— rosalyn blackthorn (00447644668891)

Hawaï, début juillet 2021, nuit noire. Lucian est pas encore tout à fait dans les bras de Morphée, donc lorsque l’écran du téléphone s’allume, la lumière qui illumine la chambre le tire de sa somnolence. En temps normal, il aurait juste retourné l’écran lumineux contre la table de nuit en grommelant dans sa barbe. Mais ce soir, il a cette petite intuition qui lui dicte de tâtonner dans le noir et de mettre la main sur le cellulaire. Il plisse les yeux pour déchiffrer le texto. C'est important... et urgent. Ha. Bon … Ni une, ni deux ; le voilà qui s’assoit sur le matelas et se cale contre la tête de lit. Il appuie sur les touches d’appel rapide, enclenche le haut parleur et titille du pied d’un œil distrait son chien qui vient de le gratifier d’un regard peu amène – lui aussi vient d’être réveillé. Il lui tire la langue et marmonne que c’est pas lui, c’est madame ; pile au moment où la fameuse Madame décroche. « Aloha chaton. » qu’il ronronne d’un ton enjôleur « Tu sais quand j’t’ai dit de me réveiller à n’importe quelle heure de la nuit, j’m’attendais à des écrits plus caliente » la taquine-t-il, avant d'enchaîner d’une voix plus sérieuse, mais empreinte de douceur, rassurante, « Qu’est-ce qu’y t’arrives ? ».

Il entend qu’elle prend une profonde respiration à l’autre bout du fil et que le court silence qui suit est palpable. Plus intrigué qu’inquiété, il attend patiemment les explications. Foi inébranlable envers son épouse. « Oh, merde… » La grossièreté lui tire un petit sursaut et il échange un coup d’œil avec Darwin, l’air de dire dis donc, quelle charretière ta maitresse, t’as entendu ça. C’est que les jurons, souvent dans un mélimélo d’hawaïen et d’anglais américain, sortent bien plus souvent de sa bouche à lui. Apprenant qu’elle se sait suivie, il se redresse, surpris. Il compte sur les doigts d’une main les occasions où elle lui a demandé de l’aide et les trémolos dans sa voix commencent à l’inquiéter. Mais il est tellement loin de s’imaginer la suite que la nouvelle lui tombe dessus par surprise et le laisse sans voix. « Je crois… Je crois que je suis enceinte. Enfin non, je ne crois pas, j’en suis sûre… Je suis enceinte, Lucian. » Quelques mots sacrés lui échappent en hawaïen, sorte de prière murmurée puis c’est le silence. Il s’est levé et est sorti sur la pergola de leur chambre, tout en appuyant frénétiquement sur la petite caméra qui s’affiche en haut de son écran. Lorsque facetime se déclenche, il est assis sur le bord de la terrasse à pilotis, les pieds dans l’eau, le visage faiblement éclairé par la lune gibbeuse et les constellations étoilées. « Désolé, je …  j’avais besoin de te voir, wow … mais, enfin » Il ne sait plus quelle information traiter en premier. La grossesse. Le fait qu’elle ai besoin d’aide. C'est rare de le voir bouche bée, sans aucune répartie. Il a un sourire de benêt béat qui commence à s’étirer sur son visage qui vient rivaliser avec le toc qui le fait se mordre la commissure des lèvres lorsqu’il est préoccupé. « Ca va ? La fatigue, les nausées ; tu t’en sors ? » Et puis, il commence à pianoter sur son téléphone en gardant un œil sur le petit rectangle où elle s’affiche en haut à gauche de l’écran. « Je dois pouvoir … C’est où déjà c’trou paumé, Hey-aï-x, Mars … i-aïle ? Questcequecestquecesnomsdemerdelà » Il a jamais brillé par ses talents linguistiques Lucian. Ca doit bien être le seul parmi les immortels. Les listing Google Flight s’affichent et il marque un arrêt « Ha oui, 24h de vol quand même. J’espère que t’es pas trop pressée, chaton … Y a un vol qui part à 17h … je peux être là dans deux jours. » .

