- baby i'm a house on fire, and i wanna keep burning (aurora)

[1661, AMESBURY] aurora ouvre les yeux pour la première dans la petite ville d’amesbury au cœur du massachussets. fille de paysans très modestes, son destin semble apparemment tout tracé, comme celui de l’ensemble des gens de sa condition. si elle survit aux hivers rudes de son comté natal, elle grandira sans éducation, aidera ses parents dans les champs et épousera un homme qu’on aura choisi pour elle afin de devenir à son tour une mère de famille aimante et dévouée pour une vie courte et sans saveur. les maladies sont monnaie courante et l’espérance de vie des femmes ne dépasse pas les vingt-six ans. étant de constitution plutôt fragile, ses parents ne se font que peu d’illusion à son sujet. dans le pire des cas, cela ne fera qu’une bouche en moins à nourrir. [1690, AMESBURY] voilà treize ans que la jolie brune est mariée. elle n’a jamais eu l’occasion de quitter sa ville natale et ignore tout du monde qui continue de tourner sans elle à l’extérieur. après avoir épousé l’homme que ses parents avaient choisi à son seizième anniversaire, elle s’est contenté de vivre la vie que l’on avait tracé pour elle. le travail dans les champs est difficile et les hivers sont rudes. les grossesses s’enchainent, les décès aussi. elle donne naissance à sept ans et enterrera quatre d’entre eux avant leur premier anniversaire. la maladie et le manque de nourriture ne pardonne pas. les choses sont ainsi faites. pas le temps de s’émouvoir, car la survie des autres dépend de sa volonté à surmonter ces drames. les attaques des amérindiens se font de plus en plus fréquentes et l’hystérie collective s’installe progressivement. [1692, AMESBURY] il a suffit d’une dénonciation anonyme pour que la vie d’aurora prenne un tournant décisif. sorcière. le mot est dans toutes les bouches ces temps-ci. jamais elle n’aurait cru que l’ont puisse la soupçonner de ce genre de pratique hérétique, et jamais elle n’aurait pu être préparée à ce qui l’attendait. un procès – que l’on qualifierait aujourd’hui de vaste fumisterie, expéditif et sans preuve plus tard, la voilà attachée sur un bucher de fortune sur la grande place de la ville. tout le peuple est venu pour assister à l’exécution. sa famille a été forcée de se tenir au premier rang, pour faire un exemple. le peuple hurle sa colère aveugle à son encontre, ses enfants pleurent dans les bras de leur père. son fils aîné, âgé d’une quinzaine d’années, tentera d’intervenir et sera pendu sous ses yeux avant que le bourreau n’enflamme le bûcher. l’histoire aurait pu s’arrêter là. la douleur, les hurlements, l’odeur de chair brûlée, la fumée qui envahit les poumons, puis la mort. mais non. une première résurrection inattendue scelle le destin de l’innocente qui se trouve alors brûlée sans relâche pendant des jours entiers sous les yeux d’un peuple guidé par la peur et la colère. derrière le voile de douleur qui l’aveugle, elle voit l’image d’autres personnes, comme des flashs de lumière salvatrice. zyanya parviendra à la délivrer des jours plus tard après plus de trois semaines de torture. [1702, MEDELLIN] il faut laisser du temps au temps. si les blessures physiques cicatrisent vite, les traumatismes psychologiques sont plus difficiles à gérer. zyanya l’a emmenée avec lui dans sa demeure de medellin, en nouvelle espagne. elle se retrouve dans un pays dont elle n’a jamais entendu parlé, entourée de gens dont elle ne parle pas la langue. les années passent mais le souvenir de sa torture reste vif. à chaque fois qu’elle ferme les yeux, elle ressent la chaleur dévorante des flammes sur sa peau, elle sent l’odeur de la chair brûlée, elle voit son fils se débattre au bout d’une corde, elle entend les cris de ses enfants qui appellent à la pitié et à la clémence. il n’est pas rare qu’elle se réveille en hurlant, trempée d’une sueur glacée au beau milieu de la nuit, terrorisée et désorientée. mais zyanya est toujours là. il prend sa main dans la sienne et lui chuchote des mots réconfortants en espagnol à l’oreille. il l’aide à s’évader peu à peu de la prison que sont devenus ses souvenirs. il l’aide à oublier, à avancer. [1725, LA HAYE] l’âge d’or des provinces-unis est une époque qu’aurora n’oubliera jamais. zyanya et elle y mènent la belle vie pendant de nombreuses années. les richesses s’amoncellent et les jours s’écoulent dans le luxe et l’oisiveté. des soirées fastueuses aux journées passées à prendre du