Dante - Maybe I'm a good guy, standing on the wrong side

[1510] La région de Lombardie accueille les jumeaux italiens. Si Gabriella a su rapidement trouver chaussure à son pied en termes d’occupation, ce n’est pas forcément le cas pour Dante, qui n’a jamais vraiment su quoi faire de sa vie depuis qu’il est né. Amoureux de sa ville natale depuis toujours, quitter Rome pour se positionner dans d’autres cités lui impose comme un mal énigmatique, ne trouvant aucun remède pour le soigner. Considéré comme un bon à rien, le jeune homme de l’époque se contente majoritairement de suivre son aînée plus âgée de quelques minutes, qui a toujours été plus assurée que lui. Buvant à outrance et pariant bêtement au sein même de la taverne de sa sœur, l’être semble attendre que le destin se présente à lui, plutôt que de réellement faire l’effort de s’engager quelque part. Les guerres d’Italie font pourtant rage, mais il semblerait que l’homme se refuse à bouger plus encore au sein de son pays, trop désœuvré et peu habitué à être seul pour vraiment considérer cette option. Il sait pertinemment qu’il est un poids, pour sa famille, pour ceux qui daignent le fréquenter, mais Dante n’arrive tout bonnement pas à s’en sortir. Magouillant à tout va, provoquant des conflits inutiles juste pour s’en manger une, quand il ne se ramasse pas un seau d’eau dans la tronche parce qu’il est trop ivre pour marcher droit. On ne peut pas dire qu’il soit fort fréquentable, le bougre. Cherchant les ennuis et laissant sa sœur les résoudre pour lui. Est-ce donc étonnant qu’il ne soit pas capable de voir que son pays pourrait avoir besoin de lui ? Absolument pas. Alors le voilà à faire n’importe quoi, localisé à peine à quelques kilomètres de Milan, ne prenant pas encore conscience de la future bataille qui décidera prochainement de la tournure de sa vie.

[1515] La mort frappe quand on s’y attend le moins. C’est la triste leçon apprise aux dépends de Dante, qui a rapidement regretté de ne pas avoir passé sa journée complètement enivré, comme à l’accoutumée, à la taverne de sa jumelle. Il a suffi de quelques heures d’absence pour que la roue tourne, et drastiquement. Parti gérer ses (mauvaises) affaires à quelques kilomètres du lieu privilégié l’italien n’a rien vu venir. A son retour dans la cité, un villageois l’a hélé, l’âme en peine et les traits complètement déformés. Bien que le bougre ne soit pas forcément apprécié par toute la communauté, la sœur de Dante l’est suffisamment pour que les gens daignent avertir le frangin de l’événement du jour. Les discours sont énoncés avec rapidité, le flot des paroles allant bien trop vite pour faire sens aux oreilles du jumeau quelque peu paumé. On lui dit que des soldats se sont pointés, et se sont un peu trop amusés. On parle de feux déclarés à plusieurs endroits de la cité, et jusque-là, il n’est pas étonné. Après tout, cela fait déjà plusieurs jours que les étrangers ont installé un camp à quelques lieux de leur patelin, c’est donc devenu presque une habitude que les résidents se querellent régulièrement, entre eux mais surtout avec les nouveaux arrivants. Ce qui l’inquiète, en revanche, c’est qu’on le tire par la manche jusqu’au lieu de travail de Gabriella, le suppliant presque de se dépêcher. Sans plus réfléchir, Dante accourt, pour trouver le coin complètement retourné. L’endroit est désolé, comme s’il avait été dévalisé, quelques pleurs retentissant ici-et-là pour appuyer plus encore cette atmosphère sordide. Le sang de l’italien ne fait plus qu’un tour, et d’un geste brusque, il pousse le villageois l’ayant apostrophé, le saisissant par le col en l’exhortant de parler. Le pauvre homme, apeuré, n’est plus en mesure d’émettre un son. A la place, il le guide jusqu’à une zone en retrait, plus isolée, localisée à peine à quelques centaines de mètres de la taverne. Un amas de terre fraichement retourné lui saute aux yeux, et les larmes commencent à couler lorsqu’il réalise. Gabriella n’est plus de ce monde, c’est un fait. Pour autant, Dante refuse de voir la vérité. Tant qu’il n’en a pas la certitude, il n’y croira pas. Alors, tel un chien galeux, il se met à quatre pattes et creuse la terre de ses mains, puisant dans ses forces qu’il n’avait plus utilisé depuis longtemps pour appuyer ses lourds mouvements. Lorsqu’enfin, ses paumes entourent le corps sans vie de sa jumelle, les yeux rendus inexpressifs et le teint complètement livide. L’être n’aura jamais paru aussi brisé qu’à cet instant. Il pousse un hurlement du plus profond de son âme, la douleur tordant sa carcasse d’ivrogne, la colère transformant l’homme en une véritable bête sauvage. Mais avant de jurer de venger sa sœur, Dante décide de l’honorer en lui offrant une sépulture bien plus digne que cette misérable fosse commune creusée par des militaires pressés par le temps. Il murmure quelques prières alors qu’il s’adonne à la lourde tâche d’enterrer proprement son sang et sa chair dans les heures qui suivent, réunissant les citoyens les plus appréciés de Gabriella pour la commémorer une dernière fois.  

