Hella Good - Aonghas

Il y avait ce petit papillon multicolore, chatoyant dans la lumière stroboscopique, qui battait des ailes comme au ralenti. Il y avait ces bruits, forts, qui s'entremêlaient les uns aux autres. Et au milieu les battements d'ailes qui semblaient plus fort que tout le reste. Il y avait ces touches de couleurs qui se succédaient, qui vibraient dans l'air humide de la nuit. Il y avait cette impression, enivrante, effrénée, qui vous happait et ne vous laissait jamais repartir. Les mouvements imperceptibles, la folie de quelque chose de plus grand que soi, les lumières qui pulsaient, s'éteignaient et reprenaient leur ballet. La fumée qui s'élevait, ondoyant au-dessus de tout le reste, se dissipant rapidement, presque possible d'en sentir l'étrange odeur. Une odeur qui n'allait pas avec la fumée, une odeur sucrée, et cette impression, encore. Cette impression que le monde changeait, cette impression d'entendre les couleurs, de voir les sons, de goûter les lumières...Et encore, le papillon, reflétant les lumières autour de lui, ses ailes battant toujours aussi lentement, comme si c'étaient elles qui faisaient vibrer l'air. Jusqu'à ce qu'il s'étiole, lambeaux de fumée qui se dissipèrent dans la nuit avec regret...

La main crispée autour de son verre, ses yeux qui retrouvaient la vision du monde, ses oreilles qui entendaient à nouveau le bruit et la musique ambiants, son souffle qui se faisait haletant, comme toujours quand le monde s'arrêtait de tourner pour quelques secondes. Quelques secondes...Ça aurait pu lui paraître une vie entière, si il n'avait pas su ce que cela représentait, une vie entière. Avaler cul-sec le reste de liquide alcoolisé, dont le goût importait peu. Parce que le goût venait d'arrêter d'importer, tout ce qui importait maintenant, c'était l'ivresse qu'amèneraient les verres suivants. Pour ne plus penser à ce qu'il venait de voir, pour que son cerveau n'essaie pas de comprendre. Ou peut-être pour qu'il comprenne justement ? Jamais compris comment ça marchait. Pas ce soir qu'il allait le comprendre. Alors il alla jusqu'au bar, pas encore chancelant, juste le sourire accroché aux lèvres, à regarder les gens, à regarder les yeux. Était-il encore assez lucide pour éviter que les siens changent de couleur ? Il n'en savait rien. Tant pis, au pire, personne ne remarquerait rien vu ce qu'il se passait autour de lui. Se servir un verre, de la tequila, de la gentiane, le goût végétal puissant sur son palais et l'air de crétin heureux qui allait avec, incapable de faire une autre tête de toute façon, et commencer à s'éloigner vers il ne savait même plus quelle pièce au fond.

L'odeur de cannabis qui avait accompagné un homme, pas fait attention sur le moment, jusqu'à ce qu'il sente le verre lui échapper des mains et relever les yeux vers lui. Même pas eu le temps de capter son regard qu'il était reparti, évaporé au milieu des autres corps, des autres odeurs, des autres sons. Rire bêtement et faire comme lui, il avait attrapé un verre au hasard que quelqu'un d'autre tendait, sans s'occuper de ce qui se trouvait à l'intérieur et juste se laisser porter. Se laisser porter par les sons et les corps. Jamais été son fort de danser, du moins, quand il n'avait pas plus d'alcool que de sang dans les veines. Là il se débrouillait, laissait juste la musique le faire bouger sans même y penser, parce que c'était tout ce qu'il voulait : arrêter de penser. Penser à ce foutu papillon aux mille et une couleurs dansantes. Rouvrir les yeux et le voir à nouveau, celui qui lui avait pris son verre. Un inconnu de plus, mais qui l'attirait comme une lumière un papillon de nuit. Peut-être l'odeur de sa cigarette électronique. Peut-être juste son visage. Peut-être rien du tout à part l'alcool dans son sang. Laisser la musique le porter jusqu'à lui, laisser son verre dans les doigts de quelqu'un d'autre pour permettre à ses mains de glisser sur lui, sur la robe de chambre trop rouge pour être ignorée, sur les hanches qui dansaient...Juste envie de goûter sa peau, venant poser ses lèvres sur elle, sur la gorge, sur la clavicule, sur la peau qui se dévoilait quand il tirait un peu sur la soie couleur de sang...