Passée l’euphorie de l’instant, l’entendre évoquer ses inquiétudes l’alarme. Comme toujours, il la laisse prendre les décisions. « Ha, Londres. Ok. » On retourne toujours à la pluvieuse. Google Flights s’actualise « Vol à 8h … ca va être juste. » dodeline-t-il de la tête en validant l’achat quand même. Il retourne dans la chambre et ouvre les portes du dressing. Téléphone coincé en équilibre sur une commode, il enfile quelques vêtements à la rache, chemise hawaïenne criarde tête la première. Un vieux sac de voyage en cuir est jeté sur une banquette, puis il y balance en vrac caleçons et t-shirt en parlant tout seul. « Mon passeport, mon passeport … » Elle l’accompagne dans la salle de bain où il se brosse rapidement les dents avant de fermer sa trousse de toilette. « Tu sais, quand je t’ai dit que je voulais bien que nous ayons un autre enfant, je ne pensais pas… Oh for fuck’s sake ! Je ne pensais pas que tu marquerais un but du premier coup ! Et oui, j’ai bien conscience du double sens de cette phrase, inutile de me le faire remarquer ! »  Il manque d’éclater de rire et de recracher toute la mousse de dentifrice sur le miroir qui lui fait face. Jette un coup d’œil faussement scandalisé au téléphone « Dites donc, madame la duchesse … je suis proprement scandalisé » « Rejoins-moi vite, c’est tout ce que je veux… » Il reprend son sérieux et vérifie dans ses mails que la confirmation de vol est bien arrivée. « Je suis là demain, en fin de matinée. Ça va aller mon amour, t’inquiètes pas. » C’est du vent, il ne peut pas savoir si tout va bien se passer. Mais en même temps, lui rajouter des inquiétudes n’avanceraient pas le schmilblick pour autant. Il s’affaire dans la maison, téléphone en main, pour préparer son départ.

Il désactive la caméra pour ne laisser plus que le haut-parleur, soucieux de ne pas lui donner des hauts-le-cœur alors que le téléphone est trimballé d’un coin à l’autre de la maison. Se saisissant du sac de voyage, il passe dans l’entrée et farfouille les tiroirs à la recherche de son passeport. « Peut-être… Peut-être que nous pourrions retourner à Queenstown ? Je sais, je sais, c’est le début de l’hiver, là-bas, mais c’est sûr… » La proposition suspend ses recherches un instant. Il a bien envie de débattre pour rester à Hawaï, mais l’hiver sera probablement plus simple à supporter pour elle alors il finit par acquiescer. « Non, t’as raison. Queenstown ça sera plus simple. » « N’oublie pas de confier Darwin aux voisins. » « Je vais le déposer chez Keanu en partant ». Son tatoueur risque d’avoir une sacrée surprise en entendant la sonnette de si bonne heure.  « Je reviendrai le chercher en bateau quand on sera installé. » La perspective d’une petite virée en haute mer ne manque pas de le réjouir. Il promet de garder le secret, même si lui a plutôt envie d’inonder leurs réseaux de communication d’émoticônes allusifs et de gifs de feux d’artifices. « Et essaie de ne pas te tromper d’avion, mon amour, tu sais comment tu es quand tu es un peu… Distrait. Ne te retrouve pas dans le mauvais pays. » Un petit silence boudeur s’ensuit, même si il sait qu’elle n’a pas tort, mais elle se rattrape avec une déclaration qui ne le laisse pas indifférent. Deux fois en deux mois. C’est rare. Il y répond en hawaïen, rituellement comme il en a l’habitude, il répète son attachement. Et puis vérifiant le contenu de son sac une dernière fois, il le boucle. Un coup d’œil à sa montre lui indique qu’une quinzaine de minutes ce sont écoulés seulement depuis qu’il a ouvert l’œil. « Bon, chaton. J’ai un peu de route, je dois changer d’île, déposer le chien et faire semblant d’arriver trois heures à l’avance à l’aéroport pour avoir le temps de monter dans le bon avion … je vais te transférer le mail de confirmation d’ailleurs. » Il fait le tour des pièces pour fermer fenêtres et stores puis il prend la porte d’entrée qu’il verrouille derrière lui. « Je monte dans la voiture, ca va couper. » Il balance le sac sur le siège passager et le téléphone sur le tableau de bord, puis se hisse sur le siège conducteur du pick-up. La transmission vacille légèrement lorsqu’il met le contact et que le téléphone se connecte au kit main libre puis l’instant d’après il entend l’accent anglais de son épouse dans les haut-parleurs. Avant de se mettre en route, il transfère le mail comme promis, suivi d’une litanie de smiley. Et puis le tout-terrain longe la côte et s’éloigne du réseau téléphonique « Prend soin du têtard, j’arrive bientôt. » promet-il avant que la communication ne coupe.