu le traines dans tous les coins que tu vérifies attentivement. « Regarde. » L’arabe, à présent, glissa sans mal sur ta langue, bien que connoté du dialecte que tu avais parlé la plus grande partie de ton passage dans ces pays arabophones. « On est en dessous du grenier, on peut l’abattre, ça ouvrira l’espace. Il y aura un meilleur passage des énergies. » Tes yeux voient au-delà des trous, et ce n’est pas grâce à tes sens développés. C’est une vision de l’esprit. « Ca ne sera pas comme à la maison. » Le Yunnan, où Rahim n’avait fait que se cogner la tête constamment. 高的问题. Le problème des grands. Peut-être était-ce ta manière indirecte de se racheter, de n’avoir jamais pensé que tu rencontrerais un géant.

Ta main traçait le plafond et ce qui pouvait être modifié. Et tu accentuais ton intonation à nouveau, pour donner l’impression que tu n’étais pas satisfaite, pour une oreille externe. « On peut en tirer un bon prix, et quand on revendra l’endroit, se sera avec bénéfice. » Et ça, c’était aussi quelque chose qui te plaisait, en plus d’une bonne excuse pour tout retaper. Tu pourrais même apprendre deux-trois choses à Rafael. Tu doutais qu’il avait jamais manié une truelle de sa vie.

Vous ferez chambre à part?

@Yixi Cheng

Un reniflement amusé t’échappes, face à la réaction de ton aînée, et tu n’es pas le moins du monde surpris par la suite, t’as facilement pu le prévoir. Après une une trentaine d’années, c’est le minimum, quand même. Tu ne retiens pas ton soupir, aux notes dramatiques – au moins ça, pour la paysanne – avant de lui servir de soutient alors que vous gravissez l’escalier. « Faudrait pas que tu te tordes une cheville. » A ces paroles, c’est l’agent qui trébuche légèrement et vous jette un regard un peu paniqué et c’est un regard curieux et innocent que tu tournes vers lui, tandis qu’il part en une explication sur le style de marches. Explications un peu bancales en soi, tu notes. Si ça avait été un escalier en colimaçon, à la rigueur, pourquoi pas, mais là, il tente étrangement, de sauver les meubles.

Tu l’as sentis, l’entourloupe, t’as eu raison. « Le camping est là où tu as la meilleure vue. » L’accent à faire passer au chinois te laisses un poil indifférent. L’agent, en revanche, y voit une ouverture pour faire son exposer sur les pourquoi cet endroit est celui que vous recherchez. C’est encore plus troué que le gruyère dans lequel tu te trouves, honnêtement et t’as l’impression qu’on a refilé votre dossier à un novice. C’est un peu cruel, comme bizutage, quand même. Marrant, aussi. Pauvre petit. Tu te laisses traîner dans l’espace qui vous entoure, où tu écoutes une présentation plus intéressante. Vous avez parfois du mal à accorder vos violons, avec les différents dialectes de langages que vous parlez, tous les deux, mais vous parvenez à vous comprendre, maintenant, l’arabe ne fait pas exception. Tu lèves les yeux vers le plafond, manquant de t’assommer par la même occasion, ça t’arrache un petit grognement ennuyé, d’ailleurs, mais t’écoute ton étoile, laquelle tu presses doucement la main, tu n’es pas aveugle à l’attention. « Comme une espèce de duplex, tu veux dire ? » Tu réponds dans la même langue, mixant les deux dialectes de façon outrageuse, sans le vouloir. Tu t’excuseras plus tard. « Tu voudrais pas y mettre une barre de pompier, aussi, pour descendre rapidement ? » T’ajoutes, avec le plus grand sérieux du monde, même si, pour un œil avisé, le tressaut dans ta barbe est un signe de ton amusement.