Le goût de la peau, la chaleur qui s'en dégageait, juste sous ses doigts, sous ses lèvres. Juste apprécier ça, juste savourer le contact, la désinhibition totale qui l'avait pris alors qu'il dansait contre l'homme. Il n'avait pu s'empêcher de sourire en sentant les doigts remonter dans son cou et jusqu'à ses cheveux. Pas pu s'empêcher d'être ravi quand il avait senti qu'il lui tirait la tête en arrière et posait ses yeux sur lui. Et il avait ri franchement, en même temps que l'inconnu, quand il avait parlé. Rien dit de plus, pas eu envie et, surtout, pas eu l'occasion puisque ses lèvres avaient bien vite rencontré celles de l'homme. Le goût de l'alcool, du sucre, les restes des effluves de la cigarette...Toutes les saveurs qu'il sentait sur les lèvres et la langue de l'homme, qu'il savourait bien évidemment en ayant peut-être raffermi sans le vouloir sa prise sur ses hanches, sur cette peau, alors qu'il le sentait proche de lui et qu'ils ondulaient sur le rythme de la musique. Juste profiter du moment, ne se lassant pas de ces lèvres et de ce contact, même si il voulait bien plus que cela. Presque décidé à l'emmener ailleurs quand il l'avait senti se décoller.

Plisser un peu les yeux pour distinguer le sourire sur ses lèvres, le voir finir son verre et s'en aller, sans un regard en arrière, sans rien de plus, juste laisser l'immortel au milieu des danseurs. Il était resté là un instant, encore perdu au milieu de l'odeur de la passion, sentant encore la chaleur du baiser sur ses lèvres, à se demander ce qu'il venait de se passer, au fond. Un moment éphémère et trop agréable au milieu de la soirée, avec un inconnu qui l'avait laissé là. Pas très important. Les pas qui l'avaient conduit lentement à travers les danseurs, les fêtards, les gens qui l'entouraient. Peut-être un peu trop de monde, peut-être une impression un peu trop tenace à cause de cet homme et de ses lèvres, pas vraiment sûr, mais le besoin d'aller prendre l'air, de sortir un peu. Et il avait traversé la marée humaine jusqu'à trouver l'escalier qui menait à la terrasse. Inspirer l'air frais de la nuit londonienne, en levant la tête vers les étoiles, les yeux clos. Il avait senti les doigts se refermer sur son bras avant de comprendre qu'on l'attirait doucement et ouvrir les yeux sur un visage familier, étonnant au milieu de ce monde. Un bref sourire, avant un baiser du rouquin, et sentir quelque chose d'autre. Un clin d'œil de l'homme alors que l'immortel souriait en laissant la pilule descendre dans sa gorge. Toujours eu de quoi passer une bonne soirée celui-là, s'était-il dit en s'éloignant.

Il avait pris l'air, maintenant, il lui fallait de nouveau un verre. Traverser encore le monde pour retrouver son chemin jusqu'au bar et à ses mille et une bouteilles. La tête qui commençait à se perdre dans les sensations, dans les couleurs, les lumières, les sons, les odeurs, tout ce qu'il ressentait en plus fort à mesure qu'il s'enfonçait dans l'appartement. Et là, l'odeur de passion, l'homme qui l'avait embrassé, en train de s'occuper de son verre, du moins à ce qu'il semblait. Ne pas hésiter longtemps avant de venir dans son dos et de s'appuyer contre lui, de laisser son bassin rencontrer le corps de l'inconnu, reposant ses mains sur ses hanches, juste le temps de murmurer. Pas cool de m'avoir laissé en plan... S'écarter à peine le temps de le faire pivoter et de s'appuyer encore plus contre lui, le coinçant encore un peu plus contre le meuble. Piqué au vif, envie de lui faire comprendre qu'on ne le laissait pas de côté comme ça, l'immortel l'avait de nouveau embrassé, sans réelle douceur, juste laisser gronder l'envie de lui contre ses lèvres.

