cry for the moon (XIALING)

[1321] Xialing voit le jour dans une famille modeste, dans un petit village isolé de la province de Liaoning. Sa naissance était attendue, mais à peine pointe-t-elle le bout de son petit nez qu’elle déçoit : elle est la quatrième et dernière fille de Jie et Zhihao, qui espéraient désespérément un garçon. Elle vient après Huilan, Ning et Shufen. Petite poupée née quelques semaines avant le terme prévu, on craint qu’elle ne survive pas. La santé de Xialing est fragile et beaucoup au village s’attendent à ce qu’elle périsse avant son premier hiver. [1322 -1330] Dès qu’elle est en âge de marcher, Xialing suit partout Huilan, son aînée de huit ans. C’est la première-née qui s’occupe de ses sœurs, leurs parents étant toujours trop occupés pour leur accorder attention et affection. Jie est marchand, souvent absent, et Zhihao est couturière, la plupart du temps dans son atelier. Dès qu’elles sont en âge de l’aider, les petites le font. Xialing traîne dans leurs jupes, toujours silencieuse et effacée, accrochée à la petite poupée de chiffons que ses aînées ont fabriqué pour elle. [1335] Huilan a quinze ans. Il est temps pour elle d’être mariée et de quitter la demeure familiale. Xialing pleure, beaucoup, car la jeune fille va aller s’installer dans le village voisin avec son époux et sa famille. Pour la petite fille de sept ans, c’est comme si elle partait au bout du monde. Jie lui demande sèchement de sécher ses larmes et elle s’exécute du mieux qu’elle le peut. Elle sait que c’est leur destin, à toutes les quatre. Un an après Huilan, c’est à Ning de quitter leur famille. Et deux ans plus tard, c’est au tour de Shufen. Il ne reste plus qu’elle dans la demeure familiale. Une vilaine blessure à la jambe oblige Jie à rester immobile pendant plusieurs mois. Durant cette période, il semble découvrir sa benjamine pour la première fois. Par obligation ou culpabilité, il lui accorde enfin l’amour qu’elle réclamait depuis toujours. Elle devient sa petite princesse, il exauce le moindre de ses souhaits, au grand désespoir de Zhihao qui trouve Xialing bien trop ingénue et délicate pour un jour faire une bonne épouse. À défaut de pouvoir se cacher dans les jupes de Huilan, c’est dans l’ombre de son père que Xialing se réfugie, à présent. Lorsqu’il peut reprendre la route, elle l’accompagne. Xialing découvre le monde pour la toute première fois, et se surprend à rêver d’aventures. [1339] Xialing s’effondre lorsque la nouvelle leur parvient : Huilan est morte. Elle est morte en mettant son second enfant au monde, une petite fille qui ne survit pas elle non plus. Xialing hurle, pleure, supplie, que peut-elle faire de plus ? Sa sœur adorée est morte. Elle porte le deuil pendant près d’un an et se cloitre dans la demeure familiale. Elle n’accompagne plus son père et se mure dans le silence. [1341] Quelle triste épouse elle fait… L’échéance a été repoussée autant que possible mais à vingt ans, Xialing ne peut plus reculer. Elle est mariée à un très bon parti du village, Yijun. De cinq ans son aîné, c’est un homme bien sous toutes les coutures… En apparence, seulement. Xialing découvre vite que sous ses airs de gendre parfait, Yijun est un homme impatient, violent, qui ne supporte pas qu’on lui désobéisse. Dès qu’elle en a l’opportunité, Xialing se confie à son père, mais il lui rappelle froidement, à sa plus grande surprise, que son rôle d’épouse est de tout faire pour plaire à son époux. [1356] Quinze ans. Xialing endure un véritable calvaire pendant quinze ans. Yijun la coupe peu à peu de sa famille et de ses rares amies et la jeune femme ne parvient pas à lutter contre lui. Elle fait de son mieux pour satisfaire le moindre de ses désirs, mais il y en a un qu’elle ne parvient pas à combler : lui donner une descendance. Et pour cause, en secret, Xialing boit des décoctions contraceptives pour éviter de tomber enceinte. Ce n’est pas bien, elle le sait, mais elle ne supporte pas l’idée de donner un enfant à un tel individu. C’est plus fort qu’elle, malgré la honte, elle est heureuse à chaque fois que Yijun a une nouvelle maîtresse. Elle sait que pendant quelques semaines au moins, elle aura la paix, avant qu’il ne se lasse et ne revienne vers elle comme une bête enragée. Un soir d’hiver, comme une fatalité, il y a la dispute de trop. Celle où, pour une fois, Xialing ose hausser le ton et tenter vainement de se défendre. Son époux devient fou de rage et il frappe. Il frappe jusqu’à ce que le sang coule, jusqu’à ce que les os craque