why overthink when you can overdrink - leonora.

16 MAI 1990 Pitigliano, Toscane. Dans la maison de campagne, les Genovese s'extasient et défilent devant les landaus ayant recueilli les jumeaux de quelques jours. Les parents sont resplendissants, rayonnant de ce bonheur si spécial qui caractérise ceux qui accueillent un bout d'eux-mêmes au sein de la famiglia. La fille s'est échappée la première, le garçon, Federico, a terminé sa course deuxième et dernier. L'ambiance est à la fête, le clan s'est réuni pour accueillir les deux bambins, premiers de leur génération - les premiers à qui sera confié le flambeau de la réussite familiale.

[1995 à 2000] Rome. Un troisième rejeton vient s'ajouter à la fratrie, puis une benjamine qui clôt définitivement la progéniture de Luisa et Gianni Genovese. Leonora a désormais dix ans, une frimousse malicieuse et sans doute un destin brillant qui l'attend, tout comme le reste de ses frères et sœurs. L'enfance est heureuse, une mère disponible, un paternel qu'elle admire mais qu'elle juge trop souvent absent. Maman leur explique tendrement qu'il a des affaires à régler, qu'il sera probablement de retour pour l'été, là où ils retourneront tous dans la maison de campagne, s'éclipser des heurts de la ville et du quotidien. Et bien que le patriarche leur manque, ce n'est pas une raison pour s'immiscer dans son bureau à l'étage, là où une partie des secrets Genovese est bien gardée.

[2003] Leonora est habituée aux grandes réceptions, aux galas où on la traîne parfois : on ne se roule pas par terre, on ne fait pas d'esclandre, on tient sa langue. Loin est le temps où Fede et elle roulaient dans l'herbe des jardins de la demeure de Pitigliano. La gamine s'ennuie, affublée d'une robe en tulles qu'elle abhorre, entourée des cousins et cousines - reliés de près ou de loin à la branche principale qu'est la sienne - tirés à quatre épingles. On les fait patienter dans la salle de bal pour leur présenter un très bon ami de la famille. Néanmoins, les sourcils haussés et le soupir au bord des lèvres, la jeune fille ne comprend pas pourquoi la venue de ce bon ami nécessite tant d'égards. Son regard croise celui de sa moitié, échangeant leurs songes sans même esquisser un murmure. Une heure de plus à poireauter ainsi et ils mettraient à exécution l'un de leurs fameux quatre cent coups qui horripile si bien leur père. Les sourires en coin n'ont pas le temps de fleurir que la large porte s'ouvre sur une silhouette que personne ne reconnaît, mais dont les traits du visage dur, ne leur sont pas inconnus. Et pour cause, c'est le même visage qui figure sur quelques portraits de famille accrochés dans les couloirs. Mais ces derniers sont datés de siècles passés. Les jumeaux se dévisagent, Federico a cette même impression de faire face à un fantôme. Et c'est ce jour où la douzaine de rejetons liés au sang Genovese, âgés de trois à treize ans, découvrit en chair et en os l'immortel auquel elle jurera fidélité à sa majorité.

[2008] Rome. Une vie de femme au foyer ne lui conviendrait pas. Alors, plutôt que souhaiter à imiter maman, elle s'efforce de suivre les traces du papa. D'abord admise en école d'architecture, elle continue son cursus en se spécialisant dans les suivis de chantier. C'est également cette même année qu'elle découvre les réelles coulisses dissimulées par l'entreprise de construction : faux et usage de faux, corruption et tout ce qu'il était nécessaire de faire afin de contenter Signore Eudemonanos. Ce dernier exigera une entrevue avec l'Italienne, quelques mois après sa majorité. Elle gardera la raison de sa visite secrète.

[2010] adorateurs. Déjà bien au fait de l'existence des immortels, Leonora rejoint - selon les vœux de la famille - les Adorateurs de l'Hydre. Toujours dans le but de servir ceux qui ne meurent jamais, mais principalement afin de servir les obligations confiées par celui à qui elle voue des sentiments controversés.

[2014] Rome. Les études sont terminées, closes avec succès. Le père est fier de faire entrer sa fille dans les bureaux de GC. Elle débute ses premiers mois d'emploi avec un conducteur de travaux qui fera office de mentor, voyageant premièrement à travers l'Italie, puis à l'étranger. Les expériences, plus de bonnes que de mauvaises, finissent par modeler la jeune femme en une experte financière de gros chantiers.

[août 2019] Paris, Hôtel Cheval Blanc. Leonora séjourne brièvement en France pour suivre de près les expertises et rapports suite à l'incendie ayant grignoté la Cathédrale de Notre Dame. Leonora avait le nez fin lorsqu'il s'agissait de dégoter de nouveaux mandats et elle comptait bien affilier son patronyme au projet d'envergure que représentait le malheureux incident survenu quelques mois plus tôt. Exténuée de ses rendez-vous de l'après-midi, elle profite de s'arrêter au bar de l'hôtel pour s'accorder un remontant. Le démontage des échafaudages serait pour eux, elle en était convaincue, mais suffisamment prudente pour ne pas prévenir le siège avant d'avoir les contrats en main. Le martini blanc, serti de son olive, roule sur la langue avide de breuvages salvateurs. La descente du coude détonne avec l'élégance que Leonora dégage. “ Joli cul sec. ” Seule autre âme à partager le comptoir, un quidam au large sourire, qui deviendra son amant et, trois mois plus tard, celui à qui elle vouera fidélité et amour.