[1515] Il ne se passe pas beaucoup de temps avant que la haine n’enveloppe complètement l’italien. Dès le lendemain, l’être cherche à assouvir sa vengeance, et ce, par tous les moyens. Sans trop savoir comment, un plan est finement fomenté. Aux dédales des rues et surtout des soldats, du bon côté, croisés, Dante parvient à en isoler un dans un coin et en fait sa cible privilégiée. Une bouteille à la main, il l’éclate contre le crâne du pauvre gaillard, par chance non protégé, et profite de sa perte de conscience temporaire pour lui voler armure et armes taillées. Bien qu’il faille forcer la pose de ses mailles à même sa carcasse, l’italien n’en a cure, joignant ainsi pour la première fois de sa vie l’armée. On ne peut pas dire que son entrée se soit déroulée dans les normes, et encore moins de manière désintéressée. Car à ce moment, Dante est tout sauf concerné par le sort de son pays, acculé par les français et autres alliés qui cherchent à s’approprier des terres en particulier. Il est seulement habité par cette soif de sang, cette envie de retrouver les assassins de sa sœur fraîchement enterrée. Il n’a pas de noms, pas de visages, juste la couleur de leur blason trahissant leur affiliation au camp ennemi à l’Italie. Comme tant d’autres, il se met alors en marche, paré à affronter les cavaliers et fantassins français, qui non contents de voler leurs terres, se complaisent aussi à voler des vies innocentes. Le regret l’habite, mais plus encore, la fureur. Il se hait pour ne pas avoir été présent, Dante, mais il déteste encore plus de n’avoir pas eu assez de temps. De n’avoir pas pu faire ses adieux à sa jumelle, de n’avoir pas su profiter de son affection comme il aurait dû depuis le début. Alors, oui, l’homme veut en découdre. Il est de la partie, pour le meilleur et pour le pire, jouant des coudes avec d’autres cavaliers désormais obligés de passer à l’offensive. Malgré tout, l’expérience militaire de l’homme est sommes toutes faible, pour ne pas dire inexistante. Quelques moulinets du poignet ne suffisent pas vraiment à maîtriser l’épée volée, et c’est avec difficulté que Dante entre tête la première dans une guerre qui le dépasse largement. Ainsi déterminé, voilà que le bon à rien s’engage alors dans la tristement célèbre bataille de Marignan. Mais il n’en ressort pas vainqueur, loin de là, et s’il a pu dérober des âmes à son tour, complètement aveuglé par sa rage, la mort a fini par le cueillir malgré tout. Assailli de tous les côtés, sa seule colère ne suffit malheureusement pas à le sauver. Les épées le transpercent de toutes parts, et c’est ainsi lors d’un conflit durement mené que l’homme décède, pour la toute première fois.