Vu l’état de la chose, t’espères bien, que vous pourriez -- dans l’hypothèse où vous preniez celui-là, même si t’as conscience que tu n’as pas vraiment ton mot à dire – en tirer un bon prix. Il semble y avoir une bonne dose de travaux à accomplir, en plus de la non-précision de l’état du troisième étage dans le dossier que t’as lu. Ça a baissé de quelques milliers de dollars. T’as beau ne pas en connaître autant que ton étoile, mais au bout d’un moment, t’as appris une chose ou deux, en la côtoyant. « Je crois que c’est complètement moisis, par contre. » Tu fais remarquer avec un froncement de sourcil, et du nez. Ton odorat s’est un peu emballé, de même que ton ouïe, qui se laisse plus facilement contrôler aujourd’hui, « Et il y a des fuites, aussi. » Ces remarques, tu te demandes si elle les a déjà faites et tu les énonces dans ton indien maternelle, ce qui paraît décontenancer encore plus l’agent, tu te penches sur le côté, pour lui murmurer à l’oreille, « Tu le savais, Miichi, ou ce n’est qu’un bonus supplémentaire pour négocier ? » Tu la connais, ton étoile, Rahim. Les deux options sont possibles.
made by valkyrja for ad vitam aeternam

Moisi. Ce mot n’avait pris un sens qu’il y a moins d’une centaine d’années, pour toi. Parce que dans certains endroits de ta vie – certains endroit de ta mort aussi- l’odeur avait été présente, parfois constante. Ce n’était pas une preuve d’une quelconque insalubrité, mais simplement d’un phénomène qui ne pouvait être évité. Les fuites était un problème normal, et tu pouvais même considérer ça comme un luxe, d’avoir l’eau courante. De ne pas devoir aller jusque-là rivière, ou le puit le plus proche, pour t’abreuver, cuisiner, nettoyer, arroser. Mais Rachid ne pouvait pas le savoir. Il faisait partie de ces petits jeunes, qui pensaient que des murs immaculés était la base du confort de vie. « Tu as peur d’être mouillé, Achille ? » Compensation sarcastique pour le mauvais prénom.

Et déjà tu te désintéressais de ce sujet. « Je n’ai pas de préférence. S’il faut raser et refaire le troisième étage, so be it. » Ah, les raccourcis de la mentalité anglophone. « L’immobilier n’est pas donné dans ce quartier. Et on peut en avoir un bon prix. » En réponse à l’hindi, tu retrouvais ton dialecte du sud de la Chine, un exercice plus difficile qu’il n’y paraissait, parce que tu choisissais avec prudence les termes que tu savais que Rahim connaissait. Tu n’aimais pas vraiment te répéter. « Mais continue de froncer les sourcils. » Tu te retournas vers l’agent, qui essayait de vos comprendre, dans votre mélange d’arabe, d’hindi et de mandarin cassé. « Je sens son angoisse. » Et tu avais le sourire le plus doux du monde, celui que tu réservais à tes exercices de marchandages ou tes parties de dés intenses. C’était ça aussi, que tu aimais dans l’achat des propriétés. Ce n’était qu’un coup de poker comme un autre, pour une somme juste un peu plus grande que ce que tu ne pariais au-dessus d’une paire d’as.

« Mais je comprends que tu n’aies pas envie de passer l’hiver dans les travaux. » L’anglais était revenu et tu t’approchais du jeunot. « Si vous avez l’intention de continuer à nous faire perdre notre temps ainsi, je ne serais pas douce pour signer un quelconque compromis. » Tu pris une brève inspiration, consciente du regard du canadien sur ta petite figure. Il ressemblait à une biche…à quelle sauce allais-tu le préparer ? « D’autant plus que le prix que vous demandez pour un tel bien ressemble à une arnaque. Est-ce que le propriétaire à une quelconque attache à ce lieu ? Vu l’état déplorable, il n’y a que les murs qui peuvent être gardés et encore. Est-ce que vous avez fait venir un expert pour les espèces invasives et les mycoses ? » Tu t’en moquais, un rat était un rat et tu n’en avais que faire de la réponse. L’odorat des deux immortels était suffisant pour savoir ce qu’il en était. « Est-ce que tu veux aller voir ailleurs ? » Oh, ils iraient voir ailleurs, définitivement. Mais tu aimais donner le dernier mot à Rahim. Après tout, c’était son rêve qui était au premier étage.