Retrouver ces lèvres, ce corps, oublier le reste qui se trouvait autour de lui, parce qu'il n'y avait rien d'autre que cet homme et sa bouche contre la sienne, son corps contre le sien, son envie qui se mêlait à la sienne. Laisser le baiser s'intensifier, se prolonger, laisser l'homme emmêler ses doigts dans ses cheveux, lui attraper la hanche, lui-même laissant ses mains glisser sous la robe de chambre pour parcourir un instant cette peau, remonter dans son doigt, jusqu'à ce que sa bouche se décolle et qu'il sente les lèvres venir jusqu'à son oreille pour y murmurer. Il avait eu un grand sourire sur les lèvres, allaient-ils jouer au chat et à la souris tout le reste de la soirée...? Pas sûr qu'il le fasse, pas sûr qu'il insiste. Et quand l'autre l'avait repoussé, il s'était dit qu'il retournerait voir n'importe lequel de ces hommes, croisés au fil de la soirée, que ça serait tout aussi bien. Jusqu'à ce qu'il se sente repoussé contre le meuble et garde encore un peu plus son grand sourire sur les lèvres. Encore une fois, laisser ses mains le parcourir quand il l'avait senti revenir contre lui, tout contre lui, et bien sentir sa propre envie grandir encore un peu plus en sentant la sienne, alors que leurs corps se frottaient, que leurs lèvres se joignaient encore...Juste le désirer et profiter des sensations exacerbées, de ses pulsations dans son crâne, de son coeur qui battait probablement un peu trop vite, de l'électricité au bout de ses doigts à cause de cette peau qu'il sentait juste là...

Les lèvres s'étaient décollées encore une fois et en rouvrant les yeux, croiser les siens, s'accrocher aux siens, à son regard sur lui, scrutant ses pupilles, ses iris. Il y avait quelque chose dedans, quelque chose qu'il ne parvenait pas à identifier, peut-être juste les effets de l'alcool ou d'autre chose, peut-être que c'était lui-même qui était bien trop perdu dans les propres vapeurs d'alcool et les effets de la pilule, qu'il inventait des choses qui n'étaient même pas là. Pas important, pas du tout même, parce qu'il se sentit bouger, tiré par l'homme qui avait attrapé sa ceinture. L'immortel se laissait entraîner, le regard rivé sur celui de l'homme, parce qu'il n'y avait plus que lui qui comptait, pas les danseurs, pas les autres corps autour d'eux, pas la musique ou quoi que ce soit d'autre. Juste l'homme, la chaleur qu'il créait au creux de ses reins et l'envie toujours plus forte qu'il avait pour sa peau, sa chair. Embrasser avidement les lèvres quand ils s'arrêtaient parfois, avant de repartir, avant de se laisser encore emmener sans la moindre résistance. Pourquoi aurait-il résisté de toute façon ? Pourquoi aurait-il fait quoi que ce soit pour lutter alors que l'autre s'installait dans le canapé et l'attirait sur lui ainsi ? Pas envie de résister à quoi que ce soit, juste envie de sentir son corps sur le sien, ses mains sur sa peau, ses doigts dans ses cheveux...

Finir par s'endormir, d'épuisement, de plaisir, au milieu d'un sentiment de satisfaction parfait et avec un petit sourire sur les lèvres. Pas arrivé depuis longtemps. Et pour une fois, pour la première fois depuis si longtemps qu'il avait du mal à se rappeler la dernière fois que c'était arrivé, il n'avait fait aucun rêve étrange à propos de sa constellation ou eu de visions cryptiques d'un futur qu'il ne comprenait pas toujours. Juste le sommeil profond. Ou le coma provoqué par l'abus d'alcool, de drogue et de sexe pendant la soirée. L'un ou l'autre se valaient de toute façon à cet instant. Du moment que son corps se reposait, régénérait ou peu importait vraiment ce qu'il faisait pendant que sa conscience était ailleurs, en fait. Enfin ça, ce fut jusqu'à ce que le soleil ne vienne le réveiller. Pourquoi fallait-il qu'il se réveille en fait ? Il était bien en train de dormir. Dans un lit qui n'était pas le sien. Après une nuit dont il n'avait, au fond que quelques souvenirs flous et vagues. Ce dont il se rappelait avec certitude, c'était qu'il avait beaucoup apprécié la nuit et l'homme avec qui il l'avait passée.

