Alexander ☾ Long walk to freedom

[1758, Moscou] Alexander ouvrit les yeux dans une demeure riche du centre de la ville, durant l'hiver 1758. Alors que les vents glacés balayaient la ville depuis plus de douze jours, que le blizzard ne semblait plus vouloir quitter les rues, le premier cri qu'il poussa trouva écho dans les rues silencieuses. Le vent s'était calmé et la tempête, si elle n'était pas terminée, venait de faire une pause dans son dur labeur pour laisser aux parents d'Alexander la joie de profiter de ses pleurs vigoureux. Il était fils de bonne famille et, né à l'époque d'une formidable croissance économique au sein même de la ville de moscou, ses parents et lui ne manquèrent de rien.  [1780, Moscou] Alors âgé de 22 ans, Alexander porte à son doigt une alliance en or, sertie de deux prénoms ; Anne et Alexander. Si le mariage avait été quasiment arrangé pour lui, il ne voyait au bout du chemin que le marché passé avec son père ; il épousera Anne Bauduin, cousine française à un degré non précisé et s'en ira développer la manufacture de lin dans un nouveau pays. L'extension de l'entreprise familiale se ferait alors par lui, loin des hivers trop froids, des étés trop secs, des visages trop connus. Une nouvelle vie, et avec Anne, une nouvelle famille. L'ambition qui étranglait son cœur depuis tant d'années semblait maintenant être apaisée et avec ce voyage débuté en toute fin d'année, c'était une nouvelle vie qui commençait. [1781, Orléans] Cela avait été la fatigue, en premier. Puis la toux, la température. Des vomissements, aussi. Et enfin, la maladie s'était calmée. Et puis, Anne avait de nouveau été malade, mais elle ne présentait plus que des tâches sur tout le corps, comme autant de ces tâches qu'il voyait apparaître sur son propre corps chaque été en Russie, lorsque l'air contenait trop de pollens. Mais les tâches n'avait pas semblé vouloir disparaître. Elles s'étaient même aggravées et la température était revenue, mais plus forte cette fois, ne lui laissant que peu de moments sereine, peu d'heures durant lesquelles elle ne délirait pas. Elle mourut dans son sommeil, un sommeil agité, secoué de tremblements d'hyperthermie, un mois tout juste après leur mariage, après leur départ de Russie. Elle mourut avant qu'Alexander puisse savoir à quel point c'était une femme incroyable, bien avant qu'il ne puisse apprendre à la connaître. Elle mourut et son rire s'effaça vite de ses souvenirs. [1790, Orléans] Veuf. Il était resté veuf malgré les lettres de sa mère lui enjoignant de trouver épouse, malgré les nuits froides de l'hiver français, malgré les regards interessés qui se tournaient vers lui lorsqu'il sortait. Il était resté seul, parce que rien ne l'intéressait plus que son entreprise qui connaissait un succès incroyable. Il était devenu connu dans la ville johannique et il n'était pas rare qu'il soit invité à des soupers de tout le gratin des entrepreneurs. Il parlait un françait soutenu dans lequel filtrait le poids de ses origines mais qui lui attirait des éloges de tous ses vis-à-vis. Il s'était lié d'amitié avec un jeune homme issu de la noblesse Orléanaise et, si ce dernier le hâtait pour qu'il se joigne à lui lors de soirées qui n'avaient rien de noble, il ne parvint à lâcher prise et l'y rejoindre qu'au bout de nombreux mois. Il y découvrit un univers d'alcool, de drogues et de femmes qu'il n'avait pu qu'imaginer et se coula dans ce nouveau monde comme s'il avait été fait pour lui.