sous ses coups. Xialing ne hurlera pas une seule fois, elle ne le suppliera pas non plus. Elle se souvient être tombée au sol, toujours consciente mais incapable de bouger. Et puis, Yijun qui panique. Yijun qui traîne son corps dans les bois et l’abandonne sur la neige glacée. La dernière chose que Xialing voit avant de rendre son dernier soupir, c’est la pleine lune. [1400] Xialing erre longtemps, après sa première résurrection. Elle n’a d’ailleurs pas compris ce qui lui était arrivé. Elle se pensait morte. Elle se pensait libre. Libre… Libre, c’est ce qu’elle décide d’être. Elle prend la fuite, avec rien de plus sur le dos que ses vêtements tachés de sang. Une famille de marchands la prend sous son aile pendant un temps. Elle les suit sur les routes, toujours discrète, toujours silencieuse. Mais les années passent et Xialing réalise qu’elle ne change pas. Elle ne vieillit pas. Elle tombe rarement malade, elle qui a la santé si fragile. Ses petites blessures disparaissent aussi vite qu’elles apparaissent. Si elle reste trop longtemps au même endroit, on commence à se poser des questions… Les plus superstitieux pensent que Xialing est un esprit, mais tous ne le voient pas d’un bon œil. Alors Xialing disparaît, elle part de plus en plus loin à chaque fois. Elle pensait ne jamais quitter son petit village, elle se retrouve dans un royaume étranger, celui de la dynastie Joseon. [1401] Lorsque Xialing fait la rencontre de l’homme qui deviendra son époux, c’est un moment qui n’a rien de romantique. Épuisée par sa condition et sa solitude, la jeune femme veut – naïvement – mettre fin à ses jours. Elle basse par-dessus la rambarde protectrice d’un pont pour se jeter dans l’eau de la rivière qui coule dessous. Plusieurs passants horrifiés sont témoins de la scène, mais lorsque Xialing se laisse tomber, un homme fend la foule et saute à sa suite. Elle se laisse couler, mais il plonge la rattraper. Le choc et le manque d’oxygène lui font perdre connaissance, mais elle ne perd pas la vie. Elle reprend connaissance sur la berge ; un étranger est penché au-dessus d’elle. Il s’adresse à elle dans une langue qu’elle ne connaît que trop peu, mais elle finit par comprendre qu’il lui demande si elle va bien. Xialing se contente de hocher la tête, surprise d’avoir été secourue, déçue d’être encore en vie. L’étranger l’aide à se relever, puis il insiste pour l’accompagner. Où, elle n’en sait rien, mais elle ne proteste pas. Il la conduit dans une petite maisonnée modeste où il lui offre une couverture pour qu’elle se réchauffe. Puis il s’installe à côté d’elle et essaie de s’adresser à elle dans une langue qu’elle comprend. Elle ouvre de grands yeux ronds quand il emploie un mandarin presque parfait. Il lui demande son prénom, mais elle ne répond. Lui se présente, il s’appelle Jung-Wan. Il ne lui demande pas pourquoi elle a tenté de mettre fin à ses jours, il lui dit simplement qu’elle peut rester chez lui aussi longtemps qu’elle le voudra pour se remettre de ses émotions. Xialing est étonnée, on ne lui a pas tendu la main depuis des décennies. Alors, elle reste. Et elle ne partira plus jamais. [1405] Il est comme elle. Elle est comme lui. Avec des mots qu’elle comprend, Jung-Wan lui explique ce qu’ils sont. Il l’aide à comprendre ce qu’elle est devenue. Il lui apprend qu’il y en a d’autres, comme eux. L’inconnu dont elle rêve fait partie de ces êtres que le destin a lié à elle. Quand Xialing lui demande s’ils sont liés, Jung-Wan le répond qu’ils le sont, mais d’une autre façon. Cela lui suffit. Le guerrier la rassure. Il prend soin d’elle, il la protège. Il la traite avec bienveillance et respect. Il est intelligent, cultivé. Il n’attend rien d’elle en retour pour sa bonté. Xialing tombe amoureuse de lui, mais sa timidité maladive l’empêche de lui avouer ses sentiments. Mais lorsque, avec tout le respect du monde, Jung-Wan lui demande si elle accepterait de devenir sa femme, elle accepte avec une joie immense. Ils se marient dans un petit village de campagne, au milieu d’un bel été. Et pour la première fois de sa vie, Xialing est véritablement heureuse. [1406 – 1800] Pendant près de quatre siècles, Xialing est heureuse. Jung-Wan est l’époux parfait. Le seul défaut qu’elle puisse lui trouver, c’est son altruisme débordant, illimité, qui le pousse trop souvent à se sacrifier pour les causes qu’il juge justes. Encouragée par ses soins, Xialing rejoint elle aussi les Enfants de Prométhée. Jung-Wan lui a expliqué qu’ensemble, ils peuvent aider