bon temps dans leur magnifique demeure de la capitale, elle ne garde que des bons souvenirs. la nourriture à profusion, les belles toilettes, la musique dans les rues et l’insouciance quotidienne, ça a quelque chose de terriblement grisant pour une femme ayant passé sa vie entière a travailler dans les champs par tous les temps. c’est à cette époque que la brune développe une vraie relation d’amour avec la nourriture. des années de privation, ça laisse des marques indélébiles. épaisse comme un haricot, elle est capable d’avaler des quantités astronomiques de nourriture, quitte à parfois se rendre malade dans la foulée. après l’espagnol, c’est le néerlandais qui rejoint la collection de langues qu’elle maîtrise couramment. lorsque les autres membres de leur constellation se joignent à eux le temps de quelques semaines, les retrouvailles sont toujours émues. aurora sent enfin qu’elle a trouvé sa place dans sa nouvelle famille. [1793, ORLEANS] zyanya et aurora sont venus en france il y a une vingtaine d’années dans le but de venir récupérer un nouveau membre de leur constellation et ont décidé de s’y installer pour quelques temps, séduits par le train de vie qu’ils pouvaient y mener. rapidement, le nouveau venu décide de faire cavalier seul, leur promettant de garder le contact et de revenir les voir dès que possible. la belle brune apprend vite le français. contre l’avis de zyanya, l’immortelle se lie d’amitié avec un noble des environs, veuf tout comme elle. ce dernier la courtise avec assiduité et vient régulièrement lui rendre visite au château, toujours sous la bonne surveillance de celui qu’elle considère comme son frère. il s’appelait dimitri et restera le premier véritable amour d’aurora, bien que la relation n’ait jamais été consommée, convenances obligent. des caresses sages, des baisers chastes volés à l’ombre d’un arbre du jardin, tout autant de souvenirs qui seraient du genre à lui faire monter le rose aux joues même des siècles après. la colère des révolutionnaires finit pourtant par mettre un terme à son bonheur parfait. un matin de printemps, des hommes du peuple armé pénètrent dans la riche demeure et les font tous prisonniers. zyanya et dimitri seront attachés et fusillés, aurora pendue à une branche de cet arbre sous lesquels elle avait partagé tant de moment en compagnie de son amour. zyanya revenu à la vie, il mettra un bon bout de temps à parvenir à se libérer pour venir détacher aurora qui sera confrontée pour la deuxième fois de son existence à un enchainement constant de morts douloureuses au bout de sa corde. il faudra que l’immortel emploie la force pour parvenir à arracher la jeune femme à la dépouille de dimitri. [1821, MEXICO] les deux inséparables vivent les célébrations de l’indépendance du Mexique qui appartenait autrefois au royaume de la nouvelle espagne. pour aurora, le cœur n’y est pas vraiment. elle commence à ressentir une certaine lassitude et réalise que les êtres vivants ne sont pas faits pour vivre éternellement. le souvenir d’henri lui laisse un goût amer au fond de la gorge et les tentatives de zyanya pour lui remonter le moral sont vaines la plupart du temps. elle se laisse dépérir et regarde les jours défilés en spectatrice. elle se donne la mort pour la première cette année là, dans une tentative désespérée puisqu’elle sait très bien que cela ne servira à rien. elle s’ouvre les veines, pensant être seule, mais zyanya la surprend, et quelque chose se casse dans leur relation. peut-être qu’il se sent trahit, peut-être qu’il lui en veut de se montrer égoïste. la situation se dégrade, et pour la première fois depuis deux siècles, leurs chemins se séparent. un beau matin, sans prévenir, elle quitte la demeure qu’ils partagent et s’enfuit sans se retourner. [1876, VENISE] aurora reprend peu à peu goût à la vie en profitant des plaisirs que cette dernière a à offrir. la vie a venise est douce et colorée. elle rencontre des personnages étonnants qui marqueront l’histoire et se prend d’amour pour la peinture en devenant l’élève du peintre giuseppe castiglione. elle perfectionne ses talents d’artiste et parvient à croquer la vie à pleine dents. l’art et la littérature commencent à prendre une place prépondérante dans son existence et elle cherche à s’instruire chaque jour un peu plus. elle vend quelques toiles, qu’elle prend soin de ne jamais signer de son nom, et réussit à mettre un peu d’argent de compter pour vivre de façon un peu moins