Vous ferez chambre à part?

@Yixi Cheng

Évidemment, Yixi saute sur l’opportunité pour partager avec goût ce qu’elle en pense, de ta remarque. Un sarcasme de plus, certainement pas l’un de moins, à ce stade, voilà bien longtemps que tu ne les comptes plus. Ça ne mérite même pas une autre réaction qu’un simple roulement d’yeux. Peur d’être mouillé ? Vraiment ? Ce n’est pas comme si l’étage du dessous et le rez-de-chaussé ne pouvait pas leur servir de logement durant un temps. Ou bien de mettre une tente au milieu du salon. Mais ces détails, tu ne penses pas qu’ils puissent intéresser. Même si t’as conscience que ton opinion sera écoutée à la fin, c’est la dame – enfin, dame, de loin, hein – qui apporte le plus gros du pécule. Tu n’as pas l’excuse d’être âgé de quatre cents ans et quelques, Rahim. T’es qu’un jeunot de soixante-dix ans. Ton froncement de sourcils s’accentue alors que tu te concentres sur les paroles prononcés dans le dialecte du sud de la Chine. Ton apprentissage de la langue est encore très récent et ça tu es reconnaissant de l’utilisation des mots les plus simples. Ce n’est pas toujours le cas, après tout. «Mais continue de froncer les sourcils. » Tu en arques un, suivant son regard, «Je sens son angoisse. » Vous êtes quand même bien rodé, tous les deux et t’accentues ton froncement, « Il a envie d’être n’importe où, mais pas ici. » que tu lui réponds en penjabi, usant des mots les plus simples également, son apprentissage de ce dernier reste assez récent également. Tu as envie de rire, de la confusion et de l’agacement sur le visage de l’agent. C’est un bon divertissement, dans le fond. Au moins est-il bon à ça.

Tu l’écoutes autant que tu l’observes ne faire qu’un du pauvre agent. Garder ton sérieux n’est pas toujours aisé, mais plus le temps et plus t’y parviens. Ce n’est qu’une énième partie de jeu, finalement et rares sont ceux qui gagnent contre Yixi. Tu fais partie de ces derniers, mais tu te demandes parfois si elle ne le fait pas juste exprès. Tu observes le visage de l’agent de rembrunir, ça ne dure qu’une fraction de seconde, mais vous l’avez vu. Pour autant, il tente de se défendre et d’expliquer pourquoi ce bâtiment est une gemme. Tu n’apprécies que peu la façon dont il s’explique lentement, comme vous n’étiez que des idiots, tous les deux, incapable de comprendre son génie. « Il vaut mieux oui. » Tu lui réponds dans le dialecte qu’elle t’apprend. C’est long et fastidieux, mais tu fais de ton mieux. C’est la chose qui te reste, Rahim. Vous mettez fin à la visite suite à ça et vous devez retrouver un autre agent pour une autre visite. « J’ai aucun problème avec les travaux, tu sais. » Tu tiens à lui faire savoir, alors que vous vous avancez vers le nouveau bâtiment, « Suffirait juste de caler une tente à l’un des autres étages. » T’es pas du genre à faire la fine-bouche, simplement, t’as lu le dossier et tu n’as rien trouvé qui vous informiez de l’état du dernier étage et ça, ça t’irrites.

Vous vous rendez vers un coin de la vie plus estudiantin et ça peut être le bon plan, d’ouvrir ce genre de commerce ici. Les bars et restaurants se trouvent principalement dans une rue adjacente, un détail non-négligeable. Lorsque vous entrer, tu remarques le rez-de-chaussée est légèrement plus petit mais aussi plus haut de plafond. T’enroules un bras autour des épaules de ton étoile quand tu veux avancer dans l’espace, « C’est plus petit, » tu remarques à inutilement, « mais moins étroit. » Même si, de vous deux, il n’y en a qu’un que ça embête, les plafonds bas. « Les fenêtres sont un plus. » Ça donne l’illusion que ça agrandit, en plus d’être beaucoup plus lumineux. « Tu en penses quoi ? » Tu lui demandes finalement. Après tout, tu n’es pas le professionnel des affaires, Rahim.