[1516] De longs mois se sont écoulés depuis l’éveil de Dante. Pour autant, l’italien a perdu la notion du temps. L’âme morcelée, le cœur brisé, il est tout simplement voué à errer en solitaire, n’étant pas capable de justifier sa miraculeuse résurrection. Voilà donc des lustres qu’il marche sans trop savoir où aller, ses pas le guidant au travers de différentes cités sans qu’aucune ne soit capable de le retenir et de l’apaiser. La culpabilité enserre son palpitant, le regret hantant chacune de ses nuits. Quelque part, il se dit qu’il est puni. Mais loin de détester ladite punition, il a appris à l’accepter. Jugeant qu’il a mérité ce châtiment, cette condamnation à perdre ce qui lui est cher et à vivre avec ce tragique sentiment, autant qu’il a choisi de mener une vie lâche par le passé et dont il en doit encore en assumer les conséquences. Les démons dansent donc avec lui, le rendant chaque jour plus acerbe, plus dur aussi. Depuis son réveil au milieu de centaines de corps de soldats et mercenaires engagés dans la bataille de Marignan, l’homme n’est d’ailleurs plus capable de fermer l’œil sans revoir des images d’horreur, s’arrachant à ces cauchemars en poussant des hurlements stridents. Et si on aurait pu croire qu’il s’agit là d’une raison supplémentaire pour noyer ces affreuses visions dans les boissons fortes, il n’en est rien. Dante a accepté son sort, et décide, en toute connaissance de cause, de vivre avec sa souffrance. Le poids de celle-ci paraît pourtant insurmontable, mais le garçon se refuse à faire son deuil proprement. Mourir ne lui a pas suffi, il lui faut désormais faire pénitence en vivant misérablement. Ainsi, quand il la voit, de prime abord il n’y croit pas. Tombant à genoux, il se dit qu’il est victime d’une nouvelle illusion, d’un mirage qui ne fait que témoigner de son désespoir redoublé. Mais lorsque ses bras se referment sur lui, lorsqu’il hume son parfum familier, alors il comprend. Il se met à pleurer toutes les larmes de son corps, tel un enfant surpris et choqué, se laissant doucement bercer. Mais la vie n’a pas voulu le lâcher lui, et il découvre maintenant, tardivement, que son étrange cas est partagé par sa propre moitié. Gabriella le rassure alors, autant émue que lui, et le console doucement, comme elle l’a toujours fait pendant de nombreuses années. Les voilà de nouveau réunis, pour de bon, pour de vrai. Pour le meilleur et pour le pire, et surtout pour ce qui ressemblera à l’éternité à venir.

[1692] Comme tout à chacun, Dante a fini par profiter de son statut d’immortel pour partir à la découverte du monde. Ses pas l’ont ainsi mené plutôt naturellement, quoique pas immédiatement, aux portes de l’Amérique. D’abord intrigué par ce que pouvait offrir ce continent, exploité, pour cette époque, récemment, il a fini par poser ses bagages pour y envisager une vie plutôt calme. Il faut dire que le dernier siècle écoulé l’a fait changer, l’italien. Il a appris à maquiller ses origines, et à devenir un homme, un vrai. Pendant un temps, il a continué à se battre au nom de son pays, avant d’être lassé par les conflits et de reprendre ses promenades vagabondes, traversant les cités pour mieux les révéler. Si Gabriella n’est jamais restée bien loin, les deux jumeaux ont tout de même appris à vivre séparément, à se construire un avenir soudé tout en profitant de leur état particulier. Il n’est donc pas étonnant que le mal du pays ait cessé de nuire à l’immortel, et qu’il se soit accoutumé aux contrées étrangères. Salem Village, en pleine Amérique du Nord, a ainsi fini par le captiver, l’être y vivant depuis quelques temps désormais, en tant que pêcheur à la main vive. Les poissons ne peuvent pas lui résister, et sans même qu’il ne s’en rende compte, les mois s’écoulent, naturellement. Son métier ne consistant pas seulement à appâter les animaux de la mer, l’homme passe également le plus clair de son temps