Easy come, easy go ❅ rahim & matheus

(toronto, fin décembre 2021)Toronto. Encore. Il en a fallu, de longues discussions avec Mathy pour qu'il réussisse à m'amener ici. Depuis que l'autre nous a rejoint là, c'est sa grande question : quand est-ce qu'on va la voir ? Franchement, elle serait aussi bien seule avec Rahim. Comme il l'a été avec Yixi. Ce sera moins de problèmes pour eux, moins de prises de tête, vraiment. Puis c'est parfait, Rahim a de nouveau de la compagnie : plus besoin de s'embêter de quoi que ce soit ! Un joint porté à mes lèvres j'observe la rue en bas de notre location, la librairie de Rahim positionnée juste en face. Fichue âme soeur. Il obtient toujours ce qu'il veut de toute façon, pourquoi je m'entête ? Faudrait pas qu'il croit que c'est si facile de me convaincre.

Il est midi, je suis encore en tee-shirt culotte quand je vois Rahim sortir. Faut dire je me suis levée il y a peu. On est pas mal sorti hier, à peine arrivés à l'aéroport. Le gamin ferme boutique pour le déjeuner et s'apprête à sortir ; je me décide alors malgré mes pensées un peu trop embrumées. J'enfile rapidement le premier jean qui me passe sous la main, celui de la veille et choppant mon manteau de fourrure, je lance à Mathy : < J'vais faire des courses ! > Je m'échappe de l'appartement telle une petite tornade, non sans oublier de prendre l'unique jeu de clés et verrouille la porte de l'extérieur. Ça lui fera les pieds.

Une fois dans la rue, je me pose un instant et écouté mon instinct. Ce lien qui nous unit tous, allant à la poursuite de Rahim. Au bout de quelques rues, je finis par l'apercevoir au loin, entrer dans une boutique. C'est con, j'avais plutôt faim dans l'immédiat... Un oeil gardé au loin pour m'assurer qu'il file pas, je m'arrête à un stand de hot-dog. Alors que je m'apprête à passer commande, j'ai la sensation que la petite voix désagréable de Mathy me siffle dans les oreilles, Essaie d'être gentille Lovie, tu peux faire un pas vers lui, ça te coûte rien. Je souffle et demande donc deux ketchup moutarde au vendeur, avant de rejoindre la boutique. De fringues, semble-t-il. J'entre en croquant dans mon déjeuner, malgré le lieu légèrement distingué qui ne tolère pas la nourriture. J'vois pas la tête de Rahim dans les rayons, alors je me dirige vers les cabines d'essayage, persuadée qu'il est ici. J'me pose tranquillement sur un des confortables fauteuils, mes deux hot-dogs en main. Presque immédiatement, l'homme sort, vêtu de nouveaux fringues. Le style est affreux. C'est quoi ces goûts vestimentaires ? Je lâche un petit rire et un commentaire de vipère s'échappe de les lèvres. < T'es resté coincé dans les années 80 ? > Je lui lance sans retenue, pas peu fière de ma vanne.   

(toronto, fin décembre 2021) À l’image d’un hiver classique au Canada, t’es sortie prendre l’air, te balader un peu histoire de voir autre chose que la librairie, l’espace vide au dessus et l’appartement. T’as un petit programme, remplir le frigo, te trouver un nouveau jeu vidéo, tandis que tes pas te mène d’un endroit à un autre, au petit bonheur la chance. Tu n’as pas vraiment l’occasion de partir très loin, cependant. T’as du passer beaucoup trop de temps en compagnie de Bastian pour que sa malchance légendaire – ça mériterait d’être un artefact à ce stade – déteigne sur toi. Tu marchais tranquillement quand, sans crier gare, un coup de vent te claque le visage et la neige s’étant accumulé sur le toit du bâtiment à côté de toi te tombe dessus. Tu n’as rien vu venir, Rahim, tout comme t’as tout simplement pas vu éviter quoi que ce soit. Tu te retrouves trempé et gelé jusqu’aux os en quelques secondes, regrettant déjà d’avoir mis un pied dehors.

