Forever...is a long time (Isis)

[22 février 1900] Le Caire. Les cris d’une femme se répercutent dans les couloirs de l’hôpital. A ses côtés, son mari lui tient la main, les yeux inquiets par la longueur du travail accompli par sa femme. Leurs mains jointes fait ressortir la pâleur de celle de l’homme, un anglais. Un intrus au regard de la sage-femme, il le ressent malgré son silence. Mais cela lui importe peu, seule sa femme et son enfant à naître ont de l’importance. Alors il lui tient fermement la main, il laisse volontiers sa femme la broyer lorsqu’elle pousse à nouveau. Un soupir de soulagement accompagné par le premier cri d’un bébé lui font monter les larmes aux yeux. Une petite fille. Isis. [1900-1918] Les années passent, l’enfance s’efface pour laisser la place à l’adolescence. L’insouciance est entachée par la guerre mondiale qui fait rage et les britanniques qui renforcent leur influence. Ses parents tentent de la préserver et Isis grandit dans un foyer aimant malgré les regards de ses camarades qui lui rappellent qu’elle n’est pas tout à fait égyptienne. [2 septembre 1918] Rentrée à l’école d’infirmière. Un choix qui s’est imposé à Isis. Peut-être est-ce les horreurs de la Première guerre mondiale qui lui ont suscité cette vocation ou peut-être n’est-ce que parce qu’elle souhaite se rendre utile. Dans tous les cas, elle sait qu’elle a trouvé sa place sur les bancs de cette école.  [22 août 1924] Elle sort de l’hôpital du Caire, exténuée par sa journée. Le soleil est couché et pourtant il est là. Naël. Elle l’a rencontré aux urgences. Il s’agissait d’un des manifestants prônant l’indépendance de l’Égypte. Il l’a fait rire et elle l’a trouvé mignon malgré sa tête ensanglantée. En la voyant, il met un genou à terre en pleine rue du Caire. Cela ne l’étonne pas et les yeux d’Isis pétillent lorsqu’elle lui dit oui. Ils vont se marier, dans un an. [4 mars 1925] Elle rentre d’une garde qui a duré plus longtemps que prévu. Des parents ont perdu un enfant ce soir et elle aimerait que Naël soit déjà là pour la réconforter. Mais il n’arrivera que dans deux heures car il devait aider son oncle au garage. Les sens peu en alerte à cause de la fatigue, Isis ne fait attention à la porte mal verrouillée. Elle ne voit pas non plus l’ombre se dessiner devant elle. Perçant le silence, c’est sa voix la fait sursauter. Rapidement elle comprend qu’il cherche Naël car celui-ci a fait une connerie. Isis fait le lien et imagine qu’il y a de forte chance pour que cela soit en rapport avec son projet d’indépendance pour l’Égypte. Elle se tient loin de ce mouvement même si elle a toujours respecter ses idéaux. Elle lui a pourtant maintes fois recommandé de se tenir loin du danger, d’agir autrement que par la violence. Face à l’inconnu, Isis refuse de lui donner une quelconque information sur Naël et prie pour qu’il reste finalement dormir chez son oncle. Elle comprend qu’il lui a volé des armes et Isis ne peut s’empêcher de gifler mentalement Naël de les mettre dans cette situation. La jeune femme tente de cacher sa peur et maintient qu’elle ne sait pas où il est. Courageuse ou inconsciente, elle reste sourde aux menaces et à l’agacement de l’homme qui lui fait face. Finalement la voix de Naël vient les interrompre et tout commence pour Isis. Les sévices s’abattent sur Isis pour mieux dénouer la langue de son fiancé. Les gémissements de douleur et les supplications de la part du résistant résonnent dans la pièce. Il ne veut pas donner l’adresse de la planque où ont été entreposées les armes. Isis comprend pourquoi, l’oncle de Naël n’avait pas besoin d’un coup de main pour le garage mais celui-ci servait d’entrepôt. Parler reviendrait à exposer son oncle et sa famille. Mais lorsqu’Isis se tord une nouvelle fois de douleur, Naël craque. Malgré cela, la faucheuse s’abat sans pitié le couple. [5 mars 1925] L’éveil est brutal. La lumière du soleil éclaire le salon. Désorientée, Isis se relève avec difficulté. Elle se frotte les yeux, encore engourdie par le