l’humanité à être meilleure. Elle y croit, longtemps. Malgré les guerres et toutes les horreurs dont ils sont les témoins, elle y croit. Jung-Wan y croit, et elle lui voue une admiration sans bornes et lui fait une confiance aveugle. Elle ferait n’importe quoi pour lui. Absolument n’importe quoi… [1814] Le tsar Alexandre Ier rend visite au souverain du Royaume-Uni, George III. Les Enfants de Prométhée ont eu vent d’une rumeur : les Britanniques s’apprêteraient à faire un cadeau exceptionnel au tsar, une arme aux propriétés incroyables pour les êtres comme eux… Jung-Wan se porte volontaire pour subtiliser l’arme avant qu’elle ne soit remise à Alexandre et naturellement, Xialing le suit. Ce qu’ils ignorent, hélas, c’est que l’Ordre de l’Hydre est lui aussi intéressé par cette arme. Vite, il devient évident que le couple ne pourra pas récupérer l’arme. Alors à défaut de pouvoir s’en emparer, Jung-Wan s’assure qu’elle soit bien remise à Alexandre Ier. Ainsi, elle deviendra hors de portée, les Russes ne lésinant sur aucun moyen pour protéger leur souverain et son entourage. L’histoire aurait pu se terminer là, mais le sort en décide autrement. Alors qu’ils s’apprêtent à quitter l’Angleterre, ils sont faits prisonniers. Ils se réveillent tous les deux dans la cale d’un navire, enchaînés à plusieurs mètres l’un de l’autre. Leurs geôliers ne sont pas bavards, mais ils comprennent rapidement être les prisonniers de l’Hydre. La panique envahit Xialing, mais Jung-Wan la rassure, lui promet que tout ira. Elle le croit, mais il ne peut pas tenir sa promesse. [1814] Après plusieurs – horribles – semaines en mer, Jung-Wan et Xialing sont traînés jusqu’à l’une des résidences secrètes de la tête pensante de l’Hydre, Marius di Mercurio. Ce nom, Xialing l’a entendu suffisamment de fois pour en avoir peur, très peur. S’il est furieux qu’ils aient mis à mal ses desseins, il ne le montre pas. Il s’amuse de leur malheur, s’adresse à eux comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce n’est que lorsque Jung-Wan s’exaspère de son badinage qu’il prend ombrage. Longuement, il leur explique le sort qui leur sera réservé. Jung-Wan n’affiche pas la moindre expression, hormis lorsqu’il mentionne Xialing. Pour la première fois, son épouse le voit perdre le contrôle de ses nerfs. Malgré leur position délicate, il menace Marius, et il n’a pas peur des mots. Et tandis que la joute verbale des deux hommes s’éternise, une idée germe dans l’esprit de Xialing. Une idée folle. Elle crie pour les interrompre, pour détourner l’attention de Marius de son époux. Maladroitement, elle lui propose un marché. Ou plutôt, un pacte : contre la vie de Jung-Wan, elle acceptera de faire ce qu’il lui demandera, aussi longtemps qu’elle vivra. Son époux s’y oppose, se débat, hurle de rage et vomit des insanités à la figure de l’Hydre qui sourit. Marius réalise qu’il a peut-être gagné bien plus intéressant qu’une arme extraordinaire… Les règles seront les suivantes : tant que Xialing répondra à ses exigences, Jung-Wan vivra. À la moindre erreur de sa part, il le fera tuer. Jung-Wan la supplie de ne pas céder, de le laisser mourir, mais Xialing n’en est pas capable. Il faut qu’elle le sauve, comme il l’a sauvée. [1815 – 2022] Pour la jeune femme, les deux derniers siècles sont misérables. Elle a du sang sur les mains. Des morts sur la conscience. Le cœur en miettes. Il se passe parfois des décennies entières avant qu’elle ne puisse revoir Jung-Wan. Des moments volés, quelques jours avant de devoir se séparer, peut-être pour toujours. Et puis un jour, c’en est trop pour Jung-Wan. C’est l’assassinat de trop. Pour lui, Xialing a commis l’irréparable : elle a tué un enfant. Il en est persuadé, elle n’a pas le temps de lui dire qu’elle n’a pas été capable de prendre la vie d’un petit garçon innocent, alors quelqu’un d’autre s’en est chargé à sa place. Jung-Wan disparaît. Elle croit qu’il l’abandonne. Le désespoir brise Xialing une bonne fois pour toutes. Elle échoue à New York, où mille et une choses se font et où elle intègre une compagnie de ballet. Le répit est très, très courte durée. Marius la déracine violemment, lui rappelle qu’elle est sa marionnette et qu’elle lui doit obéissance. Elle part, sans laisser de traces, abandonnant ses proches comme Jung-Wan l’a abandonné. Sauf que le guerrier revient auprès d’elle, rongé par les remords et la jalousie. Mais cette fois, c’est Xialing qui le repousse. Ils ne peuvent pas vivre comme ça. Non – elle ne le peut pas, elle ne le peut plus.