bohème. zyanya pourvoyait à tous ses besoins, et il lui faut un certain temps d’adaptation pour parvenir à se débrouiller seule. loin de la frivolité et de l’oisiveté qu’elle a pu connaître avec son frère de cœur, elle comprend peu à peu ce que signifie le mot indépendance. même si ce dernier lui manque cruellement, elle tient bon et se refuse à rentrer à medellin la queue entre les jambes. elle lui écrit des lettres presque tous les jours durant sa première année d’exil avant de ralentir le rythme au fil du temps qui passe. l’apprentissage de l’italien se révèle difficile car elle a tendance à confondre avec l’espagnol mais elle finit bien entendu par réussir à le parler couramment. [1894, OSLO] l’immortelle a passé trop de temps à venise et à attiré l’attention sur elle, la forçant à disparaître dans la précipitation. pour ne pas l’inquiéter, elle décide de ne pas en parler à zyanya dans les lettres qu’elle continue de lui envoyer. c’est en norvège qu’elle est venue s’installer pour essayer de faire profil bas et d’attendre que les soupçons à son égard s’éteignent avec leurs propriétaires. ici, le climat est froid et difficile, très différent de tout ce qu’elle a connu ces dernières décennies. la langue locale est une véritable vacherie et, si vous lui posez la question aujourd’hui, elle vous dira surement que c’était la plus dure de toute à maitriser parfaitement. toujours versée dans la peinture, aurora fait la connaissance d’edvard munch et devient à la fois sa muse et son amante, bien qu’aucune forme de sentiments amoureux ne naissent du côté de l’immortelle. il réalisera le portrait de la madone en s’inspirant d’elle (aujourd’hui encore, zyanya continue de lui reprocher son imprudence, bien qu’elle soit méconnaissable sur le tableau). elle commence en parallèle à s’intéresser à la science et aux mathématiques, toujours désireuse d’en apprendre davantage sur le fonctionnement du monde qui l’entoure. [1916, VERDUN] c’est une tragédie qui finit par réunir zyanya et aurora. cela fait des semaines que la jeune femme fait des rêves prémonitoires qu’elle ne parvient pas à décrypter et dans lesquels elle voit le visage d’un membre de sa constellation. jorgen, avec qui elle correspond régulièrement par courrier, lui a fait part de son désir de prendre position pour la france dans la guerre qui l’oppose à l’allemagne. il lui annonce dans une dernière missive se trouver dans la tranchée du paradis à verdun. elle finit par comprendre que quelque chose d’horrible va se passer là-bas, l’endroit ou l’immortel est stationné. elle envoie une lettre à zyanya et quitte la norvège par le premier train pour se rendre en france. le voyage est long et la brune est littéralement rongée par l’inquiétude. les retrouvailles avec zyanya sont timides, et de toute façon ils n’ont pas le temps car chaque minute compte. aucun d’eux ne croit alors que la mort peut devenir irréversible, mais le sentiment d’urgence de ses prémonitions suffit à convaincre aurora que quelque chose de grave se prépare. la france a gagné et les troupes se retirent peu à peu des tranchées. lorsqu’ils arrivent enfin sur place, tout semble désert. les morts sur le no man’s land s’étalent à perte de vue et les soldats sont partis. quand ils retrouvent enfin jorgen après des jours de recherche, ils réalisent enfin ce qu’il se passe. l’immortalité a une date de péremption et un membre de leur constellation vient de s’éteindre à jamais dans l’indifférence générale. [1923, MEDELLIN] le choc provoqué par la mort de jorgen a convaincu aurora de revenir entre les bras de zyanya. la peur de mourir se mélange à la peur de le perdre pour toujours et leur relation reprend comme si elle n’avait jamais été entachée. elle le suit et ils reviennent passer du temps à medellin, qui a finalement toujours été leur vrai foyer. aurora renoue avec ses habitudes et convainc son frère de cœur de lui faire installer un atelier de peinture au sein de la demeure, ce qu’il fait sans discuter. ils rattrapent le temps perdu, passent des nuits blanches à se raconter les choses qu’ils ont vécu lorsqu’ils étaient séparés. il aura fallu un drame pour que leur amour fraternel devienne plus fort que jamais. les mauvais souvenirs sont effacés et les erreurs sont pardonnées, ils peuvent commencer leur nouvelle vie ensemble, envers et contre tous. les autres membres de la constellation leur rendent souvent visite et les liens entre eux deviennent plus étroits. ils