[juin 2020] Pitigliano, Toscane. Le corps secoué de sanglots déchirants, les joues ravagées par des larmes qui ont fini par creuser des sillons irrités, Leonora, allongée sur un des canapés du salon toscan, n'est que l'ombre d'elle-même. Seule dans l'immense propriété, elle s'y est réfugiée pour panser des plaies que l'on ne pourrait distinguer à l'œil nu. La famille est trop occupée pour s'attarder en haute saison dans la bâtisse, elle se sait tranquille. Sur le tapis est abandonné un verre de vin rouge, délesté de son contenu. La chaîne hi-fi renvoie les notes joviales d'un disque de ABBA. Un râle de douleur s'échappe des lèvres sèches alors qu'elle serre les poings, prémices significatifs d'une énième crise dévastatrice. Les pieds viennent molester les coussins, la rage prenant le pas sur la raison, les cris de colère résonnent dans l'immense pièce. Brusquement elle se lève, envoie valser le verre vide contre un des murs de pierres qui va s'y briser. La ritale fait du rez-de-chaussée son exutoire, soumise à ses émotions, prisonnière de ses pulsions ravageuses. L'ultime acte de son ridicule krach vient à retirer son alliance et la lancer dans le broyeur de la cuisine. Observer les lames s'exploser contre le diamant suffit à faire redescendre la pression. Les doigts, fébriles mais décidés, viennent écraser les dernières perles salées qui roulent sur ses pommettes. Direction la cave afin de dénicher un ixième grand cru - qu'elle ne savourerait même pas - avant d'ouvrir sa boîte mail professionnelle qu'elle n'avait pas relevée depuis deux jours. Le lendemain, elle appellerait les intendants qui s'occuperaient de nettoyer les vestiges de sa fièvre, discrétion moyennant finances. C'était comme ça que Leonora avait toujours fait, c'est comme ça qu'elle ferai encore.

[décembre 2020] siège de la Genovese Costruzioni, Rome. Les escarpins claquent contre le marbre de la réception. Leonora salue d'un sourire les secrétaires avant de se diriger vers les ascenseurs pour rejoindre l'étage où se trouve le bureau de Federico. Elle ne l'entend pas, mais une des employées tente de l'arrêter en la hélant. Malgré qu'elle ait appris que Cosimo n'avait pas perdu de temps avant d'officialiser sa relation extra-conjugale, l'italienne allait bien. Son escapade à Paris n'avait pas été totalement inutile puisque c'est à eux qu'était revenu le mandat. Les quelques personnes qu'elle croise se fondent dans les murs ou évitent son regard, ce qui n'empêche en rien la tête blonde de se diriger, conquérante, jusqu'à son jumeau. Cela faisait deux mois qu'ils ne s'étaient pas vus. Elle, en vadrouille, lui, très occupé à gérer l'image immaculée de l'entreprise. “ Fede ! ”, que s'exclame l'aînée à son binôme en débarquant dans la large pièce vitrée dont on pouvait apercevoir un bout du Vatican. Le frère relève les yeux des rapports étalés sur son bureau, avant de se fendre d'un sourire. Les retrouvailles sont presque émouvantes, l'accolade ne finit pas et tous deux passent le quart d'heure suivant à se chambrer. “ Trêve de plaisanterie, où en est Papà dans son choix pour la Direction ? ” Federico pâlit soudainement, Leonora sent que l'annonce ne va pas lui plaire. “ Je pensais qu'il t'en avait parlé. ” Il refuse de lui en dire plus. Elle apprendra plus tard de la bouche du paternel qu'un directeur exécutif, temporaire, a été choisi. Ce poste, elle l'avait toujours voulu. Il le lui revenait de droit, elle était la première née. Elle qui avait tout sacrifié pour cette place, la voilà seule et répudiée. Deux trahisons en si peu d'intervalle, la jeune femme ne put le gérer. Et si devant le père elle s'inclina et demanda la permission de pouvoir se retirer, Leonora explosa dès son retour à son appartement. Le soir-même, elle disparut pour suivre un chantier à Tokyo.

[2021] Leonora a pris ses distances vis-à-vis de la firme familiale pour se concentrer sur les adorateurs, plus spécifiquement sur le projet mené par Alexis. Elle y garde cependant son poste mais ne s'inclut plus dans les réunions du conseil d'administration. Sachant pertinemment que le réel enjeu pour sa carrière ne se joue pas dans les bureaux de l'entreprise mais bien dans l'efficacité avec laquelle la belle agit pour Signore Eudaimonanis.