sommeil. C’est la couleur rouge qui la réveille totalement. Du sang, partout. Son regard affolé fait le tour de la pièce et elle aperçoit plus loin les pieds de Naël dépasser de l'arrière du canapé. Les souvenirs de la veille lui reviennent en mémoire et elle accourt vers lui. Elle cherche vainement un pouls, refusant d’accepter le départ de son fiancé. Elle ne sait pas combien de temps elle reste ainsi, prostrée contre lui. Puis elle porte sa main à son cou et ne sent aucune coupure, pourtant la dernière qu’elle a ressentie avant qu’elle ne perde connaissance. Elle inspecte son corps à la recherche de contusions mais celui-ci semble intact. Les larmes coulent sur ses joues mais elle ne les sent pas. Elle ne comprend pas. Elle aurait dû être morte. [1925] Rencontre. La vision du visage de son meurtrier s’imposait de plus en plus dans son esprit, tout comme celle d’un autre homme. Elle devait les retrouver, sans savoir comment ni pourquoi. Un besoin viscéral. Peut-être un début de réponse à ses questions. [1940-1946] Paris. Les années de guerre défilèrent et Isis se présenta dans un grand hôpital de Paris pour aider. Elle n’avait rien oublié de ses années en tant qu’infirmière en Egypte. Elle avait parfois donné un coup de main dans quelques hôpitaux de fortunes dans son pays natal. La jeune femme s’occupa le plus souvent de ceux qu’on surnommait les gueules cassés. Elle ne voyait pas la laideur de ces corps déformés par les atrocités de la guerre, elle voyait simplement des hommes qui souffraient et qui souffriraient sans doute jusqu’à la fin de leur vie. Elle admirait souvent leur courage, les soutenait lorsqu’ils craquaient dans ses bras. Tout cela lui permettait de ne pas penser, d’avoir un objectif dans sa nouvelle vie d’immortelle. [1946-1975] Isis se rendit en Angleterre, terre natale de son père. Elle n’aurait pas pensé un jour pouvoir découvrir le peuple anglais. Elle prit le temps de découvrir Londres et la campagne anglaise. Isis travailla dans plusieurs pubs et hôtels. La jeune femme ne vit pas les années passées et profita de l’ambiance d’après-guerre. Elle se découvrit également une vraie passion pour les nouvelles technologies. [1975-1979] Isis apprit la maladie de son père par le biais d’une lettre. Un combat qui dura plusieurs années mais qu’ils savaient perdu d’avance. Son père puis sa mère décédèrent, à quelques mois d’intervalle. Elle se rendit aux enterrements sans avoir pu leur dire une dernière fois au revoir. Ils savaient leur fille en vie, grâce aux cartes postales qu’elle leur envoyait. Mais encore aujourd’hui, elle regrette de ne pas les avoir vu vieillir et de ne pas avoir pu leur offrir de petits enfants. Une vie normale à laquelle elle a renoncé après être devenue immortelle. [1979-2001] Isis continua son tour du monde et visita plusieurs continents : l’Australie, l’Asie… Puis elle finit par atterrir aux États-Unis. Elle eut un véritable coup de cœur pour ce pays à l’origine du concept de l’Amercian dream. Les possibilités étaient nombreuses mais elle découvrit le revers de la médaille. Aucune société n’était parfaite et Isis offrit de son temps pour aider les plus démunis. Elle intégra également les Enfants de Prométhée fin 2001. [2001-2021] Les petits boulots s’enchaînèrent, comme les villes défilèrent. La côte Est eut d’abord la faveur d’Isis. Malgré les décennies, la jeune femme parvint à garder l’émerveillement et la curiosité de sa vie de mortel. Mais après plusieurs années à explorer les États-Unis, Isis décida de poser ses valises il y a plusieurs mois à San Diego en tant qu’instructrice de surf. Si le surf était une nouvelle lubie d’Isis, ce nouveau job se révélait néanmoins parfait pour elle et ses activités en tant que membre des Enfants de Prométhée. Personne ne questionnait ses absences soudaines. [2021]Tout récemment, elle a entendu parler de la mort d’un immortel en Égypte et elle n’exclut pas de ranger sa planche de surf quelques semaines pour effectuer une petite visite dans le pays qui l’a vu naître.