à refourguer sa marchandise, au port de son nouvel habitat. Les clients ne manquent pas, le marché du poisson faisant fureur, attirant touristes et explorateurs. Mais il y a aussi les fidèles et loyaux acheteurs, ces résidents du village, qu’ils soient bourgeois de naissance ou au service de ces derniers. Régulièrement, ainsi, Dante a le plaisir de croiser le regard avec une domestique répondant au doux nom de Georgia. Sans vraiment que les deux en prennent conscience, les sourires naissent naturellement sur leurs visages, les traits s’adoucissant automatiquement à la vision de l’autre. Bien que souvent pressée par le temps, et obligée de gérer les enfants de ses employés, Georgia commence à accumuler les visites au port, en quête de poisson, ou plutôt, dans l’espoir de refermer son filet doré sur Dante. Ce dernier ne fait preuve d’aucune résistance face au charme de la femme, envoûté autant par sa beauté que sa bonté, son caractère étant à l’opposé même du sien. Etonnamment, Dante s’assagit à son contact, devient surtout un meilleur homme, que l’on pourrait qualifier de presque foncièrement bon. Bientôt, des projets naissent dans les esprits des tourtereaux qui entament une relation, en premier temps secrète. Il faut dire que l’italien n’a jamais eu d’histoire sérieuse depuis qu’il a ressuscité, redoutant d’être de ceux qui accumulent les amourettes sans qu’aucune ne puisse véritablement aboutir. Son cœur a ainsi été scellé, jusqu’à ce qu’il décide de se retrancher dans une vie moins secouée, et qu’il envisage, pour la première fois depuis sa naissance, une vie qui pourrait lui convenir. Alors il se met à espérer, à économiser. Voulant offrir un avenir radieux à la domestique qui ne cesse de faire battre plus fort son cœur, s’imaginant même la présenter à sa sœur et, pourquoi pas, lui confier sa véritable nature. Oh, il faut pardonner au pêcheur, il n’est qu’un nouveau-né, qu’un immortel de plus qui tombe véritablement amoureux pour la première fois de sa vie. Alors évidemment, l’idée de partager son statut avec une simple mortelle lui effleure l’esprit. Mais ce ne sera que ça, une idée, brève, qui n’aura même pas l’occasion d’être débattue. Car voilà que de curieuses rumeurs enflent dans le village, des enfants, jeunes et moins jeunes, accusant certains adultes de Salem d’être au service de Satan. Il est question de sorcellerie, de s’adonner à des pratiques blasphématoires, usant même le terme de possession. Au début, il en rigole Dante, et de bon cœur avec Georgia même. Jusqu’à ce que les enfants gardés par la servante se mettent à la pointer du doigt. Alors, à son tour d’être intégrée dans le rang des accusés, de subir un procès complètement injustifié. Dante remue ciel et terre pour la sauver, pour trouver des témoins pouvant corroborer que ses sorties en cachette avec les gamins n’ont d’intérêt que de le rencontrer lui, mais c’est peine perdue. Pendant qu’elle se perdait dans les bras de l’immortel, il semblerait que les plus jeunes aient été invectivés à blâmer la domestique de rêver d’une vie meilleure. Profanant mensonge et diffamation à son encontre, la forçant à rejoindre femmes âgées ou femmes lassées en prison. L’acquittement n’est jamais envisagé, et en dépit des hurlements et des menaces de mort de Dante, rien n’y fait. La pendaison est la condamnation tristement prononcée, et, en compagnie d’autres pauvres âmes piégées, Georgia cède à la folie ambiante. La Faux vient s’enquérir de la servante, et force ainsi l’italien à quitter Salem Village, les larmes roulant sur ses joues, le cœur au bord de l’explosion. Il comprend que la justice est montée de toutes pièces, et que seules les armes peuvent répondre à l’appel du sang dont il a ainsi été naïvement témoin. Alors il se détourne de cette ville maudite, jurant d’accomplir son violent destin, puisqu’il ne peut décidément pas avoir le loisir de se reposer en paix.  

