Living hard 'cause dying is too easy {Miào}

[1179] C’était des temps plus simple. Troisième fille d’un marchand, sa naissance ne fit rien pour apaiser les inquiétudes d’un paternel désespérant d’obtenir une progéniture mâle pour reprendre les affaires de la famille. On l’éleva pour être douce et élégante, à l’image de ses sœurs aînées, dociles comme des agneaux. Elle devint fougueuse et indisciplinée, se moquant des commères du village et des bouffons désirant lui passer la laisse autour du cou. Elle rit aux éclats, hausse le ton, se dresse ouvertement contre toute forme d’autorité juste pour le plaisir de clouer le bec d’homme bien-né. Elle est insouciante, souriante, insolente aussi, mais c’est une part de son charme. C’est une fille bizarre qui fait la honte de ses parents. Et pourtant… Cette vie est paisible et simple et peut-être monotone aussi, mais c’était la sienne et malgré tout elle l’aime.
[1204] Elle a 25 ans. Et toujours on la voit se parader sans le moindre souci du monde, déclinant sur son chemin les prétendants voulant la domestiquer. On la pleure, on la plaint. On ne cesse de lui répéter qu’elle finira vieille et seule, qu’elle a bientôt passée l’âge du mariage. Et décidément, il doit vraiment y avoir quelque chose qui cloche chez elle puisque loin de trouver ce destin sinistre elle en vient presque à le désirer. Mais elle reste la fille de ses parents, alors par piété filiale elle cède aux insistances et au chantage émotionnel. Elle troque sa liberté contre “l’espoir” de porter, un jour, les soies vermeilles des noces.
[1207] Le jour qu’elle craignait tant finit par arriver. La veille encore, elle pensait pouvoir y arriver mais le moment venu la volonté lui manqua. Elle pria les dieux, implora leur miséricorde, les supplia de lui épargner une vie de servitude. Et ils exaucèrent ses vœux… de la plus cruelle des manières. Elle se souvient des cris, ces hurlements d’effroi et de douleur résonnant jusque dans ses os. Mais elle se souvient surtout du rouge, celui des flammes écarlates montant vers les cieux au point de lécher les nuages, les étendards pourpres agités par le vent, la soie vermeilles de son hanfu désormais imprégné de son sang. Tout était rouge avant de sombrer dans un néant glacial.
[1209] Son village n’était pas la cible, juste une étape sur le chemin de la dynastie des Xia occidentaux, un simple dommage collatéral dans les ambitions de Gengis Khan. Elle demanda l’aide de Shénzōng, l'empereur des Xia, juste pour le voir courber l’échine quelques mois plus tard face aux envahisseurs. Elle les haït tous autant qu’ils étaient. Elle haït les mongoles pour leur brutalité, les Xia pour leur lâcheté, elle se haït pour sa propre faiblesse. Elle était seule et sans foyer. Personne ne vint jamais à son secours. Alors elle devint l’instrument de sa propre vengeance.
[1213] Sa seule obsession lui permettait encore de se mouvoir. Se battre. Mourir. Se relever. Recommencer. Encore. Et encore. Valser au milieu des corps et des lames au rythme des tambours de guerre. Abattre ses ennemis un à un. Elle ne s’arrêta pas, pas même pour s’interroger sur ces rêves étranges qui hantaient ses nuits ou bien la raison pour laquelle son corps ne garde aucune séquelles de ses blessures. Était-ce une bénédiction pour lui permettre de venger sa famille, ou bien une malédiction pour l’empêcher de les rejoindre ? Qui sait… Pour le moment elle s'en fichait éperdument.
[1219] Elle fut surprise de les voir, ces images issues de ses songes avait pris une apparence de chair et de sang. Le temps d’un battement de cil ou même d’un bruissement d’ailes, ses questions prirent enfin le pas sur sa haine. Cela ne dura qu’un instant avant que sa colère ne reprit le dessus, au fond elle se fichait de savoir qui ils étaient, de toute façon elle n’avait pas besoin d'eux. Elle rejeta leurs sollicitations et ses insultes durent franchir la barrière de la langue avec succès puisqu'ils partirent. Avec satisfaction, elle crut les avoir tous fait fuir. Enfin tous sauf un. Pendant près de sept décennies, il se fit unique compagnon contre sa volonté. Toutes ces années elle le gratifia rarement de plus que son indifférence, elle ne se froissa même pas un neurone à essayer d’apprendre son nom et encore moins sa langue. Elle tenta vaguement de le tuer aussi, avant de lâcher l’affaire. Le bougre courait particulièrement vite.
