say could that lass be I (maïa)

23 mars 1889 Elle hurle, ses poumons se chargent de cette nouvelle sensation qui la brûle, qui la tire, qui lui donne l’impression de mourir à mesure que l’exercice se répète. Elle vit. Et de cette vitalité, elle puise ses forces pour s’accommoder de ce qui va s’offrir à elle. Elle ne s’en souvient pas, comme personne n’est capable de le faire. Mais elle reconnaît déjà la voix de sa mère, de celle qui l’a porté durant neuf mois, celle de son père, celui qui l’a attendu tout autant. Autour du lit, sa vision loin d’être nette, elle distingue des auras, des silhouettes. Un frère et une sœur, un grand-père, une sage-femme. Certains pleurent de joie, d’autres expriment une sorte de dégoût devant la scène, mais Maïa est bien là, prête à vivre dans sa famille. 15 mai 1897 Le nourrisson n’est plus depuis longtemps, devenue une petite fille fougueuse, elle croque la vie à pleines dents. L’école se termine et comme d’habitude, la petite fille aux boucles brunes court en direction de son foyer. Au rez-de-chaussée, son père, charron, trempe l’acier dans le seau d’eau duquel surgit cette odeur si particulière qu’elle a appris à aimer. Elle le salue en vitesse et sans même jeter un regard monter les marches deux par deux pour rejoindre sa mère. Sa sœur est déjà présente, en train de préparer le linge que toutes les deux s’apprêtent à plier. La vie est ordinaire ici. Elle s’accompagne de rires, de pleurs, de joie, de tout ce qui rappelle combien la normalité est source d’inspiration. Ils ne sont pas riches, mais ne sont pas pauvres non plus. Parce qu’ils sont tous ensembles et qu’ils se respectent. 1er septembre 1904 Maïa ajuste le tablier que la religieuse vient de lui confier. Son premier jour en tant qu’élève dans ce couvent. Elle l’a attendu avec impatience mais craint de ne pas être à la hauteur. Son frère l’a pourtant rassuré avant qu’elle ne parte, mais rien n’y fait. Alors elle souffle comme il le lui a appris. Les yeux fermés, elle essaie de se recentrer sur l’instant présent pour oublier ses angoisses et elle souffle plus fort. Lorsqu’elle rejoint les autres apprentis, sa réserve naturelle la guide vers l’un des coins. Elle ne veut pas se mettre en avant, mais une chose est certaine. Après cette première journée, elle sait qu’elle deviendra infirmière. 16 juillet 1915 Sa main tremble, les sanglots l’ébranlent devant les mots qu’elle découvre. Son frère s’engage et part pour Paris le mois prochain. Prêt à défendre une cause qui lui semble juste. Tante depuis dix ans, elle sait que les enfants de son frère son assez âgés pour subvenir à leurs besoins, mais il n’en reste pas moins qu’elle craint pour la vie de son frère. Alors elle n’hésite pas une seconde de plus. Elle signe elle aussi pour apporter son aide, pour peut être protéger son frère. Elle ne veut pas qu’il soit seul à endurer cette tempête. 4 août 1916 En pleine course, les mains ensanglantées, les cheveux défaits, elle se hâte pour sauver la vie de ce soldat à peine ramené des tranchées. Son bras ne tient que par des ligaments, le docteur est formel sur la décision : l’amputation. Elle le tient comme elle le peut, lui offre des attentions délicates pour qu’il s’apaise. Elle le sait, la douleur sera telle qu’il finira par tourner de l’œil, comme les autres. La boucherie est un nom bien faible en comparaison de ce qu’ils vivent au quotidien. Maïa n’a pas d’autre choix que de serrer les dents, de voir au-delà de ce à quoi ils sont confrontés, parce que ces hommes ont besoin d’elle. Le pire reste le réveil, l’état de choc, les convulsions et la fièvre. Le pire est omniprésent depuis que sa sœur lui a envoyé cette lettre en janvier dernier. Depuis qu’elle sait que son frère est tombé. 24 décembre 1917 Noël, les soldats sont usés, éreintés, complètement exténués. Ils ne veulent qu’une chose que cela s’arrête. Les permissions pleuvent et comme toutes celles qui n’ont pas d’enfants, Maïa est réquisitionnée. Le temps n’est pas à la fête et pourtant certains essaient de pousser un peu la chansonnette dans l’attente de retour. Jusqu’à ce qu’ils n’entendent plus rien. Ce silence à la fois pesant et libérateur. Cette délivrance d’une nuit froide. Les chants s’intensifient, l’esquisse de quelques sourires se dessinent sur le rebord des lèvres. La trêve dure l’espace d’une nuit, mais cela lui fut suffisant pour dormir. [1919] L’année qui marque un tournant décisif. L’année de sa mort, l’année de sa renaissance. Affectée dans l’hospice de Lombardie, Maïa transpire, court, suffoque derrière le linge qu’on lui demande de mettre sur son nez et sa bouche. L’épidémie sévit le monde entier et n’a pas épargné son pays natal. Fort heureusement, sa famille ne déplore aucun cas de la grippe. Tous en sureté, tous, continuant de vivre pleinement cette vie qui leur plaît. De son côté, la petite brune de vingt-neuf ans a tout mis de côté pour aider son prochain. La guerre est terminée et la voilà repartie sur un autre front. Elle tient des mains au moment les plus difficiles, elle accompagne les âmes qui s’épuisent. Elle abreuve ceux qui ont une soif sans fin. Et elle ne sent pas les premiers signes de sa propre infection. Trop aveuglée par son métier, elle accuse le coup de la fatigue, lui donne des excuses jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Ses forces l’abandonnent jour après jour, sa faim n’est plus. Elle n’en garde rien. Tout devient douloureux même respirer l’est. Elle finit par s’éteindre dans son sommeil. Prête à ne jamais se réveiller, encercler par la noirceur, elle ne veut plus revenir vers la lumière, cela est trop dur. Le silence est apaisant, reposant, elle s’y abandonne des jours durant. Combien de temps ? Elle est incapable de le dire, mais elle sait que cela dure depuis plus de cinq jours. Lorsque ses yeux s’ouvrent, lorsque ses poumons l’épuisent à nouveau, elle est enfermée dans un étau de bois. Son propre cercueil. Elle frappe, tente tant bien que mal de pousser de toutes ses forces pour sortir de là. En vain. Elle n’arrive qu’à s’épuiser, suffoquer, s’éteindre. Une fois, deux fois, six fois… Combien de temps jusqu’à ce que quelqu’un ne l’entende sous ce monticule de terre ? Elle finit par comprendre que personne ne viendra, que c’est à elle de s’y en sortir. Alors elle gratte pendant plusieurs semaines. Se meurt, se réveille, crache de la terre, se meurt, souffre, gratte, se réveille, se meurt, gratte, se réveille, se raccroche à un filet d’oxygène, se meurt, se réveille, sort de ce trou. Elle se sent seule, désemparée, couverte de terre, affamée, ses ongles ont eu le temps de repousser comme si rien ne s’était passé. Elle a peur de ce qu’il se passe. Ses jambes la supportent difficilement au moment où son linceul se redresse avec elle, elle accourt vers la première chapelle qu’elle voit. Demande asile. Trouve refuge. 28 juin 1921 Le monstre vit cachée dans un abri. Maïa n’ose plus ou que très peu sortir et se confronter à la société. Elle est morte et pourtant toujours en vie. Des flashs lui viennent régulièrement en rêve au point qu’elle ne sait exactement s’il s’agit de la réalité ou non. Une femme finit par la rejoindre et lui explique véritablement ce qu’il se passe. Qu’elle est une immortelle, qu’elle appartient à une constellation, et qu’elle est sa descendante. Surprise, la jeune femme ne croit pas un mot de tout ceci et pourtant. Il lui suffit de la regarder pour trouver certaines similarités, familiarités. Elle comprend que quelqu’un a décidé de lui conférer ce droit. Mais elle doit apprendre tout ce que cela demande comme sacrifice.  8 décembre 1941 Les sirènes se sont tues depuis l’attaque de la veille. Les blessés arrivent encore en nombre et comme à son habitude, Maïa continue sa vocation. Son travail est devenu sa vie à part entière. Elle cherche à soutenir le plus possible, aider le plus possible et sait qu’en agissant ainsi, elle rend hommage à son frère. Les années ne se voient ni sur son visage, ni sur son corps entier, pourtant, elle découvre des changements notoires entre ce qu’elle était et ce qu’elle est aujourd’hui. [1970] Les années de beaucoup de changements. Les années qui marquent un véritable tournant dans la face du monde mais aussi dans les intellects de tous. La Milanaise participe a de nombreux congrès en tant qu’auditeur libre pour en apprendre un peu plus sur l’hypnose. Cette méthode l’intéresse, l’interpelle alors qu’elle se sait doté d’un petit plus dès qu’elle désire persuader une personne. Alors elle s’interroge sur les meilleurs remèdes pour affronter la douleur et quoi de mieux que le psychique ? Elle observe beaucoup les méthodes employées, ose même devenir cobaye si un professeur le demande. Et c’est grâce à cela qu’elle commence sa pratique. Elle la perfectionnera à travers les décades pour devenir un maître en la matière. Elle se sert de ceci pour ses patients dans le besoin, pour ceux qui demandent juste un peu de répit devant le combat qu’ils affrontent au quotidien. Peut être leur offre-t-elle un moment de paix ? 11 septembre 2001 Elle traverse la rue au moment où le vacarme gronde et s’écrase. La tour de fer et de verre vacille, menace et tombe. C’est pendant ce laps de temps que Maïa perd tout contrôle. Que les cris percent ses oreilles, que la fumée l’étouffe, que la noirceur l’aveugle, que le goût des cendres l’empêche de reconnaître le reste. Elle panique, s’effondre à son tour. Les décombres sont pourtant éloignés, mais cela ne l’empêche pas d’être une victime de cette horreur. Elle fuie, court aussi vite que ses jambes peuvent le faire, rentre dans un taxi et demande à quitter la ville. Et lorsqu’elle le peut, elle appelle à l’aide à Caitriona. Elle a besoin d’elle pour comprendre, pour savoir comment elle peut contrôler cela. 31 octobre 2015 La fête d’Halloween anime les rues d’Athènes. Elle y vit depuis 2002 et trouve ici une paix sans précédent. Elle pratique son métier, reste anonyme et attend simplement que le temps passe. Elle n’est qu’une ombre invisible, qu’une pauvre vieille fille que beaucoup ne voient pas. Mais cela lui convient. [2021] Les songes la coupent de Caitriona, Maïa comprend que quelque chose est en train de se passer et décide de la retrouver pour qu’ensemble elles puissent affronter cela. Pour l’heure, elle ne sait rien au sujet des pouvoirs de son ancêtre, mais une chose est certaine, elle la protègera coûte que coûte.