Mr Sandman, bring me a dream (Ekaterina)

[TW : mentions d'adultère, d'assassinat et de violences]

[14 décembre 1678] Ekaterina nait dans le mensonge, fruit d’une liaison adultère. Les Narychkine étouffent l’affaire, cache l’évidence en mariant rapidement la jeune fautive à l’un des héritiers Volkov. Qu’il accepte l’enfant à venir, qu’il le reconnaisse comme sien, et la richesse suivra. Le père biologique gardera le silence, ne s'interposera jamais dans leurs affaires. Le contrat est conclu, l’honneur de chacune des familles sauvées, si on en oublie la colère sourde d’une épouse bafouée. Les revendications de cette dernières sont étouffées par le mari volage, toucher à l'une des cousines, même éloignée, du futur tsar de Russie n'est pas des plus conseillés. Se montrer ouvertement hostile non plus.

[1688] Des frères et sœurs se sont rajoutés au tableau familial, récoltant toute la tendresse de la maisonnée. Seule reste Ekaterina, effacée, mise de côté. Son père la voit à peine, sa mère ne parvient pas à soutenir son regard. Qu’importe ses efforts, qu’importe la brillance de son esprit et ses manières irréprochables, la petite sait qu’elle ne parviendra jamais à être aussi adulée que le reste de la fratrie.    
(Soit belle et tais toi.)
L’une des leçons qu’elle aura probablement le mieux intégré.

[1700]Les années passent, Ekaterina grandit. Elle s’épanouit, gracieuse petite fleur, rentre même à la cour. Ses fiançailles ne cessent d'être repoussée, les prétendants défilent sans que sa famille ne se décide, préférant conclure des alliances pour ses cadets. Pourtant, Ekaterina se tait, n'aborde pas le sujet, la peur de se retrouver emprisonnée dans les bras d'un parti peu recommandable.
(Ils en seraient capables à la moindre incartade, et tu le sais.)

[1708] Le cercle le plus proche de Catherine l’accueille dans ses rangs. Le début de la fin. Si ses pairs l’apprécie, lui permette pour la première fois de briller, une paire d’yeux  la suit avec animosité. La rancune tenace nourrit pendant près de trente ans, la jalousie repointant le bout de son nez hideux. Irina n’a jamais pardonné la trahison de son époux, trente années plus tôt, et en voir le fruit chaque jour, toujours plus proche de l’impératrice ne fait qu’attiser un peu plus sa haine.

[Aout 1710] TW : Trahison, Assassinat C’en est presque ironique, la façon dont tout se termine. Le fruit d’une trahison qui se retrouve trahi à son tour. Elle tombe amoureuse, Ekaterina. Le coeur qui s’affole pour la première fois, qui ne se méfie pas du serpent qui s’infiltre dans son entourage. Naïve, bercé par des rêves d’une romance qu’on lui a si souvent dérobée. Elle tombe amoureuse, Ekaterina, et se fracasse contre la dure réalité. Parce qu’elle n’est qu’un contrat de plus, qu’un nom à éliminer avec la promesse d’une paie conséquente. Et c’est sa lame qui lacère sa carotide, ne lui laisse aucune chance de survie. Sa main qui recouvre ses lèvres pour étouffer le moindre bruit alors qu’elle s’éteint contre lui. Une mort rapide, presque miséricordieuse, allant à l’encontre des règles énoncées.
Son corps est jeté dans la Neva, n’en rendant sa résurrection que plus traumatisante alors qu’elle manque de peu de se noyer à peine le coeur redémarré. Une fois le rivage atteint, elle fuit, la peur lui tordant les entrailles.
Ekaterina n’est plus, morte et avalées par les eaux. Ne reste plus que Katia.