Heureusement, une friperie se trouve un peu plus loin dans la rue et une fois que tu t’es ébroué – t’as une pensée pour les chevaux de Tal et Chiranth et ça te fais un peu lever les yeux au ciel – t’en dans la boutique en expliquant brièvement ce qui t’ai arrivé et pourquoi t’as l’air un rat mouillé, tout en t’excusant d’avance pour les dégâts causé sur le sol. Les employés ne sont en revanche pas si embêtés, quand t’annonces d’emblée être là pour acheter une tenue complète, prétextant une santé un peu fragile et plus t’attend pour être au sec, pire ça risquerait d’être. T’as juste froid et pas envie que ça te colle à la peau plus longtemps que possible. Tu ne fais pas vraiment attention à ce qu’on te donne, ton seul critère étant, « Faut juste que ce soit chaud, s’il vous plaît. Et sec. » T’ajoutes ce dernier point avec une expression un peu dépité qui amuse la personne s’occupant de ton cas. « Allez donc dans la cabine ici. J’vous apporte une serviette, mais par contre ... » T’anticipe déjà la suite, « Je l’achète aussi, ne vous en faites pas. »

Tu la remercie de t'avoir fournis un sac poubelle dans lequel se trouve tes vêtements encore trempés, frissonnant au souvenir de la neige trempant ta peau. T'ouvre enfin la cabine et, «  T'es resté coincé dans les années 80 ?  » tes sourcils se froncent, tu te tournes vers Lova, une présence inattendue à l'intérieur de cette boutique. Tu ne pensais pas la revoir avant un bon paquet de mois – voire années – alors tu hausses les épaules, « C’est une friperie, on y trouve rarement les derniers Chanel. » Tu arques sourcil, « Enfin, tu peux parler, t’es pas un exemple de mode à suivre. » Tu rétorques, avant d’ajouter, « T’as besoin de quelque chose ? »

(toronto, fin décembre 2021)
< Oui enfin, vu ce qu'elles t'ont tendu, ce sont de piètres vendeuses ici. Ou elles ont cru que t'avais pas un rond, avec la tronche que t'affiches. > Je lui lance en pointant ses cheveux trempés avec mon second hot-dog. Mais qu'est-ce qu'il a foutu ?! Je secoue la tête, le juge silencieuse avant de tendre un peu plus le bras pour lui donner ce fameux hot-dog. < Tiens. Mange tant que c'est chaud. > A peine ma voix résonne, que je réalise. C'est exactement le genre de phrase qu'aurait pu sortir Yixi. La lettre toujours lotie dans la poche intérieure de ma fourrure pèse soudainement une tonne. J'préfère pas m'attarder la-dessus, oublier et passer rapidement à autre chose, alors je croque dans mon déjeuner. Je me lève la bouche pleine, me tourne vers le premier rayon à portée de main et rétorque, à peine outrée et peu attentive. < Parce que faut forcément avoir besoin de quelque chose pour venir te voir ? > Rapidement je fais défiler les cintres, essayant de pas en foutre partout sous le regard incendiaire de la vendeuse. Peut-être que son instinct lui à souffler de ne rien dire, ce serait bien peine perdue. Mon geste s'arrête sur une chemise sympa, assez sobre typiquement Rahim et un œil jeté sur lui, je la sélectionne et la lui balance. < Essaie plutôt ça voir. Tu seras moins ridicule. > Je le chasse dans la cabine d'un geste de la main et me rassois lourdement sur mon fauteuil. < Elle est… > Je commence hésitante. Je croque à nouveau dans mon hot-dog, comme si ca allait me donner plus de courage. Alors que ca rend juste mes paroles plus incompréhensibles. < Elle est comment la gamine ? > Je finis enfin mon déjeuner et me lèche les doigts pour sauver la sauce qui a tenté de se sauver, puis interromps finalement Rahim. Qu'importe ce qu'il pourrait me dire. Finalement j'ai pas envie d'entendre parler d'elle. Enfin… < T'as raison on s'en fout. Ca va, ta librairie ? Les affaires tournent bien ? > Je lui demande pas tellement intéressée, retournant flâner dans les rayon. Pourquoi je suis venue déjà ? Au secours. Encore une idée affreuse de Mathy, de venir à Toronto. On va remonter dans l'avion et fissa.  

