(quiet when i'm coming home)

[ 1979 — 27.12 ] naissance. premier enfant et unique fille de dominique et lucienne le guiniec. premières années heureuses, passées en bord de plage, dans une petite maison avec un étage et un vieux chat noir obèse. [ 1985 ] naissance d'aodren. le petit frère adoré, de six ans son cadet, petit paquet de couvertures bleues et de cheveux bruns en épi dans les bras de leur mère. estelle est subjuguée par une si petite créature, tombe sous son charme à l'instant où maman le pose dans ses bras. elle se fait la promesse, à six ans, de le protéger quoi qu'il arrive. [ 1988 — 14.03 ] neuf ans. c'est la semaine des métiers à l'école, et il y a un policier qui vient se présenter à sa classe. il doit avoir une trentaine d'années, pas qu'elle soit particulièrement adepte à juger l'âge des gens, et il a de la passion dans la voix quand il parle de son métier. estelle rentre à la maison avec des étoiles dans les yeux et babille à son père en disant que quand elle serait plus grande, elle serait policière, et elle jettera des méchants en prison. un rêve réalisé, depuis. [ 1992 — 07.10 ] treize ans. ses parents l'embarquent dans un club de boxe local dans l'espoir que ça lui permette de vider ce trop-plein d'agression. estelle ne voit que la possibilité de mieux protéger son frère dans ces cours. [ 1994 ] première année de lycée. elle part pour un baccalauréat général, quand elle aurait sans doute été plus confortable dans quelque chose de technique, pour faire quelque chose de ses dix doigts. les études l'ennuient, mais elle maintient une moyenne relativement honorable pour ses trois dernières années d'études. [ 1998 — 28.08 ] le bac en poche. dix-huit ans à peine, elle se présente au concours de gardien de la paix. le réussit, rejoint la police nationale, un sentiment de fierté incroyable dans la poitrine alors qu'elle enfile pour la première fois son uniforme. un idéal de justice qui va lentement, mais sûrement, s'effondrer. [ 2002 — 05.01 ] vingt-deux ans, quatre ans de boulot derrière elle, et cette enquête sur une série de cambriolages est la première d'une longue série de désillusions amères. les collègues trouvent un sdf quelconque, lui collent une étiquette de coupable, bouclent le dossier sans que ça ne semble leur poser un quelconque problème de conscience. les cambriolages continuent. personne ne cherche à trouver le vrai responsable. peut-être que la justice n'est pas si incorruptible qu'elle le pensait, finalement. [ 2009 — 23.06 ] elle rencontre julien un peu par hasard. les relations en général ne sont pas son fort, celles amoureuses encore moins, préfère se focaliser sur son boulot, sur l'examen de brigadier. c'est un vrai hasard, cette rencontre à la boulangerie, presque sortie tout droit d'un de ces films romantiques qu'elle déteste absolument. mais julien lui coupe le souffle, lui donne l'impression d'être redevenue adolescente, sans le moindre poids sur les épaules. estelle tombe dans ses bras bien volontiers. une autre erreur qu'elle aurait dû voir venir. [ 2010 — 08.02 ] mariage hivernal. l'alliance à son doigt brille de simplicité, une simple bande dorée sertie d'une émeraude unique en son centre. la robe est lourde et la gêne plus qu'autre chose, mais elle est sublime, et pour une fois elle a un sourire jusqu'aux oreilles, même devant sa mère qui secoue la tête et son père qui reste lippes pincées. tout le monde dit que c'est trop rapide, pas assez réfléchi, mais estelle s'en moque royalement. elle est mariée à l'homme qu'elle aime, s'est rarement sentie aussi heureuse. elle aurait dû se douter que ça ne durerait qu'un temps — l'amour ne dure finalement que cinq ans. [ 2015 — 17.11 ] ça fait pas loin de six mois qu'ils n'arrivent plus à se parler sans que ça finisse en engueulade. les mots qu'ils échangent ont le goût de poison fatal, et aucun d'entre eux ne veut ranger ses crocs, cobras fiers qu'ils sont. quand julien lui ramène les papiers pour un divorce, elle est furieuse de ne même pas être surprise. juste déçue. profondément déçue, la boule dans la gorge et l'amertume dans chacun de ses gestes. le divorce se finalise en novembre. elle part de sa bretagne adorée quelques semaines plus tard, son alliance comme un poids sur la chaîne autour de son cou. change de paysage, comme pour laisser tout souvenir de ce mariage loin derrière elle. finit à lyon, après un postulat victorieux auprès d'interpol. la flicaille ne lui manquera pas. elle préfère se jeter corps et âme dans le combat contre le crime organisé. peut-être qu'elle pourra oublier, comme ça. [ 2017 — 10.05 ] il y a le gang du petit bar, en corse. pires que des cafards, difficiles à extraire de leurs trous, pourtant il y a un détail dans ce dossier épais comme son poignet qui continue de la travailler même quand elle rejoint son deux-pièces le soir venu. un détail que sa hiérarchie trouve insignifiant, mais qui permet de lier une tentative de meurtre de ce dossier à un autre dossier, puis à un autre. des trafiquants d'armes, qui échappent à l'oeil pourtant sévère d'interpol depuis des années. pourtant sa hiérarchie refuse de faire quoi que ce soit à ce sujet, et estelle découvre, enfin, que même les plus hauts pouvoirs ne sont pas à l'abri de pots de vins. la bile lui gratte la gorge dès qu'elle se permet d'y penser. et puisque sa hiérarchie refuse de faire quoi que ce soit, elle s'y collera, même si elle doit faire le boulot seule — et pas forcément légalement. [ 2021 ] la vie continue. elle continue de s'accrocher à pleines dents à ce foutu dossier de trafic d'armes, s'engueule avec sa hiérarchie, garde un oeil vague sur la disparition de cordelia fawkes. continue de fourrer son nez de plus en plus profondément dans des histoires qui ne lui attireront que des emmerdes — mais ça, elle n'en a pas encore conscience.