[1711] Elle parvient à se faire embaucher comme gouvernante pour une famille bourgeoise, échappe à la rue et à la faim. Ne peut s’empêcher de regarder par-dessus son épaule, sursaute à la moindre silhouette pouvait lui ressembler. Les cauchemars la hantent, chassent le peu de sommeil qu’elle parvient à s’octroyer. Katia n’est plus que l’ombre d’elle même, les traits émaciés par la fatigue et l’anxiété lorsqu’elle rencontre des membres de sa constellation pour la première fois. Elle manque de fuir face aux carrures imposantes, retenue de justesse par cette impression de familiarité. De liens fantômes l’unissant à eux, aussi fou que cela puisse sembler. La russe se laisse approcher, apprivoiser.  

[1850]Elle s’appelle Alice et se perd dans les rues londoniennes.
C’est la première fois qu’elle s’éloigne véritablement de sa constellation. L’oisillon s’envole, quitte le nid réconfortant pour découvrir le monde. Elle se glisse à nouveau dans le rôle de gouvernante, rapidement embauchée par une famille noble anglaise, ou elle enseigne le russe et le français. Un brin de normalité, et elle oublie sa condition, se plonge dans le doux mensonge de cette nouvelle identité.
Et tout s’envole une nouvelle fois, alors qu’elle croise un fantôme du passé, premier amour et assassin. La terreur lui enserre la gorge, priant pour qu’il ne soit qu’une hallucination. Qu’un jeu malsain de son esprit anxieux. Elle tourne de nouveau la tête, il n’a pas disparut. Leurs regards se croisent, elle croit déceler de la stupeur, et avant qu’il ne puisse esquisser un pas vers elle, elle se fond dans la foule.
Alice ne reviendra pas dans le manoir de ses employeurs et disparaît tel un fantôme.

[1934-1942] Paris la grande. Paris la belle.
Elle s'appelle Constance, travaille comme couturière dans une grande maison parisienne. La vie lui sourit à nouveau et elle se laisse porter, plus légère. Elle ne se doute pas un instant que ce bonheur n'est que fugace, que la guerre viendra sonner à sa porte. Que l'ennemi envahirait la capitale.
Son sourire s'efface, laisse de nouveau la place à l'inquiétude. Constance se tait, baisse la tête et ne réagit pas aux sourires goguenards des soldats, aux tentatives d'approches. Elle grince des dents, face aux atrocités, à la haine.
Sauf qu'elle n'a rien d'un soldat. Qu'elle n'est pas comme Eirik, Santiago et Salim. Elle n'a rien de la Capitaine qu'Annabelle a pu être par le passé. Elle n'est que Katia, la terrifiée. Et pourtant, elle ne parvient pas à rester neutre, refuse de voir des âmes innocentes se faire embarquer sans qu'elle ne bouge le petit doigt.
Pendant près de deux ans, elle aidera des familles juives à disparaître dans la nature, leur forgeant de nouvelles identités, peut-être pas parfaites, mais suffisamment pour que certaines puissent passer sous le radar. Sauf que tout a une fin. Les regards commencent à se tourner dans sa direction, et Constance disparaît.
Comme si elle n'avait jamais existé.

[Novembre 2020] Son monde s’arrête brutalement, sort de son axe et chamboule chacune de ses convictions. Ils ont Eirik. La peur, l’incompréhension, mais surtout la colère. La rage qui gronde tout bas et menace de tout emporter sur son passage. Katia n’a jamais été une personne profondément violente. D’habitude, la russe est celle qui temporise, qui tente de calmer les tempêtes. Sauf qu’ils ont pris une de ses étoiles, le torture et menace l’équilibre même de leur constellation. Et pour la première fois depuis des décennies, Katia a soif de vengeance. Qu’ils souffrent, qu’ils meurent. Elle ne cherchera pas à calmer la haine des siens envers les coupables.
Ils n’avaient qu’à pas s’attaquer à lui.
Son regard surveille la rue, nerveuse alors que les minutes s’égrainent. Katia n’est pas un soldat, ne l’a jamais été. Mais les mettre en sécurité ? Leur créer de nouvelles vies ? Ca, elle maîtrise. La portière de la voiture se referme et elle démarre brusquement, avalant les kilomètres pour mettre le plus de distances possible entre eux et le laboratoires.