(lawrence) ☆ immortality is a jungle

1889, Londres
Abby était absolument magnifique aujourd’hui. L’on aurait dit un ange tombé du ciel et qui n’était destiné qu’à moi. Quelque part, je ne peux m’empêcher de penser qu’elle est trop belle pour moi, que d’un instant à l’autre je vais me réveiller et qu’elle ne sera plus là. Pourtant, j’ai beau me réveiller, mon alliance est toujours là.

Trente ans. C’est à trente ans qu’il se marie enfin à Abigail. Elle-même se plaisait à lui dire un an auparavant que s’il ne sortait pas la tête de ses recherches il risquait de manquer le coche. Alors un beau matin d’été pluvieux, il s’était décidé à aller voir son père en vue de lui demander sa main. Cherchant une bénédiction et un accord avant de se jeter à l’eau. Son propre père se demandait combien de temps encore allait-il le faire patienter. Trente ans c’était déjà bien tard, ce à quoi James répondait qu’il n’était jamais trop tard pour trouver la perle rare.

1891
Ce sera la découverte majeure de mon existence. Celle qui redonnera un sens au nom des Lawrence. Je ne peux pas décevoir l’Académie, tout comme je ne peux décevoir mes prédécesseurs. Cette fois, j’apposerai mon nom dans les pages de l’Histoire.

La mystérieuse Fontaine de Jouvence. La pierre philosophale. Tout autant de mythes qui parcourent les âges. Une chimère pour certains, une profonde utopie pour d’autres, mais pas pour James. Pas lorsqu’il était expressément missionné pour ça et que ses recherches tendaient à converger vers ce seul et unique point. Le but de toute une vie. Il s’en croyait si proche, d’avoir vu des choses que personne encore n’avait su déceler. L’Aventure avec un grand A. Les clés de l’immortalité.

8 août 1893, Maison de campagne, Angleterre
Je vais être père. Abby me l’a annoncé ce matin. Après quatre années, nous allons enfin avoir un enfant. […]

30 août 1893, Maison de campagne, Angleterre
[…] Je n’ai pas le choix. Je dois à tout prix être prêt, mes recherches finales doivent absolument accélérer si j’espère pouvoir partir à temps avant le mois d’octobre. Cette fontaine, peu importe sa forme, je la trouverai. Ce n’est plus une question de renommée à présent. C’est une question de vie ou de mort… Je ne peux me résoudre à les perdre, tous les deux.

C’est la deuxième semaine du mois de Septembre 1893 que James prend la direction de l’Amérique du Sud qu’il atteint après un bon mois et demi de voyage, entre océan et chemins escarpés, laissant derrière lui sa femme enceinte auprès de qui il espère revenir au plus tôt. Avant qu’il ne soit trop tard.

☆☆☆

25 octobre 1893, Amérique du Sud.
La moiteur est sûrement ce que je supporte le moins, sans oublier la densité incroyable de végétation qui nous entoure. Dieu merci, je ne suis pas seul dans cette entreprise, sans quoi je me serais probablement perdu une bonne dizaine de fois malgré la multitude de cartes dont je dispose. […] Toujours aucun signe de chute d’eau particulière ou même de temple et cela fait déjà une bonne semaine que nous avançons dans cette jungle. Cela dit, c’est une véritable mine d’or en terme de faune et de flore sauvage. […] Le guide local qui nous accompagne est parfois anxieux, probablement à l’idée de rencontrer une certaine population. Lorsque j’essaie de l’interroger à ce sujet il se renferme comme une huître et nous fait avancer plus vite. Cela n’est pas pour me déplaire étant donné que chaque seconde est comptée.

Avancer dans la jungle n’est pas chose aisée, mais la très maigre troupe continue pourtant son périple, fait quelques détours sans réellement s’en apercevoir, mais finit toujours par retrouver son chemin. Le guide les abandonne aux abords d’un village, le plus proche de leur objectif, et c’est à trois qu’ils repartent s’enfoncer dans la jungle avec de nouveaux vivres et de quoi tenir jusqu’à leur supposée destination, plus le chemin en sens inverse, où ils étaient censés refaire une étape. A dans quelques jours, qu’ils se sont dits ce jour-là. A dans quelques jours…

19 novembre 1893, Amérique du Sud
On est tout proche, je la sens presque m’appeler. J’en suis certains, nous ne sommes plus très loin. Mes deux compagnons de fortune se montrent de plus en plus impatients, et l’orage menace d’éclater entre nous. Je sais qu’ils me considèrent comme le cinglé de service, le nez rivé dans mes carnets ou les yeux rivés au ciel en espérant apercevoir les étoiles. Ils me prennent pour un dingue, et la chaleur humide n’aidant pas, il arrive que les esprits s’échauffent, mais jamais pour très longtemps. Car on le sait tous les trois, si l’un de nous se perd, nous ne survivrons pas. […]