[1280] Et la musique cessa, laissant derrière elle un vide. Un trou béant menaçant de l'engloutir à tout instant. Elle en a fini de lutter, son combat fut vain du début jusqu’à la fin. Toutes les dynasties chutèrent face aux Mongoles, et elle n’avait fait que poursuivre des chimères. Elle se rapprocha enfin d’Ibrahim. Son hypocrisie saisissant avidement cette occasion pour finalement se réconcilier avec au moins un des membres de sa constellation. Franchement, n’importe qui aurait fait l’affaire, tout valait mieux que de s’interroger sur ce qu’elle ferait pour toujours et le restant de ses jours. Contre toute attente, elle en vint à l’apprécier, ses questions qu’elle avait refoulé depuis si longtemps trouvèrent quelques éléments de réponse grâce à lui. Et peu à peu sa présence passa de “hautement indésirable” à “vaguement tolérable”.
[XIVème siècle] Pour la première fois de sa vie, elle quitte son pays de naissance. Pour aller où ? Un peu partout mais surtout en Europe. Le choc culturel est pour le moins violent et l’envie de rentrer chez elle est toute aussi forte. Mais elle fait tout de même l’effort de venir à la rencontre du reste de sa constellation. Et s’il y a bien un détail qui vaut le coup du déplacement, c’est qu'à une exception près, ils sont tous d'horribles personnes.
[1480] La perte de celui qu’elle considérait comme un frère, fut un véritable déchirement pour elle. Trop occupée à rester dans son coin, elle ne connut que trop tard les circonstances de sa disparition, et le nom de leur nouvel ennemi. Aussi épouvantable que pouvait être la douleur, elle resta assez lucide pour se souvenir que sa première tentative de vengeance ne s’était pas terminée comme elle l’avait espéré. Désormais, elle avait de son côté l’expérience et la patience. L’occasion rêvée vint lorsque le Conclave posa les yeux sur la Chine. Elle eut envie de rire de leur audace. C’est avec un zèle tout particulier qu’elle ruina chacune de leur tentative de s’installer au-delà de la frontière. Il faut bien l’avouer, elle est bien plus performante lorsqu’elle a une cible.
[1842] Dès le début du XVIIème siècle, elle fait de l’opium l’un de ses principaux fonds de commerce, ses fumeries apparaissent un peu partout dans la capitale, et l’interdiction de l’Empereur ne fait rien pour entacher son commerce, au contraire. C’est après la première guerre de l’opium qu’elle plie bagage. Elle n’y a pas participé, estimant avoir assez donné dans le carnage de grande ampleur. Néanmoins, elle trouve la défaite humiliante. Pour cause, cette évènement marque le début du siècle de la honte pour sa patrie. Si elle n’éprouve aucune pitié pour les humains, c'est avec un pincement au cœur qu’elle voit les Britanniques fouler du pied sa culture. Sauf que plutôt que d'assister à la déchéance de sa nation, elle part pour le Japon, et prend officiellement la gestion du QG de Kyoto.
[XXème siècle] Macao, Corée, Thaïlande. Elle passe sans jamais vraiment s’arrêter, créant un petit empire hôtelier sur son passage parce qu’elle le peut et parce qu’elle fait ce qu’elle veut. De retour au bercail, La Chine devenue communiste, décide de bannir les Triades qui avaient pourtant instauré la République. Alors elle leur vient en aide accordant sa protection aux familles et les aidant à fuir vers Hong-Kong, Macao ou Taiwan. Évidemment, ce ne fut pas par bonté de cœur qu’elle agit, mais purement par intérêt. Dorénavant, ces chefs déchus lui devaient la vie. Et elle comptait le faire savoir. Il lui prêtèrent allégeance aussi longtemps qu’elle vivrait.  Techniquement, elle est au-dessus du chef dragon de trois organisations pourtant rivales. Concrètement, elle ne fait pas grand-chose. La plupart du temps, elle les laisse faire ce qu’ils veulent. Tout ce qu’elle leur demande c’est de lui rendre quelques services de temps à autre sans qu’ils n’aient à poser de questions. La plupart du temps, ils obéissent sans aucun problème mais parfois elle doit remettre les pendules à l’heure et faire honneur à sa réputation de croquemitaine.
[XXIème siècle] Habituellement, elle ne fait pas dans la politique, elle préfère aller ça pour les beau-parleurs du genre Marius ou Nephtys. Il y a bien quelques politiciens qu’elle garde dans sa liste de contact en cas de besoin. Mais c’est tout, ça ne va pas plus loin… Tout ça pour dire que ce poste d’Ambassadrice sort littéralement de nul part ! Mais de toute évidence ça portait la griffe du romain, depuis le temps elle arrive à sentir ses sales coups à des kilomètres. Bien sûr, elle a fini par accepter, non sans avoir gueulé quelques semaines, mais c’est uniquement parce qu’il lui a offert l’hôtel dans lequel elle loge.