(toronto, fin décembre 2021) Tu n’es pas certain d’apprécier la tournure que prend cette journée. Déjà que t’as subit la chute de neige sur ta personne, raison pour laquelle tu te retrouves dans cette friperie à changer de fringues pour te mettre quelque chose de chaud sur la carcasse. Jusqu’à ce que Lova fasse son entrée, avec l’odeur nauséabonde du tabac l’accompagnant. « Oui enfin, vu ce qu'elles t'ont tendu, ce sont de piètres vendeuses ici. Ou elles ont cru que t'avais pas un rond, avec la tronche que t'affiches. » Tu hausses les épaules, « Je me fiche pas mal du style. » Tu grommelles, « J’veux juste être sec et avoir chaud. » Tu ajoutes plus pour toi-même, avant de cligner des yeux quand un hot-dog (à l’odeur alléchante, faut le reconnaître – apparaît dans ton centre de vision, « Tiens. Mange tant que c'est chaud. » Okay, trop bizarre. Mais t’as faim, ça sent bon et tu te saisis rapidement du hot-dog avant de le voir disparaître. Dans le pire des cas, tu te fais empoisonner, tu mourras un peu, mais pas trop longtemps. No big deal. T’ignores aussi l’écho de la voix de Yixi qui est apporté par cette simple phrase en croquant directement dedans. « Merci. » Tu marmonnes, la bouche-pleine. Après quoi tu lui demandes ce dont elle a besoin. Doit bien y avoir une raison, après tout.

« Parce que faut forcément avoir besoin de quelque chose pour venir te voir ? » Tu hausses les épaules, « Aux dernières nouvelles, oui. » C’est un fait tout bête, mais bien réel, on ne t’as pas vraiment habitué à autre chose. Bon, tu dramatises sûrement un peu, mais dans les faits et en ce qui concerne ta constellation, bah, on est pas loin de la vérité. « T’es a Toronto pour quoi, le prochain tournois de poker ? » T’ironises, avisant les vêtements maintenant, une fois qu’elle n’est plus en train de pendre tristement sur ton épaule après que Lova te l’ai lancé, « Essaie plutôt ça voir. Tu seras moins ridicule. » Les sourcils froncés, tu passes une main sur le tissus, « C’est une chemise. Le concept c’est d’avoir chaud, tu sais. Pas de me les geler. » T’es pas aussi pointilleux que Bastian et Chiranth lorsqu’il est question du froid. T’es de Londres, de base et la ville n’est pas réputée pour ses grandes températures. Sauf que c’est Toronto et tu t’es pris tout un tas de neige dans la tronche. Tu ne veux pas avoir froid, tout simplement. Tu retiens un soupir et ferme le rideau pour l’essayer quand même. Tu prends le temps de manger l’entièreté du hot-dog d’abord, ceci dit. « Trouve moi un pull, alors. » Tu frissonnes quand tu retires tes hauts, enfilant la chemise. « Elle est… » Tu sors la tête à l’extérieur, « Elle ? » De qui parle-t-elle ? « Elle est comment la gamine ? » On se fiche de toi, ou c’est comment ?

Tu t’apprêtes à ouvrir la bouche pour répondre, mais Lova reprend la parole, « T'as raison on s'en fout. Ca va, ta librairie ? Les affaires tournent bien ? » Comment peut-on être aussi constipé de tout ce qui touche à la constellation ? « Déjà j’ai rien dis. » Tu l’observes errer dans les rayons, « Elle est perdue, mais pas seule. » Et c’est ce qui compte, pas vrai ? Ensuite, « Les affaires, ça va. Mais t’as pas besoin de faire la discussion, c’est clairement pas ce que tu sembles avoir l'habitude de faire. » Genre, ça s’entend, littéralement.