[1735] Dante s’est renfermé sur lui-même. Et franchement, il n’y a pas vraiment de surprise à cette réaction en chaîne. La perte de son premier amour l’a secoué, et s’il avait déjà été difficile d’ouvrir son cœur auparavant, c’en est fini pour l’immortel qui refuse de se laisser aller. Plus jamais, il s’en fait la promesse. L’ancien pêcheur ne souhaite plus prendre la peine de connaître les personnes rencontrées, cherchant plutôt un énième moyen d’assouvir sa soif de vengeance. Du moins, quand il n’est pas en train de se donner inutilement la mort, complètement en vain. Il ne veut pas de ce don ridicule, s’il cela implique d’être impuissant quand il est question d’aider les siens. Ce cadeau des dieux, il n’en veut plus, il le renie. Malheureusement, ce n’est pas facile de se débarrasser de sa propre vie. Alors il fait avec, supporte les années en cherchant autant la guerre que la paix. Il n’est pas beau à voir, Dante, mais son cœur brisé doit se remettre de la déchirure, avant qu’il ne soit trop tard. Cette fois, d’ailleurs, Dante s’est remis à boire. Les auberges l’accueillent à toute heure du jour et de la nuit, les boissons sont distribuées au quart de tour alors qu’il ne cesse d’en réclamer pour noyer sa douleur. Cela fait des années, pourtant, mais le mal n’est toujours pas passé. Pour un immortel, il faut avouer que le temps est en réalité le plus grand ennemi jamais accompli. L’incarnation même de l’adversité. En contrepartie, Dante rêve de son passé, s’imagine en train se battre, et d’avoir les moyens de répliquer face à ceux qui ont cherché à lui voler les êtres aimés.  Mais c’était peine perdue à l’époque et ça l’est encore plus à ce jour. Pas même sa sœur ne peut consoler l’homme ainsi renfoncé, son âme noircie par la rancœur et le ressentiment envers son absence d’humanité. C’est donc dans un état d’esprit plus que douteux que les jumeaux sont alors approchés par une faction. Une Hydre bien-pensante s’accapare leurs craintes et apportent quelques réponses à leurs questions. Dante est le premier convaincu, plus facilement influençable par nature, mais plus encore alors qu’il est complètement perdu. Un regain d’intérêt pour sa propre existence se manifeste, et mieux, il devient sérieusement impliqué dans le monde des immortels, en même temps que la constellation des jumeaux prend forme. Trop obnubilé par ses propres déboires, l’être n’a pas vraiment pris la peine de prendre soin de ceux partageant désormais son sort, néanmoins, l’Ordre fait réaliser à Dante ô combien il est en tort. Quelque chose se réveille, rien qu’une petite lueur, encore bien ténue dans la nuit noire qui enferme l’homme, mais qui représente une véritable étincelle d’espoir. Le frangin récupère des couleurs, et essaye, tant bien que mal, de se reprendre en main. Il est temps de passer à autre chose, car il n’a pas fini d’essuyer des pertes, lui dit-on, et l’italien s’oblige. S’accroche, à ce monde, à sa sœur, à sa constellation. Il le faut, car l’immortalité, diable qu’elle peut durer.

[1933-1945] Pour la première fois depuis son existence, Dante est profondément dégoûté. Il vomit ses tripes alors qu’il envisage de déserter. Habitant l’Allemagne depuis quelques années, il a dû mal à croire ce qu’il voit : un pays sombrant dans la haine et la peur. Il prend conscience de certaines définitions, appliquées pour le pire du pire. S’il pensait encore posséder la foi, il est certain qu’il ne peut désormais plus envisager l’existence d’une Divinité régulant ce monde. Aucun Dieu ne pourrait permettre l’accomplissement de telles atrocités, il en est certain. L’italien pense rendre les armes, refusant de prendre part à ce régime totalitaire qui extermine des êtres vivants sous couvert d’une idéologie complètement farfelue. Mais il n’en fait rien. A la place, il met au point une stratégie, s’infiltrant de l’intérieur pour venir en aide autant que possible à ceux injustement emprisonnés. Les camps doivent être détruits, et il décide que certains hommes ne méritent pas de vivre. Pour la première fois depuis qu’il sait manier les armes, Dante prend conscience qu’il peut alors les utiliser comme il l’entend. Malgré les ordres clamés par les chefs de rangs, l’immortel se met ainsi à contrecarrer leurs plans. Des lieutenants meurent mystérieusement en même temps que des informations sont divulguées à la Résistance, ce qui permet de mettre à mal le régime dictatorial en place. Néanmoins, ce n’est pas suffisant, loin