Oh sister, I will help you out ◊ Lydie

opus - eric prydz

février 2022, paris
Près de deux mois que je sais. Que ca tourne en boucle dans ma tête, fout en l'air mes nuits. Il m'aura fallu dix ans pour retrouver la trace de son existence. Dix longues années pour enfin savoir où ma sœur se trouve pour finalement quoi ? Toquer à sa porte la bouche en cœur ? La filer dans la rue jusqu'à oser l'approcher ? Puis lui dire quoi ? Si c'est nous qu'elle a fui, pourquoi lui infliger ça ? Au moins elle est en vie, n'est-ce pas ce qui importe le plus ? J'en ai rêvé, de la revoir par le fait du hasard. De nous, telle la parfaite petite famille, prendre le petit déjeuner comme si nous n'avions jamais eu aucun disfonctionnement. Une recherche hasardeuse lancée et voilà que son visage était apparu sous mes yeux éberlués. Une concordance entre la photo de sa disparition et sa carte d'identité. J'y ai pas cru sur le coup, c'était trop beau. Irréel. Ca en a vexé le gamin hacker mais c'est pas comme si j'en avais quelque chose à foutre. Il a commencé à m'expliquer, qu'elle avait dû enregistrer sa carte en ligne pour un voyage prévu à Paris en février, qu'il avait piraté les compagnies aériennes et que son logiciel avait fait un rapprochement entre les photos. Clairement j'ai rien pipé, j'ai pas cherché à comprendre tellement j'étais sur le cul, incapable de réaliser tout ce que ca impliquait. Le gosse ne se rendait pas compte sur quoi il avait mis le pied. Je lui ai juste demandé de tout transférer sur la boîte sécurisée de Kaz et j'me suis barré. Kaz m'a tellement aidé dans les recherches, que trouver Lydie maintenant seulement semble aberrent. J'ai bien été obligé d'y croire, quand les mêmes mots sont sortis de sa bouche. Elle était là, quelque part, en vie. Il a déniché plus que cette concordance photo… Absolument toute sa vie. Son adresse, son boulot, ses projets de voyage, son enfant… Plus il me donnait d'informations, plus je réalisais. Elle avait fui. Elle avait fui le Conclave c'était certain. Et la retrouver au bout de dix ans, ca n'annonçait rien de bon pour elle. J'ai demandé à Kaz de tout effacer. Toutes ses découvertes, toute l'existence de Lydie en ligne, sa fausse identité. Tout pirater, tout détruire. Si ca pouvait lui causer des problèmes, ca restait rien en comparaison au Conclave remettant la main sur elle.

Assis dans le hall de l'hôtel, je reste là à attendre. Quoi, je ne sais pas trop. J'ai dû payer une chambre, pour que le personnel me laisse tranquille. Mais je n'ai aucune envie de dormir. Ca fait plusieurs nuits que je ne trouve pas du tout le sommeil. Je n'ai jamais eu besoin de beaucoup d'heures mais enchaîner les nuits blanches, ca ne fait de bien à personne. Mon travail en pâtie ; mon incapacité croissante se fait remarquer et ca, c'est pas bon du tout. Au moins quand j'ai pris quelques jours off, ca a sonné comme du bon sens. Surtout que, j'en ai pas mal à rattraper. J'ai prétexté un intérêt pour les dossiers en cours en France, pour profiter d'y passer mes congés en toute discrétion. Je n'ai même pas prévenu Key de ma venue et je suis plutôt soulagé de ne pas l'avoir croisé. Je crois qu'elle est sur le terrain de toute façon, tant mieux. Elle aurait vite cramé qu'un truc clochait et ce n'est pas une chose dont j'ai envie de discuter. Même avec Kaz, c'est dire. La disparition de Lydie est loin d'être un secret, c'est pas pour autant que j'ai plus de facilité à aborder le sujet, surtout maintenant avec cet amas de bordel qui s'annonce.