made by valkyrja for ad vitam aeternam

Ce n’est pas que tu avais perdu ton attention, tu étais très attentive à ce que disait Rahoul. Mais le nombre de notifications sur les icones de Twitter et Weixin commençaient à augmenter et ce n’est pas que tu étais en manque, mais tu appréciais vraiment d’être dans une ville où tu captais internet où que tu te trouves. « C’est bon à savoir. » Ta moue est concentrée, malgré que ça ne soit pas lié à ce que tes pouces introduisaient sur ton clavier tactile. « Je vais me renseigner sur le prix de la main d’œuvre ici. Ca sera toujours plus cher qu’en Chine. » Ta raillerie usuelle. Tu avais réellement du mal à te faire à cette idée qu’une action valait un prix différent, en fonction du pays où tu te trouvais. Certains immortels avaient tenté de te le faire comprendre, Rahoul y compris. Mais pour toi, ça ne faisait pas sens. Tu restais une fille de la campagne, après tout.

Tu ne ranges pas ton téléphone, lors de la nouvelle visite. Tu as appris que ça aussi, ça agaçait certaines personnes et donc, tout naturellement, tu en as fait un outil pour tester les limites des êtres humains. Mais tu prêtes attention à tout ce qui vous entoure. Le nouvel agent immobilier à au-moins la discrétion de se reculer, pour vous laisser discuter. « C’est bien, plus petit veut dire moins de chauffage. Et je ne sais pas à quel point il fait froid en hiver. » Oh, tu le sais, tu as lu les chiffres. Mais la sensation est ce qui t’intéresse. Surtout si toi, tu t’en vas tenir un salon de thé. Tu t’approches des dites vitres, pour vérifier le vitrage. « Elles sont bien. J’imagine une belle calligraphie, juste pour voir n’importe quel nom ta boutique aura, et assez pour voir à l’intérieur. Les gens seront là pour acheter tes livres, pas ta bouille. » Tu ne fais pas dans la prostitution, après tout.

Tu baisses enfin ton Iphone, pour regarder la pièce vide. Tu visualises les différents agencements possibles. « Plus petit veut dire moins d’armoires, un agencement de l’espace différent. Si tu te sers de la boutique comme d’un présentoir, tu peux toujours compter sur les stocks en arrière-boutique. Cela demanderait de la main d’œuvre, mais autant profiter que l’on soit dans le quartier étudiant. Il doit bien y avoir un stagiaire désespéré dans le coin, ou deux. » Ah, il n’y avait rien qui t’animait plus que de la main d’œuvre gratuite. Bien que tu n’appréciais jamais l’esclavage – oui, tu parlais d’expérience.

Vous ferez chambre à part?

@Yixi Cheng

C’est à peine si tu clignes des yeux lorsque tu vois ton étoile s’intéresser à autre chose que la situation présente. Ce serait terrible si elle vient à rater le dernier meme à la mode, après tout. L’avantage, ça a le mérité de dérouter l’agent et c’est toujours assez amusant. Quand ce n’est pas toi qui tente de tenir une conversation. Tu arques un sourcil, « Il en est rarement autrement dans les grande ville. Ou ailleurs. » Après tu ne prétends pas avoir la sciences infuse, Rahim, loin de là. Tu sais simplement que des détails continuent d’échapper à cette immortelle de quatre siècles ton aînée. Ça a un côté aussi ridicule qu’attendrissant. Tu te gardes bien de mettre en avant le dernier.

Vous visitez un nouveau bien, possédant un rez-de-chaussée plus petit, mais plus lumineux aussi. La question du chauffage et de l’hiver, te font réaliser un point important, « L’isolation, » tu commences, « faut vérifier l’isolation. » C’est bien beau, comme souhait, mais de vous deux, tu sais pas trop comment on regarde ça de plus près. Tu la suis du regard, lorsqu’elle examine les vitres. Tu roules des yeux avec amusement à la mention de calligraphie. Bien sûr, qu’il sera question de calligraphie, quoi d’autre ? Puis tu as une légère grimace avant de te reprendre, « Les livres, ou tes pâtisserie. » Tu la reprends. Ce détail à son importance, après tout. « Les deux noms pourraient être liés. » Tu fais remarquer après quelques instants. Amusant aussi. Ou peut-être pas, t’as jamais eu ta propre entreprise à toi et encore moins lié à un autre commerce, alors qu’est-ce que t’en sais, à part rien ? Mais sérieusement, les deux noms formant un jeu de mots à l’humour douteux, ça serait pas génial ?

Tu peux voir un tetris se dérouler dans la tête de ton aînée, avant d’avoir un éclat de rire et tu secoues la tête, amusé malgré toi par Yixi, « Le coin étant plutôt estudiantin, ce serait probablement des jeunes en recherches d’un boulot pour compléter une bourse ou bosser en saison. » Quant au stage, ça, t’en sais rien. Mais tu n’ai pas certain que la main d’œuvre sera gratuite. « Faut bien que les jeunes mangent. » Tu marmonnes distraitement, en te déplaçant dans la pièce, notamment pour voir l’espace qu’offre une possible arrière boutique. La surface est plus que respectable. « T’as un deuxième escalier pour l’étage. » Tu l’informes en parlant par-dessus ton épaule. L’agent en profite pour mentionner la présence d’une réserve similaire au deuxième étage. Tu te déplaces afin d’arriver au niveau de ton étoile, autour de laquelle tu enroules à nouveau ton bras sur ses épaules, « Voyons voir ça. » Tu l’entraînes donc dans cette réserve et tu la laisse gravir l’escalier avant toi, tandis que l’agent explique le passé de ce bâtiment. Tu te demandes à quel moment il faudra casser quelque chose, par contre.
made by valkyrja for ad vitam aeternam

La proposition de Rachid a le mérite de te faire ranger définitivement le téléphone dans ta poche. « Les deux ensembles ? » Cela t’arrache même un sourire. Tu n’y avais pas pensé, et l’exercice te plait. « Je savais qu’il y avait une raison pour laquelle je te gardais. » En dehors du fait que vous faisiez partie de la même constellation. Rachid c’était ton étoile, et tu ne faisais pas assez d’offrande à tes dieux pour les remercier que l’autre immortelle ne soit pas un idiot fini. Peut-être est-ce pour ça que tu ne n’avais rencontré que si tard : tu n’avais jamais été bonne pour garder les faveurs des dieux.

Ce n’était pas grâce à eux que tu étais ici.

Tu ne savais pas ce qui conférait l’immortalité ou non. Ca ne t’intéressait pas. Mais tu savais qu’il n’y avait aucun dieu derrière tout ceci. Vous, vous n’étiez qu’à deux, prêts à refaire le monde une fois de plus. « Je te préviens, je ne veux aucune notion à cette Alice. » Celle aux pays des merveilles. Pour toi, c’était d’un cliché, et tu ne voulais pas que ta boutique soit associée à un chapelier mal habillé. Tu lui faisais aussi comprendre que c’était à lui de trouver un nom pour la boutique. Tu avais nommé assez d’endroit pour en avoir perdu les plaisirs, ce sentiment d’accomplissement. Surtout que tu aurais bien été capable de donner un nom rocambolesque à la librairie juste pour agacer Rachid – vous le saviez tous les deux.

« S’ils travaillent ici, ils ne risquent pas d’avoir faim. » Il n’y a que toi pour nourrir avec autant de consistance les autres êtres humains, même quand ils n’avaient pas faim. « Il me faudra des pauvres âmes pour s’occuper des invendus. » Il était hors de question que tes préparations ne finissent à la poubelle. Si ça n’allait pas dans le ventre de l’un de ces étudiants ou de Rachid, tu irais donner tout cela aux voisins, aux SDF, aux oiseaux. Tu refusais de gaspiller de la nourriture, c’était plus fort que toi. Et surtout, tu adorais cuisiner. Tes plats devaient bien aller quelque part…

Le deuxième étage occupe la même superficie que la boutique du bas, et tu n’es pas vraiment surprise. « C’est petit. » Tes yeux parcourent l’espace. « Je ne pourrais pas mettre la cuisine ici, si je veux assez d’espace. Et je ne veux pas que les clients soient les uns sur les autres… ce n’est pas la Chine. » Ça ne serait pas un projet vendeur. Tu t’es bien adaptée aux différentes mentalités et mœurs qui vont avec les différents pays où tu as vécu. Si ça ne tenait qu’à toi, tu achèterais le bâtiment à côté et casserait les murs. Mais ça enlèverait le charme du bâtiment. Et si c’était pour vous retrouver dans des travaux, la précédente propriété serait tout aussi. « Mais j’aime beaucoup la luminosité. Et avec des vitres pareilles, je pourrais mettre des fleurs à sécher, cela donnerait une petite touche. » Le lieu, lui avait au moins le mérite de t’inspirer un peu plus. « J’espère qu’il y aura de quoi ne pas vivre l’un sur l’autre au troisième… » Et tu tardes à voir le mouvement d’arrêt chez l’agent immobilier, qui finit par vous demander. « Vous… ferez chambre à part ? » Et tu ris, laissant à Rachid le plaisir de répondre.

Vous ferez chambre à part?

@Yixi Cheng

Tu souris à pleines dents, Rahim. Ça t’arrive encore d’être perdu, parfois, sur quoi faire de simplement bon pour arracher un sourire sincère à cette vieille branche et tu en ressens systématiquement une grande satisfaction lorsque tu y parviens, comme maintenant. Tu roules des yeux, cependant, « Je savais qu’il y avait une raison pour laquelle je te gardais. » avant d’arquer un sourcil, « On sait tous les deux que c’est pour cette merveilleuse voix d’opéra, que tu me gardes. » Si on aime rendre sourd le silence, peut-être. Même avec les années qui se sont écoulées – beaucoup moins importante à l’image de ton étoile – tu sembles incapable de chanter correctement et vous le savez tous les deux combien tu es un désastre ambulant quand tu ouvres la bouche. La question du ou des nom(s) est importante et tu reconnais ne pas t’y être trop penché. Avant aujourd’hui, ça n’avait rien de vraiment très concret et tu sens ton sourire s’adoucir quand tu comprends le sous-entendu. Ton étoile va te laisser nommer cet endroit et le geste, tu l’apprécies. D’autant plus que tu as conscience d’un fait : ton étoile, roublarde, aurait bien pu choisir un nom d’un sens abstrait simplement pour t’ennuyer. Tu hoche simplement la tête en sa direction, réfléchissant à la façon dont tu peux trouver un nom liant ta librairie à salon de thé. Tu sors ton téléphone pour y noter les idées qui te vienne, sans rien annoncer dans l’immédiat. Tu fais ça tout en partageant ce que tu sais de ce que coin de la ville. « S’ils travaillent ici, ils ne risquent pas d’avoir faim. » Tu hoches la tête, sachant pertinemment à quel point le sujet touche ton étoile, « Tu pourrais même y former une personne qui n’a pas vraiment de toit. » Tu ajoutes dans ton hindi natal, « Et j’ai fais une liste des associations qui récupère les invendus. » Tu continues, en lui envoyant ladite liste sur son smartphone. Ça vaut ce que ça vaut, mais c’est un début.