Redressé difficilement en se frottant le visage d'une main, l'immortel avait finalement ouvert les yeux. Personne d'autre avec lui, un lit passablement défait, des vêtements qui traînaient, rien de si étrange que ça. Pas s'occuper de l'heure qu'il était et juste se lever pour rassembler les vêtements et les enfiler, la douche serait pour plus tard, il n'avait pas envie de s'attarder vraiment ici. Renfiler ses vêtements, vérifier qu'il n'y avait rien de compromettant sur son téléphone, dans les messages récents ou quoi que ce soit. Rien, heureusement. Fouiller ses poches, heureusement trouver son paquet de cigarettes, qui avait un peu souffert durant la soirée, mais qu'importait. Il en tira un des clopes qu'il s'empressa d'allumer avant de sortir de la chambre. Eviter de trop poser les yeux sur les restes de la soirée, pas son appartement après tout, pas vraiment ses affaires l'état dans lequel les lieux étaient laissés après tout ça.

Besoin de juste se passer un peu d'eau sur le visage, et comme il n'avait pas envie de se fatiguer à trouver une salle de bain dans l'appartement, il s'était plutôt dirigé vers là où il pensait que se trouvait la cuisine. Et s'arrêter sur le seuil en voyant qu'il n'était pas seul. Que celui avec qui il avait passé la nuit était là. Bien sûr, c'était son appartement. Forcément, cela devait être le cas. Il n'aurait pas pu se faire juste quelqu'un comme ça, il fallait que ce soit le gars qui avait organisé la fête. Heum...Ce serait trop demandé d'avoir du thé aussi...? Caller la cigarette entre ses lèvres et s'appuyer contre un meuble à porter en regardant tout sauf l'homme dans la cuisine.

Eviter de le regarder, éviter de loucher sur lui dans ce pull, éviter de même penser à cette nuit avec lui, parce qu'il n'avait pas envie de se poser plus de questions que nécessaire. Il n'avait cependant pas prévu de lui faire faire un arrêt cardiaque en lui parlant simplement. Avancer d'un pas vers lui, un peu inquiet, prêt à lui demander si tout allait bien, mais déjà, ça avait l'air d'aller mieux. Juste tirer sur sa clope en le regardant vaguement faire, serrant un peu les dents à la remarque de l'autre. Peut-être qu'il était tôt et qu'il avait la gueule de bois mais tout de même...Pas envie d'être patient ce matin, même avec un mec avec qui il avait passé la nuit. Surtout avec un mec avec qui il avait passé la nuit, en fait. Le regarder juste aller jusqu'à la table, essayer de se retenir sans succès de penser qu'il était mignon avec des lunettes et laisser un nouveau nuage de fumée dans l'air. L'immortel avait un peu soupiré avant d'aller jusqu'à la bouilloire.

Prendre un sachet de thé, une tasse et préparer rapidement le thé, mais il n'avait pas pu s'empêcher de regarder un instant par-dessus son épaule. Et il l'avait vu se mettre de la vodka dans le thé. Retenir un faux rire, parce que ce n'était pas le moment de juger, mais soigner le mal par le mal n'avait jamais marché et il en savait quelque chose. Il avait laissé le sachet de thé à côté des cadavres de bouteilles et mis du sucre, en trop grande quantité sans aucun doute, dedans. Il avait soupiré une nouvelle fois et s'était retourné vers le propriétaire des lieux en buvant une gorgée. Avant de manquer de s'étouffer avec. Indéniablement une vue intéressante mais vu la tronche de l'homme, pas la peine de se faire de fausses idées. Et puis, ce n'était pas comme si l'immortel avait vraiment envie de remettre le couvert maintenant. Et commencer à y aller sans se poser plus de questions.

Il était sorti de la cuisine avec la tasse, pas plus gêné que ça, pour traverser l'appartement. Mais avant de sortir vraiment de la cuisine, il s'était arrêté, un instant, pour regarder vers lui. L'était pas mal, ton cul, sinon. Et continuer son chemin jusqu'à la porte d'entrée. Enfin de sortie là, en l'occurrence. Se barrer, marcher dans la rue et se rendre compte qu'il avait un peu froid avant de prendre une gorgée de thé. Et tilter soudainement que non seulement il avait laissé sa veste dans l'appartement, quelque part, mais qu'en plus, il avait embarqué la tasse. Mais il n'allait certainement pas faire demi-tour pour ramener la tasse et récupérer sa veste. Plutôt avoir froid.