Toute la journée, j'ai suivi Lydie, accompagnée de son fils et d'une autre femme. Incapable de faire le premier pas. Impossible avec cette étrangère. Et faire les retrouvailles devant son enfant me semble la pire des idées. Je n'ai fait qu'attendre qu'elle se retrouve seule, à un moment ou un autre. Pas foutu de réfléchir à une idée, une stratégie pour l'isoler et l'aborder. J'ai la sensation de la traquer comme une immortelle et à chaque fois que j'y pense, ca me fout la gerbe. Au moins elle a vieilli, ce n'est pas ça qui pourrait justifier sa fuite. Finalement, l'inespéré arriva. A chaque ding de l'ascenseur, mes yeux sont attirés ; cette fois, c'est ma sœur qui en sort, seule. Une occasion en or et je reste figé dans mon fauteuil, interdit. Je l'observe se diriger vers la réception, le cœur qui s'accélère tandis que je prends le peu de courage dont je semble capable aujourd'hui pour me lever, m'avancer vers elle. Les mains dans les poches de mon manteau, le visage complètement fermé, une boule dans la gorge m'empêche de prononcer mot. C'est à quelques mètres d'elle qu'elle se retourne vers moi, sûrement à sentir ma présence, ou à apercevoir mon reflet quelque part. A défaut d'être muet, je ne me suis pas embêté à être discret. Un simple Hey idiot, complètement dépassé par la situation, s'échappe de mes lèvres.

opus - eric prydz

février 2022, paris
Elle profite de chaque instant, Lydie, essaie de relativiser et d’oser croire que rien ni personne n’a été en mesure de faire des liens. Ce qui compte, Laurits, rien d’autre. Voir son sourire, l’entendre rire aux éclats, demander à prendre des photos avec des personnages, attendre pour la parade, la blonde voie là une simplicité qu’elle lui a enlevé depuis sa naissance. Le bonheur à portée de ses bras à chaque fois qu’il s’y réfugie en criant maman, parce qu’il est un enfant heureux. Elle sait pourtant que tout n’est qu’éphémère et qu’ils devront bientôt rentrer. Mais au moins, elle lui a permis de charger son esprit de rêves d’enfants et grâce à cela, elle lui a ouvert les portes d’un monde adapté. La foule les guide, ils s’y perdent comme s’ils n’étaient que des personnes lambdas. Et même si elle avait eu tendance à se retourner plusieurs fois pour vérifier que tous les visages lui soient inconnus, Carol avait repris le dessus. Ils n’étaient que de simples visiteurs tous les quatre. Jin les avait rejoints sur le tarmac en compagnie de sa fille. Et les voilà tous les quatre à profiter de l’instant présent. Il persiste toutefois cette sensation étrange d’être regardée. Si les filles se sont moquées des pères célibataires qui les avaient simplement remarqués, la blonde sent qu’il y a autre chose. Mais elle fait taire son appréhension plusieurs fois, se concentre uniquement sur Laurits où lorsqu’il est dans une attraction où elle ne l’accompagne pas, sur sa meilleure amie. Elle ne pense plus à elle, Lydie. Elle ne sait pas ce que cela fait, elle l’a complètement oublié depuis toutes ces années.

Ils rentrent à peine du spectacle de Buffalo Bill. Laurits encore excité d’avoir vu des cow-boys et des Indiens juste sous ses yeux. Chapeaux de paille sur leurs têtes, ils retracent quelques-uns des évènements marquants de la soirée. Elle rie devant les récits de son fils, qui lui donne l’impression de lui rapporter les détails comme si elle ne les avait pas vu. Ils viennent à peine de traverser Disney Village et comme la veille, elle a été obligée de le retenir devant le magasin des Lego. Ils iraient mais pas ce soir. De toutes les manières leurs séjours se terminait le surlendemain, alors elle sait qu’ils s’y rendront plus tard. Ils pénètrent à peine les portes de l’hôtel des Avengers que déjà le garçon court à toute allure en direction de l’ascenseur pour regagner leur chambre. La douche va s’avérer compliquée, elle le sait déjà. Mais elle préfère le laisser dans cet état d’euphorie encore quelques instants. Elle se retourne avant de monter dans la caisse métallique, sensation étrange qui l’anime, mais rien ne se dévoile. L’arrivée en chambre est comme elle s’y était attendue, mais cette étrange sensation demeure. C’est pourquoi, elle dicte à son fils d’aller prendre sa douche sans attendre plus longuement. Bien sûr, elle doit énormément négocier, mais le petit s’exécute et elle profite de ce temps là pour le prévenir qu’elle revient très vite.

