it's a shame for the baboons (Esther) (spring 2020)

C’était le plus proche de l’aventure que vous pouviez avoir. Tu avais dû débattre avec les responsables de l’office et tu maudissais les règles intérieures. Tu étais parfaitement capable de t’en sortir avec un fusil, ça n’aurait pas été la première fois que tu portes une arme – bien que tu détestais ça. Mais ce que tu détestais surtout, c’était d’attirer l’attention des autorités sur un couple de femmes qui désiraient traverser les monts Simien. Alors, vous aviez consenti à un guide armé qui vous accompagnerait. Tu avais insisté pour en avoir un qui connaissait bien la flore locale, afin qu’il vous montre tout ce que vous pourriez chiner dans la terre. Et puis, Esther et toi, vous aviez embarqué dans un 4x4 usé qui vous avait amené à quelques 3.000 mètres d’altitude.

A cette hauteur, tu sentais le poids sur tes poumons, qui tranchait avec l’air de Toronto dont tu étais à présent habituée. Mais tu ne dis rien sur l’inconfort, parce que tu te doutais que tout le monde le sentait. Pour te distraire, tu arrachais quelques mots du dialecte de la région à votre guide, pour t’occuper, peu concentrée sur la vue que les hauts-plateaux avaient à t’offrir. En plus de 400 ans, tu avais vu beaucoup de paysages, et toi, tu t’intéressais surtout à toutes les plantes qui t’entouraient. Ca, tu n’en voyais pas toujours, bien que quelques buissons te disaient quelque chose.

Mais il n’empêchait que la vue restait agréable, après ces mois passés dans la ville. Tu ne pouvais pas dire que ça te manquait, parce que ça n’aurait pas été vrai. Tu t’adaptais avec ton environnement et les besoins de ton temps, Yixi. Pour toi, cette semaine de trek nature n’était que des vacances. Loin étaient les jours où tu devais gratter la terre pour espérer trouver de quoi te nourrir. Le monde avait bien changé, tu te disais. « Ce que je regrette, c’est que ces babouins soient une espèce protégée. J’aurais bien voulu les cuisiner. » Tu dis à Esther, alors que vous profitiez d’une courte pause. « A défaut, je trouverai bien des denrées locales avant de repartir. J’adore voir la tête de Rahim quand je lui ramène ce qu’on trouve. » Et tu souris, en pensant à ta constellation.

L’hésitation de ta partenaire de voyage te fit rire légèrement. Bien évidemment qu’Esther n’était pas partante pour mettre sa main sur un babouins. Tu l’avais remarqué il y a longtemps, que les blancs étaient frileux de découvrir ce qui était en dehors de leur régime alimentaire. Tu avais même entendu qu’ils avaient survécu à une famine parce qu’ils avaient seulement accepté de manger des pommes de terres. Et tu n’avais pas que rire, toi qui avais connu la faim et le désire de manger tout ce qu’il se trouvait devant toi. Alors oui, peut-etre que c’était une habituée trop ancrée pour toi, pour que tu ne t’en détaches même après quelques centaines d’années. Surtout, c’était ta curiosité, toi qui venais d’une culture où vous mangiez tout ce qui était possible, même les fameuses pates de poulets. Et encore, pour toi ce n’était pas la chose la plus étrange que tu pouvais mettre dans tes casseroles, loin de là.

Tu finis de profiter de la vue, pour te remettre en marche, suivant le chemin qu’ouvrait votre guide payé très modestement pour votre périple de plusieurs jours. « Merci Wikipedia ? » Demandes-tu, ton sourire adressé à Esther. « Leur spécialité est une crêpe un peu acide, avec plusieurs sauces et préparation. C’est un peu épicé, mais les gouts sont intéressants. » Ce n’est pas vraiment compliqué pour toi de te rappeler de ça. C’est ton domaine, après tout. « C’est de l’injera. On en mangera probablement. De ce que j’ai cru comprendre, ils fournissent aussi le bivouaque. » C’est pour ça que vous étiez aussi peu chargés. Pas de kilos de tentes à te casser les dos, ni de rations de survies pour trois jours. Pour toi, c’était un trek de luxe, mais tu ne le refuserais pas : tu avais déjà payé.

Et tes yeux continuent de se perdre sur l’horizon, ces montagnes qui composent le ciel d’une braille de roches et d’altitude. « C’est fait à partir d’une céréale locale. Avec un peu de chance, on en verra à l’état sauvage. » Et pour vérifier ta théorie, tu alpaguais déjà le guide pour lui demander s’il était possible de trouver du teff ici.