ont toujours pu compter les uns sur les autres, mais c’est encore plus vrai aujourd’hui. [1941, LONDRES] l’ambiance morbide de la seconde guerre mondiale plane tel un oiseau de mauvaise augure, et le choix de venir s’installer en angleterre apparaît comme plutôt prudent compte tenu de la situation dans les autres pays d’europe. les massacres idéologiques perpétués pendant cette période sombre de l’histoire achèveront de convaincre l’immortelle que les hommes ne peuvent pas être sauver. car on ne peut pas les sauver d’eux-mêmes. ils se détruisent et redoublent d’inventivité pour faire le mal autour d’eux. les innocents sont sacrifiés sur l’autel du pouvoir, et l’histoire se répète sans cesse dans une boucle infernale car ils n’apprennent jamais de leurs erreurs passées. il y a des rumeurs qui courent sur la manière dont sont traités les juifs en europe, et si seulement le quart se révélait vrai, alors il n’y aurait plus d’espoir de rédemption pour l’humanité. l’enfer est vide, tous les démons sont ici. shakespeare ne savait pas à quel point il avait raison. la guerre finit par rattraper les deux immortels et aurora meurt pour la première fois de manière accidentelle lors de l’effondrement d’un bâtiment suite à un bombardement ennemi en tentant de venir en aide à un enfant. [1960, LE CAIRE] dans l’espoir de fuir les conflits européens, le duo d’immortels est venu poser ses bagages en egypte. la ville du caire est belle et accueillante, il y fait bon vivre et la météo y est très clémente. aurora passe ses journées à peindre et à apprendre l'arabe littéraire ainsi que les spécificités de la langue égyptienne. les horreurs dont elle a été témoin durant les conflits de ce siècle lui ont fait perdre une part de sa candeur et de sa naïveté.  pourtant elle tient bon. contre vents et marées, son sourire vient illuminer la journée de ceux qu’elle croise et son rire met du baume au cœur à ceux qui en ont besoin. elle a compris, l’immortelle, que pour être heureuse, il faut commencer par montrer qu’on l’est, même si ce n’est pas vrai. car c’est un cercle vertueux. sa relation avec zyanya est au beau fixe. un grand frère et sa petite sœur dans toute sa splendeur. elle cherche son affection, le taquine, le fait tourner en bourrique. il la protège, la sermonne et lève les yeux au ciel. c’est une famille dysfonctionnelle, mais une famille malgré tout. ils avancent tous les deux comme une sorte de créature symbiotique, imperméable au reste du monde. [1973, MEDELLIN] tous les chemins mènent à medellin. ils s’y retrouvent une fois de plus dans cette immense demeure qui est ce qui ressemble le plus pour eux à un foyer. c’est une tradition. ils y retournent dès qu’ils le peuvent, dès que leur souvenir s’effacent de la mémoire des habitants de la ville. c’est risqué, mais c’est un risque qu’ils sont prêts à prendre. un matin pourtant, zyanya a disparu. les jours défilent, et l’angoisse grandit. aurora sait qu’il ne serait jamais parti sans la prévenir, et ses visions prémonitoires confuses lui font comprendre que son frère est en détresse, quelque part ici. armée d’une photo de lui, elle fait le tour de la ville en interrogant les passants. elle remonte la piste jusqu’au cartel et finit par se faire prendre en pitié par un de ses membres, prétendant qu’elle est à la recherche de son mari. le trafiquant finit par lui avouer a demi que zyanya a été abattu et enterré dans une tombe du cimetière communal de la ville après avoir tenté de leur voler de l’argent. furieuse, aurora passera deux nuit entière à profaner les tombes du cimetière avant d’enfin le retrouver, enterré dans la sépulture d’une certaine marisol garcia (elle continue encore aujourd’hui de l’appeler marisol pour le faire enrager lorsqu’elle est fâchée contre lui). [2020, PEKIN] zyanya a décidé de partir prendre des vacances à pékin, et comme de coutume, aurora l’a suivi sans poser de question. il lui arrive de ressentir l’appel du large, l’envie de partir à l’aventure sur les routes, mais elle ne saute jamais le pas. les mauvais souvenirs de la perte de jorgen la paralyse dans son désir de liberté. a deux, ils sont plus forts. ils peuvent se protéger et veiller l’un sur l’autre. zyanya peut la réconforter lorsqu’elle fait un rêve prémonitoire angoissant, et elle peut le serrer sur son cœur lorsque la solitude de leur longue existence pèse trop lourd sur ses épaules. et pourtant… pourtant il faudra bien qu’un jour elle prenne son envol.