L’ascenseur lui donne l’impression de l’avoir attendu. Il n’a pas bougé. Elle s’y engouffre, redescend jusqu’à la réception en quête de demander un sèche-cheveux, pour excuse. Tout est étrange, elle cherche du regard la faille, mais ne la voit pas. Ce qui l’amène à exécuter vraiment sa requête. Et c’est alors qu’elle reconnaît la voix. Son sang se glace, son cœur s’arrête, elle n’ose se retourner parce qu’elle sait qui il est. Son passé, son espoir perdu. Elle a l’impression que le sang monte dans son cerveau, elle ressent une chaleur qui l’irradie et bouche ses oreilles. Il faut qu’elle s’assoie. Elle le doit. La nausée monte, brûle son estomac et arrive à sa gorge, son teint est probablement aussi blanc qu’un linge. « Je… » le sèche-cheveux glisse de ses doigts, elle se rattrape sur le comptoir mais sent qu’elle perd connaissance, qu’elle perd pied. Le noir ne tarde pas à l’entourer, le silence ou plutôt le bourdonnement, elle ne sait plus où elle se trouve. Elle va tomber, Lydie, rattrapée par son passé.

opus - eric prydz

février 2022, paris
Qu'est-ce que je fiche ici ? C'était pas une bonne idée, de venir. Encore moins de la suivre. Un besoin égoïste, de la revoir. Une envie qui a dépassé toute raison. A la filer toute la journée, j'ai bien vu qu'elle était heureuse, dans cette nouvelle vie qu'elle s'était créée. J'aurais pu en rester là. Me contenter de ca, pour notre bien à tous les deux. Mais trop de questions restent en suspens. Et si j'ai pu retrouver sa trace, malgré mes efforts pour la protéger, combien de temps il en faudra au Conclave pour la retrouver à son tour ? Voilà sûrement pourquoi ma vision n'est pas la plus rassurante. Après tout, ca fait 10 ans. Même si j'estime ne pas avoir trop mal tourné, le sang McGowan coule dans mes veines. J'ai certaines prédispositions à vriller, à suivre cet horrible exemple qu'est notre paternel. Alors lorsque je la vois doucement perdre pied, son regard pénétrant se figer, les mots coincés dans la gorge, ca ne me surprend pas. Je lui fais peur et ca me semble normal. Comment on a pu en arriver là ? Le sèche-cheveux glisse de sa main et je le rattrape dans un réflex habitué. Rapidement je me libère de l'objet en le déposant sur le comptoir et passe un bras autour de la taille de ma sœur. < Lily ! > Son corps résiste quelques secondes, à s'effondrer, puis devient subitement lourd, manquant de m'emporter avec elle. Mon autre bras passe sous ses jambes pour la soulever, tandis que ma voix pressante s'adresse à la femme au comptoir, qui a suivi stupéfaite la scène. < Allez me chercher un linge humide, s'il vous plaît ! > Pressé, inquiet, je me hâte à aller allonger Lydie sur un des divans du grand hall. < Ce n'est pas du tout comme ca que j'aurais imaginé nos retrouvailles… > Je marmonne tandis que je la dépose délicatement, glisse des coussins sous ses jambes pour les surélever un peu. Ca fait longtemps cela dit, que mon esprit ne s'est perdu à imaginer la retrouver, l'avoir de nouveau dans ma vie. Interdit, j'ai fini par me faire une raison, à garder un espoir vain malgré tout. Maintenant qu'elle est là face à moi, je ne me sens pas aussi heureux que je l'aurais imaginé. L'inquiétude prime sur tout. L'hôtesse d'accueil arrive avec une serviette humide et je m'en saisis rapidement. Dégageant doucement les cheveux du visage de Lydie, je lui tamponne le front, les joues, le cou. < Tout va bien Lily, > Je lui murmure, agenouillé au sol à ses côtés. < Il n'y a que moi ici, personne d'autre. Je veille sur toi, promis. > J'essaie de la rassurer, répète ces mots en boucle jusqu'à ce qu'elle reprenne connaissance. J'essaie de calmer les battements de mon cœur aussi, précipités par la peur. Je ferais tout pour la protéger, les années n'ont rien changé à cela.