[1793, Orléans] Il n'écoutait pas trop François lorsqu'il lui parlait de cette nouvelle femme qu'il avait repéré et qu'il souhaitait courtiser. Il ne l'écoutait pas car chaque semaine voyait son lot de nouvelles femmes qu'il désirait et qu'il finissait par rejetter après les avoir séduites. Cependant, il reconnut rapidement que la façon dont il parlait de celle-ci était différente des précédentes. Il se décida alors à l'accompagner lors d'un de leurs rendez-vous. Ce fut la première fois de sa vie qu'il posa les yeux sur Aurora. Il lui sembla un moment que le temps s'était arrêté tant plus rien n'eut plus d'importance qu'elle dès cet instant. Elle plongea ses yeux clairs dans les siens et il s'y noya l'espace d'une minute. Peut-être était-ce plus.. François ne mit pas longtemps à comprendre qu'il n'avait plus rien à faire par-là et ils passèrent ensemble quelques uns des plus beaux moments de la vie d'Alexander. Douceur, partage et amour, jamais il n'aurait cru que la vie puisse lui offrir tant en une seule fois. Elle était tout ce qui lui convenait, tout ce qu'il avait toujous recherché sans même le savoir. Elle effaça d'un battement de cils l'affection qu'il avait cru porter à Anne, pour lui faire ressentir l'amour véritable et fort. Mais les histoires d'amour finissent mal, en général, et la leur trouva une funèbre note finale. [Fin 1793, Orléans] Rumeur silencieuse, comme autant de murmures dans les ténèbres. Tranquilité troublée par les chuchotements que prononçaient chaque homme dans les soirées où ils n'étaient plus si nombreux que cela. Quelque chose approchait, des cris, des revendications et avec eux, les menaces et la mort. C'est une bande de révolutionnaire qui les trouva dans la demeure où ils se cachaient, Aurora, Zyanya et lui. Ils furent traînés dehors, insultés, frappés, comme s'ils étaient responsables de toute la misère du monde, de leur monde et ils n'eurent bientôt plus doute sur leur avenir. Encore quelques nuits trouvaient Alexander éveillé, couvert de sueur au souvenir de cet échange de regards avec Aurora. Seconde infinie, douceur au milieu des cris. Elle avait accroché ses yeux, il ne pouvait plus s'en détacher. C'est en la regardant droit dans le cœur qu'une balle de fusil transperça le sien. Il s'était éveillé des jours plus tard, dans une fosse commune, entre quatre planches et c'est à la force des ongles qu'il avait pu s'échapper de la ville.[1800, France] Nul souvenir ne subsistait de ces mois et années post Orléans. Il fut secouru par Estienne et Apollonia qui l'aidèrent à accepter et faire avec sa nouvelle situation. Rapidement, au rythme des années qui s'écoulaient, il sentait la haine étreindre son cœur à l'idée de son amour disparu et de son humanité réduit en cendre. Il comprit rapidement qu'il n'avait pas à lutter contre sa nouvelle nature et se coula dans ce nouveau rôle, comme s'il avait été fait pour lui.  [De 1800 à 1954] Ayant très tôt rejoint l'Ordre de l'Hydre, Alexander s'éleva rapidement dans cette organisation. Froid, consciencieux, discret et efficace, il portait en lui tout ce qu'il fallait pour mener à bien les tâches qui lui étaient confiées. Il sentait, alors qu'il se coulait dans son immortalité que s'effaçait peu à peu l'homme qu'il avait été. Il ressentit encore les choses, un peu, mais comme si elles étaient étouffées. Et bientôt, il s'aperçut qu'il ne ressentait plus rien. [1954, Londres] Alexander avait parcouru le monde avec plaisir, passant d'un emploi fictif à un autre, prolongeant des études par-ci, par-là. Ses pas l'avaient mené en Grèce, aux Etats-Unis, en Espagne et même dans des montagnes reculées de la Suisse. Puis finalement l'Angleterre. Il se trouva mêlé au monde qui ne lui parut plus si insupportable dans cette ville et après avoir longuement tergiversé, il décida de s'y installer. Il occupe depuis de longues années un appartement d'artiste situé près de Camden qu'il avait meublé selon son goût et chichement. [2016, Londres] Ce début d'année l'avait vu rejoindre l'équipe de l’Institut Francis Crick à Londres, en tant que chercheur en biomédecine. Il n'avait pas à cœur la santé fragile des mortels mais transcendé par les performances individuelles, il espérait être celui qui découvrirait des remèdes miraculeux, qui marquerait l'histoire de son nom. Occupant un poste à responsabilité  dans l'Institut, il aimait à passer ses nuits au travail, seul, avec pour seul vis-à-vis son microscope ou ses recherches.