21 novembre 1893, Amérique du Sud, matin
Aujourd’hui, ça y est, nous sommes arrivés. Un temple, j’aurais dû m’en douter. J’en ai les mains qui tremblent, je n’ai pas le temps de noter… Il y a… […]

Il s’étend là, majestueux et en même temps mystérieux, à moitié recouvert de lianes et autres plantes si vertes que l’œil ne parvient pas à déceler autre chose. Ils sont aux aguets, s’approchent timidement quand James sent l’espoir l’envelopper tout entier. Il va la trouver. Il va les sauver. Il va les sauver. Il va les sauver.

Les minutes passent, s’enchainent à une vitesse folle. Toujours pas de fontaine. Toujours pas d’eau. Toujours pas de pierre. Rien. Rien que la poussière et un passé qui les consume. Une aura de puissance qu’il ne parvient pas à nommer. Un instant présent qui ne saurait être précipité. James a les yeux rivés partout, doigts qui glissent sur chaque mur, chaque pierre. Elle est là, il le sait. « Il n’y a rien ici Lawrence, on ferait mieux de rebrousser chemin. » annonce les gros bras du groupe. Mais James ne peut se résoudre. Il est donc seul à continuer de s’agiter en tous sens, scruter ses notes d’un air pensif avant d’observer les pierres à nouveau. Elle était forcément là, mais cachée. Quelque part. « Ecoutez, j’suis désolé pour vot’ femme et vot’ gosse à naître mais… ». James lève un doigt pour le faire taire, concentré sur sa tâche, il n’a guère le temps pour les bavardages, surtout pas quand ils sont prononcés uniquement dans le but de le faire arrêter. Au bout de plusieurs secondes supplémentaires, il se met à tapoter plusieurs fois sur son carnet. « Je l’ai, ça y est ! » qu’il hurle presque. Les deux autres tournent la tête vers lui mais il file déjà plus avant dans l’une des brèches du temple. « Lawrence attendez ! » lâche gros bras derrière lui, mais James a son cœur qui bat à ses tempes, et dans ses tympans, il ne l’entend pas. Il est trop près du but. Sa main droite glisse sur une nouvelle paroi, ses sourcils se froncent face à la texture étrange rencontrée dans la presque-obscurité mais il est déjà trop tard. La douleur irradie dans toute sa paume et il en lâche un grognement de surprise, observe cavaler l’araignée aux pattes extrêmement longues et se fige sur place. Les autres le rattrapent tandis qu’il scrute encore la bestiole qui fuit. « Lawrence, ça va ? ».    

21 novembre 1893, Amérique du Sud, après-midi.
On a décidé de faire une pause. La douleur est insupportable mais je dois continuer d’avancer. Même écrire devient compliqué. J’ai l’impression que la morsure est en train de s’infecter car je sue plus que d’ordinaire et j’ai comme de nombreuses courbatures. Je ne dis rien, de peur qu’ils avortent l’exploration trop tôt. Pas si proche du but. Je ne peux pas. […] Les symptômes empirent, je crains que cette morsure ne soit pas anodine. J’ai encore dû faire une pause. Les autres commencent à me regarder de travers… […] La nuit tombera bientôt, du moins je crois, à moins que je n’ai encore un temps d’absence… C’est bizarre, je ne me sens vraiment pas…

James perd connaissance peu de temps avant la nuit. Lorsqu’il s’éveillé, cela n’est que pour quelques minutes pendant lesquelles la détresse respiratoire le prend de court. La nécrose se formait déjà autour de la morsure d’araignée. En principe, il n’aurait pas dû réagir aussi violemment à cette morsure, mais le syndrome toxique a atteint sa forme rare, arrêtant ses fonctions respiratoires et le privant d’air sur place. Il s’accroche à gros bras en essayant désespérément de prendre ne serait-ce qu’une inspiration, cherchant une aide que l’autre n’était pas en mesure de lui donner. Impuissant. Au beau milieu de la jungle.

Une fois incapable de respirer, le calvaire dura trop longtemps à ses yeux, à peine quelques minutes d’un point de vue extérieur. Une chance pour lui peut-être de se mettre à naviguer en eau troubles, dans les méandres du vide. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus que cela. Le vide.

22 novembre 1893, Amérique du Sud, nuit
La première inspiration est difficile, comme si ses poumons n’avaient pas fonctionnés depuis une éternité. Il respire la boue et la poussière mélangée, tête la première tandis que les gouttes de pluie s’effondrent, dense, sur son corps endolori. Il lui faut un nombre incalculable de minutes avant de comprendre où il se trouve, et pourquoi. Son premier geste, est de basculer sur le dos, les yeux rivés sur la trouée entre les arbres, la pluie lui tombant dans les yeux. Il grogne et se relève lentement après de longues minutes supplémentaires. Le temple est toujours là, son sac également mais certaines de ses affaires sont éparpillées par terre. Il cherche du regard une lumière potentielle, appelle ses compagnons de fortune. Mais personne ne lui répond. Il entreprend de brèves recherches avant de se remémorer ce qu’il a trouvé dans le noir de ces murs et se refuse d’y retourner. Lorsqu’il baisse ses yeux sur sa main droite, les deux points ont disparu. La nécrose avec. Il entreprend alors de fouiller dans son sac, cherche eau et cartes. Les cartes ont disparues, et il ne lui reste plus de ses photos de famille que le portrait d’Abby qu’il a gardé dans son carnet. Ils sont partis, ils l’ont laissé là. Pour mort. James hurle sa rage devant tant de lâcheté, ne parvient pas encore à réaliser les faits. L’absence de cicatrice, ou même le fait qu’il respire comme un sous neuf. Il lui faut se poser aux abords du temple, entre deux morceaux effondrés qui lui servent d’abri, devant un feu et transi de froid, pour qu’il remette enfin de l’ordre dans son esprit. Et qu’il se souvienne. Sans réaliser.

Ils m’ont abandonné. A la première difficulté. Ont pris certaines de mes affaires, notamment les cartes. Idem pour les vivres. J’ai intérêt à trouver de l’eau en priorité. Ces fumiers. Si par chance je ne finis pas en enfer avant de les retrouver je jure de…

☆☆☆

25 décembre 1893, Amérique du sud, au beau milieu de la jungle.
[...] Est-ce que c'est ça... La folie ?[...]

Je suis mort.
J’en suis certain.
Je suis mort une fois en tombant d’une cascade.
Je suis mort de déshydratation au moins... quatre fois.
Deux fois d’avoir bu ou mangé n’importe quoi.
J’ai été mordu par un serpent.
Je suis mort.
Dévoré par les moustiques.
Je suis mort.
J’ai tourné en rond durant des jours.
Je suis…
… Mort.
Mort.
Mort ?
…
Mais.
Bien vivant.
A chaque fois.
[…] Joyeux Noël Abby…[…]


Avril 1894, Amérique du Sud
Journée… X.
J’ai perdu le compte. Le temps passe de manière étrange au beau milieu de la jungle, surtout lorsque l’on ne peut pas mourir. Je dois économiser du papier car à force de gratter sur ce carnet et de perdre des feuilles je n’ai bientôt plus de place. Je crois qu’on a fêté le nouvel an depuis des mois, mais peut-être est-ce des années ? Je dois retourner à Londres. Mon gamin doit être né. Fille ou garçon ? Vivant(e) ou mort(e) ?

Juillet 1894, Amérique du Sud
[…]Quelle ironie, ça fait longtemps que je n’ai pas écrit.[…]
Je crois que je suis devenu fou, pendant un temps, puis je me suis forcé à relire mes propres mots sur ces pages. Je me suis détesté, j’ai eu pitié. Cette jungle est devenu mon tombeau au sein duquel je ne peux pas me reposer. Quant à la fontaine… Dieu a un drôle d’humour… Je crois bien que… Je le déteste un peu aussi.

Septembre 1894, Amérique du Sud
[…] C’est décidé, je pars à la dérive… […]

☆☆☆

Décembre 1894
Il s’est laissé porter par le fleuve sur un radeau de fortune pendant plusieurs jours, jusqu’à ce qu’on ne finisse par le retrouver. Par sûreté, il a donné un faux nom, troquant celui de James contre Edmund, dit Ed. Et, bon gré mal gré, il finit par retrouver la ville de Londres. Jamais il ne s’y sentit aussi étranger qu’à ce moment-là. Mais le pire fût lorsqu’il osa se renseigner sur la famille Lawrence. « Il ne demeure plus que les parents. Ou du moins, Madame. La perte de leur fils, belle-fille et petit-fils a été un grand drame pour la famille vous savez. Monsieur n’a pas supporté. On dit qu’il est mort de tristesse. On en a beaucoup parlé en ville, vous savez… Où étiez-vous depuis tout ce temps ? ».

