Vieillir, c'est cesser d'apprendre. • Salim

[1152] On ne connaît pas son père. Il ne connaît pas sa mère. Son premier cri résonne dans un bordel embaumé de parfums et de sueur. Aussitôt, elle s'en débarrasse. Jeune fille abîmée, fatiguée, elle se saura incapable de l'élever. Alors elle le confie à des bandits, d'étranges nomades au cœur gros qu'elle sait digne de confiance. Et c'en est terminé, aussi douloureusement que fût son accouchement. On oubliera jusqu'à son nom, jusqu'au traces de sang sur le pavé, jusqu'à son corps ballotté de poussière sur la route commerçante. Elle a choisi de se jeter du haut de sa prison, et de laisser l'avenir de son enfant entre d'autres mains. Il grandira sans elle, dans la rue et le crime, dans les codes d'honneur d'autres groupes. Ils sont plusieurs, garçons voleurs, obéissant. Loyaux. On le nommera alors Salim. Un prénom pour débuter. Une vie de servitude à rembourser. [1187] Les troupes s'amoncellent à Jérusalem. Le pays a besoin d'hommes, forts et rapides, pour renforcer les rangs du Sultan. En proie aux batailles contre les croisés aux pouvoirs, aux négociations sanglantes et aux conflits d'opinions, Saladin s'oppose à Balian d'Ibelin, force en place et siège de la cité. Les conflits sont nombreux. Salim est un adulte désormais, pourvu d'une déontologie propre, au-delà des idéaux moraux de ses amis sans scrupules. Eux qui pillent et abattent. Lui, il souhaite s'en détacher. Offrir ses capacités à une cause plus noble. Croire à la paix derrière les temps difficiles. Sa profondeur, humaniste avant l'heure, le pousse à s'enroler dans l'armée pour aller libérer la cité. Mais alors que les coups d'épées font rage, c'est dans les yeux d'un cavalier qu'il voit la mort arriver. Un homme, comme lui. D'un avis différent. D'une couleur différente. Et d'une douleur égale. La lame s'est enfoncée dans la carotide de Salim. Précise et nette. Ses derniers instants ont été balayé par le sable, en ce soir rougeoyant. On laisse son cadavre en plan, sans aucun remerciement. Ce ne sera qu'une poignée d'heures plus tard que la vie retrouvera à nouveau sa place. Une nuit pâle pour son teint qui ne l'est plus. La gorge retrouve son souffle, le regard, sa vivacité. Et Salim se redresse au-milieu de ses pairs, tombés pour toujours. Il fuira, loin, perdu. Il apprendra, au matin du lendemain, que la trêve entre Balian et Saladin est signée. Une victoire amère pour le pauvre hère qui ignore ce qu'il lui est arrivé. Mais il est en vie. Un miracle parmi les désastres. C'est cette même année qu'il fera la connaissance d'Eirik Aaronson, un autre immortel, qui lui fera comprendre qu'il n'est pas seul dans ce cas-là. [1187 – 1205] Les années s'écoulent. Son apparence reste la même. Salim demeure fasciné par ce qu'il lui est arrivé. Sa perspective du monde est changée, transformée : ses idéaux de paix demeurent mais il est à la recherche de plus, se comprendre lui-même et le reste de ce qui compose la Terre, création divine par excellence. Avec le temps, Eirik est devenu un ami proche. Tout deux partagent une vision similaire et se comprennent. Bien que le blonde demeure différent du brun. Salim voyage, parfois seul, parfois accompagné. Il est avide de découvertes, de rencontres et de réponses. Son errance enthousiaste l'amène cependant au cœur d'étranges filets. [1205] Les sirènes ont sonné aux oreilles de l'Innocent. Les têtes de l'Hydre l'ont charmé, une à une. Salim s'est laissé prendre au jeu de l'Ordre, jusqu'à rejoindre ses rangs pendant quelque temps. Episode étrange au cœur de son éternel périple, qu'il regrette peut-être un peu aujourd'hui. A cette époque, il était convaincu que leurs idées fortes sur l'immortalité étaient la clé pour se comprendre. Mais il en a vite déchanté. Quinze ans, aux yeux d'une mortalité, représente une éternité. Pour lui pourtant, ce n'est qu'une