Better to try, we get nothing for nothing (ft Rosalyn)

Un soupir s’échappe des lèvres pincées de l’Anglaise. La réunion séculaire des Enfants de Prométhée l’a laissée songeuse. Amère. Inquiète. Prendre du recul ne sera chose aisée pour Rosalyn. Ce n’est pas dans ses habitudes d’être simple spectatrice. Encore moins lorsque la situation est aussi alarmante. Les tensions entre les Enfants de Prométhée et l’Ordre de l’Hydre sont de plus en plus importantes. Il ne s’agit peut-être pas encore d’une guerre ouverte à proprement parler, mais il s’en faudrait de peu pour que cela devienne le cas… Pour elle, la pilule est difficile à avaler. On pourrait même dire qu’elle reste coincée en travers de sa gorge. Des semaines se sont écoulées, mais il ne se passe pas une journée sans qu’elle ne repense pas à cette nuit terrible à Queenstown. Ce ne sont pas les hommes qu’elle a tués qui la hantent ; oh non, certainement pas. Mais elle voit, encore et encore, Ao’Ao mourant dans ses bras. Comme un film qui se répéterait en boucle dans son esprit, à chaque fois que ses paupières sont fermées. Si son époux semble vouloir passer à autre chose, c’est bien plus compliqué pour Rosalyn. Si elle n’avait pas été enceinte, sans doute aurait-elle était capable de partir en véritable vendetta. Contre Alexis, l’Hydre et tous les responsables de l’attaque. Mais le temps, et surtout Ao’Ao, était parvenu à la convaincre de faire preuve de retenue et de finesse. Pour autant, l’Anglaise n’en resterait pas là. Sa vengeance, elle l’aurait tôt ou tard. Du temps, les immortels en ont à foison. Alors qu’importe qu’elle doive attendre un an, un siècle ou un millénaire. Sa rancune est aussi tenace que l’indulgence de son âme sœur. Si cela n’avait tenu qu’à elle, ils auraient quitté Oslo aussitôt la réunion terminée. Mais Ao’Ao avait quelqu’un à avoir, alors bon gré mal gré, elle a accepté de prendre son mal en patience, à condition qu’ils embarquent pour le premier vol pour Hawaï dès son retour. En attendant, elle s’est installée dans un café fréquenté en plein centre-ville, au milieu des nombreuses boutiques de souvenirs. Elle a commandé un thé et s’est résolue à patienter en attendant le retour de son âme sœur.

Rosalyn ressent sa présence avant qu’il n’entre dans son champ de vision et tout son corps se tend comme la flèche d’un arc. Ses mâchoires se contractent et ses doigts se serrent si fort autour de sa tasse de thé qu’elle la relâche pour éviter qu’elle éclate entre ses mains. Lui. Il ose. Son regard glacial le suit lorsqu’il tire une chaise et s’installe nonchalamment en face d’elle, comme si elle l’y avait invité. Elle se sent blêmir puis rougir de colère, animée par la volonté de lui sauter à la gorge toutes griffes devant. Au lieu de cela, elle se contente de l’assassiner du regard et de répondre à ses politesses sur un ton aussi froid que sec. « Donne-moi une seule raison de ne pas t’écorcher vif ici et maintenant. Peu m’importe qu’il y ait des témoins. De toute façon, tu as toujours eu besoin d’une audience, non ? » Une grimace tord le coin de ses lèvres. Depuis combien de temps ne s’étaient-ils pas retrouvés face à face ? Trop longtemps. Pas assez longtemps. Rosalyn n’est pas sûre d’avoir la bonne réponse à cette question et au fond, cela n’a pas beaucoup d’importance. « Tu ne manques vraiment pas d’air. Oser te montrer ici… Je ne sais pas si c’est du courage ou de la pure stupidité. À moins, peut-être, qu’il ne s’agisse de cette bonne vieille culpabilité ? » Rosalyn étouffe un rire moqueur. Elle dévisage Alexis de haut en bas et sans surprise, elle le trouve inchangé. « Oh, tu veux parler, hein ? Cette option ne t’était pas envisageable avant, hm ? Avant que tu ne lâches ta bande de chiens enragés sur nous ? Avant de faire tuer Ao’Ao ? » Sa gorge se serre. Elle repousse les réminiscences de cette nuit-là dans un coin de son esprit. « S’il te voyait là… Même lui en perdrait son sang-froid. Et crois-moi, c’est avec grand plaisir que je le regarderais te balancer à travers la pièce comme une poupée de chiffon. »

Et même en le bousculant ainsi, il ferait preuve de bien davantage de clémence que son épouse. Est-ce pour cette raison qu’il est venu ? Pour tenter de la convaincre de l’épargner ? Il sait, après tout, ne pas être le seul immortel rancunier de leur constellation. « Tes raisons, tes objectifs, tes desseins, je m’en moque. Je m’en moque parce que rien de ce que tu me diras n’effacera ce que tu nous as fait endurer. » Cette nuit-là et toutes celles ayant suivi. Rosalyn secoue la tête et ses mains se portent sur son ventre rond. « Tu le savais… Tu savais que j’étais enceinte, et ça ne t’a pas arrêté. Pas assez vite, en tout cas. Est-ce que tu sais… Est-ce que tu as la moindre idée de ce qu’Ao’Ao a été obligé de faire pour protéger cette enfant ? Est-ce que tu t’en soucies seulement, Arnaud ? » Elle sait combien il déteste son prénom de naissance. Et c’est précisément pour cette raison qu’elle se plaît à l’employer. « Non, bien sûr que non ! Si c’était le cas, tu n’aurais pas agi ainsi. Je ne sais pas quels mensonges tu te répètes pour te convaincre d’avoir bien agi, mais tu te trompes. Et très franchement, tu veux que je te dise ? Go to hell. »

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