La visite continue au deuxième étage et ta première impression est identique à celle de Yixi. Effectivement, c’est petit. « Je ne pourrais pas mettre la cuisine ici, si je veux assez d’espace. Et je ne veux pas que les clients soient les uns sur les autres… ce n’est pas la Chine. » Tu lui prends la main, serrant doucement, pour ensuite pointer du doigt une porte qui semble cachée dans un renfoncement du mur,« Tout dépend de ce qui se trouve là, si c’est assez grand pour y faire la cuisine comme tu aimes. » Tu regardes autour de toi une nouvelle fois, « Si tu veux la garder ouverte et si le mur peut être cassé et ça agrandirait non ? » Ton compas dans l’œil n’est pas parfait, mais ce n’est pas le plus mauvais non plus. « Puis on peut jouer avec des grands miroirs aussi. » Pour donner l’impression d’un plus grand espace. Surtout avec de telles fenêtres. Tu hoches la tête, « De couleurs ? » Tu l’interroges distraitement dans ce chinois que tu apprends, en pensant à toutes les fleurs colorées que tu connais. Tu as toujours aimé les choses colorées, Rahim et ça ne change pas. Néanmoins, il reste la question du troisième étage, une demande qui n’en est pas une. Trois étages ou rien. Pour autant, la question semble l’interpeler, « Vous… ferez chambre à part ? » Tu clignes des yeux et ton étoile rit. C’est au moins ça. Tu te mords l’intérieur de la joue pour ne pas suivre le même chemin que la paysanne, « Nous ne somme pas mariés, ce serait fortement inconvenant. » Ton accent Londonien est aussi claire que si tu n’avais pas quitter ta ville natale il y a des années. Tu t’amuses de voir l’agent ouvrir la bouche pour répondre, mais la refermer, incertain et recommencer ce manège à deux reprises, tandis que tu l’observes, imperturbable. « Montrez-nous donc cet étage. » Tu lui sauves la mise et alors qu’il se tourne, tu lances un clin d’œil amusé à ton étoile. Le troisième et dernier étage est aussi lumineux que le second, mais plus spacieux. Ça ressemble plutôt à une zone de stockage, qu’à un appartement, ceci dit. « On peut y mettre un sac de couchage. » Tu glisses à ton étoile dans un murmure, « Je suppose que vous avez une modélisation 3D pour nous donner une idée de ce qui peut être construit ici, hm ? » Tu le fixes, avant de reprendre, « On voudrait que notre petit nid douillet soit justement ça : douillet. » Il faut bien laisser l’agent travailler un peu, quand même.

made by valkyrja for ad vitam aeternam

L’écran de ton téléphone s’alluma dans le fond de ta poche, de cette liste que Rahoul venait de t’envoyer. C’était une des raisons pour lequel tu l’aimais – en plus de son talent pour les karaoke : il était avenant et il avait toujours la manière de te surprendre agréablement. Et puis, avec toutes ces années – si peu d’années à ton goût d’immortelle – il avait bien appris à te connaitre, toi et tes goûts particuliers. Même si tu étais celle qui aurait le mot final dans l’achat du bâtiment, puisque tu étais le portefeuille, tu l’écoutais donner ses impressions sur le deuxième étage. Vraisemblablement, tu étais plus attentive à Rahoul, qu’envers les brefs tentatives de l’agent immobilier que donner son point de vue. Surtout quand celui-ci ne s’attendait pas à ce que vous ayez besoin de deux chambres.

C’était un malentendu qui arrivait de temps en temps, et il ne manquait jamais de t’amuser profondément. Rahoul aurait pu être de ton goût, si seulement tu avais un goût pour ça. Mais il était plus important qu’une histoire de cœur, il était de ta constellation, et tu ne pouvais plus imaginer ta vie sans lui. Tes nuits par contre, ce n’était pas un problème. En soi, tu n’étais pas charmée par le troisième étage et tu regrettais presque l’ascenseur émotionnel. « Tu sais, si c’est pour faire des travaux à nouveau, je préférai l’autre bâtiment. Au moins il y a plus d’espace. » C’est que le m² valait son pesant d’or, où que vous vous trouviez.

Et tu n’avais aucun scrupule à mettre le canadien mal à l’aise. D’ailleurs, tu y jouas un peu plus encore, pour renforcer le sentiment d’embarras qui s’échappait du jeune homme. « Et comme ça vous savez que je ne suis pas avec lui. C’est peut-être votre chance. » Tu le dépassas et lui tapa l’épaule avec toute ta force de petite chinoise. Et tu ris un peu plus, toi qui redescendant les escaliers. Tu en avais assez vu.

» — part of your world
» (Toronto) A star's idiocy | Yixi (fin 2020/début 2021)
» Rendez-vous across time | Raffaella
» {Zyani} - Je vous resserre un verre ?
» prenez soin de vous — (départ)