goutte d'eau dans son océan. Il finit par se défaire de cette étreinte néfaste que lui inflige les crocs du lézard aux milliers de tête. Et se résout à n'écouter que sa propre voix, pour trouver sa propre voie. [1220 – 1600] Une fois libre, Salim s'évertue à entreprendre de nouveaux voyages, à rencontrer d'autres têtes, à renouer avec ses anciens alliés. Il apprend au fil des siècles à s'intéresser aux beautés du mental humain, à ses capacités inventives et ses bonheurs des progrès accomplis, petit à petit. Il observe les mortels comme des enfants choyés, qu'il adore regarder évoluer. Il apprend d'eux comme ils apprennent de lui. En dépit des famines, des maladies et des conflits, il s'éprend de l'Homme comme on aime un Dieu. [1600-1980] C'est au fil d'apprentissages divers qu'il aborde plusieurs vies, plusieurs noms aussi. De médecin à prêtre, en passant par peintre, écrivain, capitaine de navire et autres travaux créatifs, Salim prend un plaisir certain à découvrir l'Autre, le protéger, lui inculquer ses propres valeurs apprises au fil de ses siècles de renaissance. Il développe un goût prononcé pour les arts, la culture, l'archéologie. L'amour, aussi. Beaucoup d'âmes ont conquis son cœur, bien peu son lit. Salim aime pleinement les esprits les plus ouverts, à défaut d'apprécier les actes charnels inconsidérés. Ses morts se sont multipliées également, de moins en moins douloureuses avec le temps, bien que leur impact traumatique soit toujours le même. Il collabore avec les plus grands artistes, les politiciens de leurs temps, les scientifiques émérites. Comme une petite voix au-dessus de leur épaule, toujours rassurante, un courant d'air à peine aperçu avant de disparaître. Une conscience, au sourire cristallin. [1988] Alors journaliste de guerre pour le compte de reporters anglais, Salim se rend en Iran sur la fin du conflit l'opposant à l'Irak, afin de couvrir l’événement et rapporter ses visions en Europe. Bien que les esprits soient encore échauffés, l'immortel prend le risque de se cacher dans un camp de réfugiés. Les lieux sont alors pris d'assauts par un groupe de radicalistes, tuant quasiment toutes les personnes présentes. Salim ne manque pas à l'appel : alors qu'une petite fille se trouvait sous le joug d'une mitraillette, il s'intercale entre elle et l'arme, prenant la salve de balles à sa place. Son corps dissimulera le sien, choquée mais vivante. Quelques minutes suffirent à l'immortel pour retrouver un souffle de vie bienvenue. Les tueurs étaient déjà parti. L'enfant le sentit. Il lui sourit. Elle ne l'oubliera jamais. Tout deux furent rapatriés grâce à des casques bleus dépêchés par l'ONU, deux jours plus tard. Sans famille connue, l'enfant fût placée comme pupille de l'état anglais, avant d'être adoptée. Elle gardera dans son cœur le secret de son sauveur, qu'elle ne reverra jamais. [1990-2020] Salim continue son perpétuel pèlerinage. Actuellement médecin humanitaire, voyageant de part le monde pour régler les problèmes rémanents des inégalités mondiales. En dépit de son affection pour les mortels, il demeure encore présent pour chaque membre de sa constellation, qu'il protège et respecte comme les membres de sa famille. Celle-ci a d'ailleurs été récemment secouées d'évènements importants, fondamentaux pour sa cohésion et son esprit : l'enlèvement d'Eirik, son ami et figure leader du mouvement, torturé puis sauvé par les siens au prix d'obstacles finalement démantelé. Et de plus, l'arrivée d'Astra Ackermann, toute jeune immortelle à peine découverte et adoptée dans le coeur de la Grande Ourse, semble toute indiquée pour offrir de palpitantes péripéties pour ses étoiles adorées. Âme éternellement douce et tendre pour autrui, il ignore combien de temps il lui reste sur sa chère Terre, mais compte pleinement en profiter pour instiguer bonheur et paix autour de lui, à son échelle.