(toronto, fin décembre 2021)
Le jeune Gupta ne semble pas habitué aux visites intempestives. Du moins, faut qu'elles soient motivées d'un besoin, semblerait-il. Au moins pour sa part, les gens se tournent vers lui quand ils ont besoin de quelque chose, il peut en tirer une certaine fierté. Personnellement, le monde a plutôt tendance à garder ses distances et c'est pas plus mal. Rien à foutre des problèmes des autres, de leurs potentiels jérémiades. L'hôpital qui se fout de la charité, vous me direz. Mais quand c'est moi qui fais, c'est pas pareil. Il me parle alors de poker et j'accroche. Tout si ca peux m'éviter les discussions sérieuses et autres rencontres indésirées. < Quoi, y a un tournois ? > Je lui demande avec un intérêt sincère, pour autant j'ai bien compris qu'il se paie ma tête.

Tandis que Rahim enfile cette magnifique chemise que je lui ai dégoté, je m'exécute à lui chercher un pull qui irait avec. Je fais défiler les cintres de vêtements plus moches les uns que les autres, l'écoute d'une oreille distraite me répondre. < Déjà j’ai rien dis. > Une grimace moqueuse, telle une gamine je répète ses mots dans un marmonnement. La jeune immortelle est perdue… qui ne l'a pas été. Au moins elle est pas restée seule bien longtemps. Avec les technologies, l'avion, c'est facile aujourd'hui. Limite trop, j'dirais presque. Z'ont même pas le temps de se forger un caractère qu'on les berce déjà. Regardez Rahim ! Bon… je sais pas quoi vous faire regarder, ca me semblait juste cohérent pour appuyer mon propos, mais j'ai oublié pourquoi. < Les affaires, ça va. Mais t’as pas besoin de faire la discussion, c’est clairement pas ce que tu sembles avoir l'habitude de faire. > Immédiatement je tourne la tête vers lui, la bouche grande ouverte, un air idiot choqué sur le visage. < How rude… > Je siffle, mes yeux attirés par un truc qui brille. < OH ! > J'arrache limite le fringue accroché au cintre, et plaque la robe à sequins multicolore devant moi. < Regarde-moi ca, elle est par-faite !! Ca y est j'ai trouvé ma tenue pour la nouvelle année. > Je commence à me dévêtir en me dirigeant vers les cabines, laisse tomber mon manteau de fourrure dans l'allée, retire mes tennis sur le chemin, lance au passage le pull que j'ai déniché à Rahim. < Tiens, c'est chaud, c'est doux, ca t'ira bien au teint ! > Je commence à déboutonner mon jean alors que j'entre à peine dans la cabine d'essayage, tire le rideau quand je suis en culotte. Ouais, le principe de pudeur est pas trop encré en moi. Soufflant, je reprends malgré moi le cours de cette conversation soi-disant sérieuse. < Mathy veut qu'on la rencontre. Je ne suis pas… contre, > j'échappe avec difficulté. < Mais c'est pas mon fort. Enfin, notre. Même si l'autre truc qui me sert d'âme-sœur attire tout le capital sympathie. Yixi on finissait toujours par s'engueuler, Nobuko on a manqué de s'entretuer, toi… > Je sais pas quoi dire. Ou plutôt, j'ai pas envie de détailler la situation. On a merdé ? En soit, la première a attendu un siècle, c'est rien en comparaison. On n'a rien appris ? La seconde nous a pris - nous prend toujours - pour des démons. Jamais deux échecs sans trois. J'imagine que le compte est bon à présent. < Voilà. > J'apporte pour seule conclusion, finissant d'enfiler ma nouvelle magnifique robe. D'un geste théâtrale, je tire le rideau de ma cabine et pose tel un modèle, le bras en l'air. < Regarde-moi cette Beauté ! > Je parle de moi en général hein, pas juste la robe.

la robe en question: