Elle ne sait exactement s’il s’agit de l’impatience ou plutôt du soulagement. Eprise entre ces deux états d’âmes depuis qu’elle sait, depuis qu’ils l’ont découvert et qu’ils ont pris plaisir à s’organiser ensemble afin de
la retrouver. Astra, sa meilleure amie, celle dont elle n’avait plus eu de nouvelles depuis de trop longues et nombreuses semaines, celle qu’elle avait cherché, celle dont elle avait eu le sentiment de l’avoir abandonné après la découverte. Les remords l’ont rongé, la rongent encore alors que la scène voile ses yeux pour quelques secondes supplémentaires. Maïa se sent horrible, monstrueuse, parée dans ces vêtements censés les réchauffer, mais dont les mélanges de composition textiles lui donnent l’impression de la démanger. Est-ce réellement le polyester cotonneux ou plutôt ce mal-être qui l’imprègne, qui l’effraie ?
« Mmh ? » La voix de son frère l’extirpe de sa réflexion, la ramène à la réalité et l’interroge de la même manière que lui.
« Si j’ai bien compris ce que j’ai appris, elle l’est depuis pas longtemps… » Comme Charles, un point commun qui la rapproche de ce sentiment de joie. Est-ce lui ? Est-ce elle ? Pour l’heure, la Milanaise rougit à l’idée des retrouvailles du trio.
« Hum… Elle sait que je le suis, donc elle risque de faire le rapprochement avec toi. » Sa bouche mime une mince grimace digne d’un « oups » retenu, même si elle sait au fond d’elle que Camille ne lui en tiendra pas rigueur. Pas lui. Pas alors qu’ils partagent ce même sentiment d’amour fraternel et s’il y a bien une chose qu’un frère et une sœur sont capables de s’offrir, c’est bien le pardon.
« Quant à sa disparition, à part te dire qu’elle a suivi Erik que je soupçonne être comme nous, je n’en sais rien. » Elle admet ses lacunes sur le sujet et espère obtenir des réponses au moment où ils pourront tous se retrouver. D’ailleurs, elle envisage déjà croiser ce fameux Erik, cet homme dont elle a tant entendu parler de la part d’Astra sans pouvoir mettre un visage sur le prénom. Ce dont elle est certaine c’est qu’elle ressent de l’impatience mais également une pointe de méfiance qui émane aussi bien de ses propres appréhensions que de celles de son frère.
Mais pourtant ressentir cet apaisement de la savoir vivante, certainement en sécurité, puisqu’isolée du reste de la population, parvient à faire tomber les quelques craintes qu’elle préserve. Et puis, la compagnie de Camille l’aide énormément à tout affronter. Toujours à ses côtés dès lors qu’elle le lui demande, la petite brune se sent en sécurité. D’accord, elle le connaît pour ses critiques gastronomiques et sait qu’il est parfois sévère. Mais cela ne lui enlève en rien cette douceur et tendresse qu’il dégage et dont elle trouve un réel refuge dès l’instant où ses yeux croisent les siens. Oh elle l’aime Camille, elle l’aime comme un véritable, comme celui qu’elle a perdu depuis des décennies aujourd’hui et dont son cœur pleure encore son absence. Alors elle se laisse bercer par sa bonne humeur, s’autorise à se confier sans trop développer – tant elle connaît l’engouement qu’il risque d’en retirer- au sujet de Charles et accepte volontiers les mêmes confidences lui être offertes en retour. Ils s’amusent, rient, découvrent également un pays dont il n’avait conçu que les clichés qui le définissaient. Surtout, ils partagent ce froid que tous les deux détestent. Cela les rapproche un peu plus encore, au point que Maïa sait déjà quelles petites anecdotes elle pourra partager à la constellation Antinoüs lorsqu’ils se retrouveront. Les paysages défilent depuis l’habitacle du véhicule, beaux, pareils à des toiles dont les couleurs vivaces rappellent des nuances écarlates. Jusqu’à ce que le rire réchauffe son cœur.
« J’avais toujours cru qu’ils se servaient de ces roches uniquement pour leurs saunas. Et pour les desserts… Est-ce que tu tiens réellement à ce que je te rappelle l’Ambassadeur et ses fruits confis trop cuits qu’on mangeait quand on était petit ? » Elle lui lance une œillade amusée puis mime un dégoût marqué sur son visage. Dieu qu’elle avait horreur de cette pâtisserie, enfin à cette époque précise, car aujourd’hui tout était bien plus raffiné et plus léger.
« Je pense sincèrement que les peuplades nordiques ne sont pas du tout les plus raffinés en terme de goût. Mais heureusement pour eux, c’était avant de te connaître. » Doucement sa main vient effleurer ses cheveux pour lui ébouriffer d’une manière amicale.
Arrivés à destination, l’immortelle sent son estomac se retourner devant l’appréhension. Elle ne sait exactement ce dont ils vont découvrir et espère que cela sera de l’amitié. Bien sûr, elle ressent cette même appréhension chez Camille et lui offre un sourire bienveillant chargé d’un certain courage. Elle s’empresse de réceptionner la main du jeune homme et cherche du regard l’endroit d’où le cri eut l’air de jaillir.
« Ne t’inquiète pas, les loups n’attaquent jamais aussi proches d’une habitation. Et puis, ça m’avait tout l’air d’être un élan. » Elle n’est pas une fine connaisseuse mais cela ne ressemblait en rien à un aboiement. Espérant l’avoir convaincu, elle se contente de caresser doucement la main de son frère à l’aide de son pouce alors qu’ils rapprochent la distance qui les sépare de la porte. Un soupir chargé d’une certaine angoisse quitte ses lèvres jusqu’à ce que ses yeux ne deviennent aussi ronds que le ventre de sa meilleure amie au moment où tous les deux la découvrent. Maïa relâche d’instinct la main de Camille, fixe surprise la scène et ne peut retenir son ravissement depuis son sourire qu’elle laisse se dessiner volontiers sur les recoins de ses lèvres. Astra est bien là, devant eux, en vie et rayonnante. Son cœur ne fait qu’un tour contre sa poitrine devant cette réalité, et puis le naturel et l’aisance de son frère l’invite à se rassurer, à croire que peut-être que les choses ne sont pas aussi difficiles que ce qu’elles n’y paraissent.
« Tu es… » Les mots lui manquent, surtout après ceux de Camille, parce qu’il avait raison sur toute la ligne.
«… magnifique Astra. » Et puis le rythme semble s’accélérer d’un coup devant les félicitations à peine données par son frère. Elle se retient, Maïa, d’agir de la même manière, de franchir la distance pour prendre sa meilleure amie dans ses bras à son tour. Car elle ne sait exactement si elle en dispose le droit. Alors, elle se retient, reste à son habitude en retrait et se contente de sourire avec énormément de gratitude envers elle ne sait quelle force supérieure pour avoir la chance de la savoir en sécurité.
« Nous avons pris des précaution pour venir jusqu’ici. » Elle tient à la rassurer sur ce point précis, puisqu’ils sont tous les deux ignares de ce qu’ils traversent.
« Oh oui, surtout sur le fait que les Suédois n’ont pas d’estomac mais un truc en chantier avec ce qu’ils mangent. » Elle essaie de rire de la situation, juste pour prouver qu’elle ne lui en tient pas rigueur pour son silence, pour son absence.
« On est tellement heureux de te voir. » Parce qu’il s’agit bien là de la vérité toute entière.
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