de là, et l’homme en a parfaitement conscience. Lassé d’agir seul et dans l’ombre, il décide finalement de retourner sa veste. Déclaré mort au combat, il profite d’être allongé parmi tout un tas de soldats pour rejoindre officiellement le camp opposé. Sa première bataille se rappelle à lui alors qu’il usurpe l’identité d’un soldat originaire du Royaume-Uni. Frôlant furieusement les limites, il parvient à s’imposer et à brandir les armes au nom d’une cause qu’il a lui-même choisi. Une mission qu’il approuve, et dans laquelle il se reconnaît. Il a d’ailleurs, pendant cette sombre période, honte de son pays. L’Italie n’est plus autant adorée alors qu’elle applique une gouvernance fasciste, et pendant un temps, il a de quoi renier ses origines. Bien que les années suivant la Seconde Guerre Mondiale sachent lui rappeler son amour du pays, il est mis à mal par ces horreurs dont il a été témoin, et qu’il a même été forcé de commettre, dans un camp comme dans l’autre, pour aider à mettre un terme à ce conflit. Néanmoins, la fin de la Guerre sonne comme une révélation pour lui. Et si on pourrait croire que ses valeurs lui sommeraient de quitter l’Ordre de l’Hydre, il n’en est rien. Sa conviction, loin d’être absolue, est quelque peu renforcée alors qu’il prend conscience que les immortels n’auraient jamais permis les hommes d’accomplir de tels actes déséquilibrés. L’humanité a décidément besoin d’être régulée, du moins jusqu’à un certain niveau, et en ce sens, il ne peut quitter une faction qui a de quoi calmer les êtres les plus détraqués de ce monde. La colère gronde au sein de sa constellation, mais Dante a pris sa décision. Quitte à se salir les mains, autant que ce soit pour une bonne raison.  

[De nos jours] Les doigts frappent maladroitement le clavier alors que l’immortel parcourt la face sombre de l’internet. Une liste de contrats s’affiche sous ses yeux, mais il écarte rapidement ceux qui ne l’intéresse aucunement. Cela fait maintenant plusieurs décennies que Dante officie en tant que mercenaire à l’ère contemporaine, et bien qu’il se soit déjà affranchi plusieurs fois de cette manière par le passé, au travers d’époques diverses et divisées, c’est probablement la première fois qu’il prend véritablement conscience de son plaisir à pratiquer cette profession. La modernité est une aubaine pour l’immortel, qui bénéficie clairement de facilités pour donner une nouvelle profondeur à ce métier tant honni par les gouvernements de multiples pays. Les mêmes qui condamnent officiellement cette activité pour mieux faire appel à des hommes comme lui officieusement, afin de jouir de ses services de l’ombre. L’italien fait la part des choses depuis belle lurette désormais, et il s’amuse de cette hypocrise relative à son emploi, qu’il est pourtant fier d’effectuer. Si celui-ci a de quoi choquer, civils comme soldats, mortels comme immortels, il ne s’en soucie guère. D’une certaine manière, il est maître de sa vie, comme il ne l’a jamais été auparavant. Il se sent libre, bien qu’en soit, il se plie toujours à des ordres donnés, que ce soit par le biais d’un engagement signé que lorsque sa faction se manifeste à lui. En réalité, Dante est victime de beaucoup de contradictions, mais il semblerait qu’il soit encore trop jeune, dans ce monde peuplé d’êtres ancestraux, pour prendre conscience autant de ses bons droits que de ses énormes erreurs. Dans son esprit, pour autant, tout fait sens. D’une certaine façon, l’homme reste fidèle à lui-même, comme il l’a toujours été. Loin de haïr son prochain, il sait reconnaître malgré tout ceux qui n’ont pas le mérite de faire partie de l’équation, pour le meilleur du monde. Il sait aussi reconnaître quant un objectif se doit d’être accompli, une fois qu’il le trouve justifié et peut-être, tout simplement, juste en tant que tel. Et surtout, ce que Dante veut, c’est de vivre dans un monde qui lui convienne. Puisque la mort se refuse à lui, puisque le sommeil éternel ne peut être garanti, autant faire en sorte que son temps indéfini lui permettre de modeler le monde à sa façon. Qu’importe qu’il ne soit qu’un pion. Ce qui compte, finalement, c’est qu’il prenne part à quelque chose d’infiniment plus grand que lui, et que plus jamais il ne se sente impuissant. Ainsi, dans l’ombre, il peut agir, et être de ceux qui font bouger les choses, salement peut-être, mais au moins, il peut se regarder dans une glace et se dire qu’il a participé au combat. Jusqu’au bout.