Abby est morte. Mon fils avec elle.
Je ne les ai pas sauvé.

Et avec eux… Mon père.

Un soir de décembre, au cimetière, une femme jura avoir aperçu le fantôme de James Lawrence se recueillant sur la tombe de sa femme et de son fils. Elle dit que, aussi surprenant que cela puisse paraître, Dieu les avait finalement réuni. Qu’il avait aidé l’âme de l’époux à retrouver les siens. Elle dit qu’après avoir cligné des yeux, juste le temps d’un battement, il n’était plus là. Ce témoignage apparût un jour dans l’un des petits encadrés du journal, comme une note de fin au drame qui toucha les Lawrence.  

« On a enterré un cercueil vide, pour lui, vous savez ? ».

1er janvier 1895, campagne française
Ce sont mes dernières notes dans ce carnet. Il ne doit pas exister. Le secret qu’il renferme est trop lourd. Les souvenirs trop durs à porter.
Je ne peux prendre aucun risque. Seule la photo d’Abby continuera de m’accompagner. Ces pages ne peuvent exister.
Tout doit brûler.
Je ne devrais pas exister, moi non plus.
Je suis mort un jour de novembre 1893 dans une forêt d’Amérique du Sud.
J’étais à la recherche de la fontaine de jouvence, l’immortalité. Mais je ne l’ai pas trouvée.
C’est, elle.
Qui m’a trouvé.

Tout brûle. Jusqu’à ne plus être que cendres.
Point final.

☆☆☆

[1895 - 1910] Il s'installe à Paris sous une fausse identité et y reste plusieurs années, découvre la vie à la française et apprend les rudiments de la langue. Il ne la maîtrise pas à la perfection, même encore aujourd'hui mais cela sera suffisant pour le sortir de quelques situations critiques. C'est également à cette époque qu'il découvre son don de clairvoyance et est donc envahi par de trop nombreuses images. Sans parler de toutes ces émotions qu'il ressent en amplifiées.
[1910 - 1920] Explore l'Italie avant de se rabattre vers l'Espagne pour fuir la première guerre mondiale.
[1920 - 1935] Retourne en France.
[1935] Première rencontre avec Ivàn.
[1936] Première rencontre avec Min.
[1936 - 1941]Se fait fabriquer ses premiers gants pour contrer le côté incontrôlable de son don de clairvoyance. Découvre au passage être capable d'altérer la couleur de ses cheveux, de ses yeux ou quelques autres transformations légères qu'il ne maîtrise pas. - Se rend aux Etats-Unis. Apprend à maîtriser son deuxième don, mais à l'image du premier c'est imparfait.
[1941 - 1945] Participe cette fois à la seconde guerre mondiale, du côté de l'armée Américaine. N'ayant pas confiance en son deuxième don, il se crée une identité de toute pièce et se teint les cheveux. Il meurt plusieurs fois à l'abri des regards avant de revenir aux Etats-Unis à la fin de la guerre.
[1946] Première rencontre avec Jacob avec qui il partage des sessions de jeux d'échecs tout en luttant avec ses traumatismes de la guerre.
[1949] Mort de Jacob. Celle-ci l'attriste plus qu'il ne l'aurait cru alors qu'il ne l'a pas connu aussi longtemps que les autres. Du moins, si les autres le connaissaient vraiment...
[1957] Première résurrection de Dottie qu'ils repêchent, lui, Ivàn et Min. Confié à ses bons soins par les deux autres, James est celui qui aide Dottie à comprendre sa nouvelle vie. Faisant là tout ce qu'il aurait souhaité que l'on fasse pour lui. - Dottie emménage chez lui.
[1960's]Dottie l'entraîne dans un mouvement hippie où ils font tout le tour des Etats-Unis en wolkswagen. James se demande encore comment il a pu se laisser entraîner là-dedans, mais du peu qu'il se souvient, l'honneur est sauve il n'y a pas eu d'orgies ? Well...
[1970 - 1995] Ils décident de partir en tour du monde. James en profite pour remplir une multitude de carnets avec ses notes et remarques, teste différentes choses comme quitter ses livres pour bronzer au soleil, goûter à une multitude de cocktails et autres nourritures insolites (meurt probablement une fois dans le process), compléter ses connaissances en patrimoine historique et se rapprocher de Dottie. Ainsi de suite. Des vacances de plus d'une dizaine d'années à scruter les richesses du monde en véritable globe-trotters.
[1996] Il emménage à Budapest avec Dottie où ils vivent encore à l'heure actuelle.