(ekaterina) When death is there, dying is over

[1677] Ekaterina naît. Ele ne sait pas que c'est pour, ensuite, ne plus jamais mourir.  
[1685] Les chuchotements, les mots bas, les complots deviennent son terrain de jeu. Elle comprend bien que quelque chose ne va pas. Fille bâtarde, tire les larmes d'une mère qui a déjà souffert, ne voit que l'ombre d'un corbeau, un corbeau aux larges ailes que les autres appellent « père ».
[1687] Pourtant, Kat, sait dompter les cœurs. Les enfants l'adorent, les parents la trouvent ravissante, les animaux la suivent à la trace. Elle est la fille-mêlée, sait qu'elle est sa place. Et d'un petit sourire, elle arrive à s'en créé une nouvelle. Volkova est un nom doré, jusqu'à cet écart, jusqu'à cette petite "complication" qui respire, danse, vie, aime. Kat danse particulièrement bien. Coud bien. Son langage est poétique. Elle apprend à lire, rêve de savoir écrire. Elle maîtrise rapidement le français. Elle se dépasse, parce qu'elle sait qu'il lui faudra séduire un homme puissant pour effacer la honte apportée à sa famille.
[1690] « Dans la vie, ma fille, il te faudra savoir te battre. Tu n'auras pas les mêmes armes que les hommes. Eux sont puissants, violents, intransigeants. Tu te dois d'être plus intelligente qu'eux. Tes armes seront tes mots et ton corps. Alors aiguise-les. »
[1691] Kat s'aiguise. Découvre son corps. Celui des hommes, aussi. Mais elle se garde pour celui qui ravira son cœur, lui donnera un nom. Elle aura deux petits-frères, Andrei, qui décèdera de la scarlatine en bas âge, et Vadim, qui se fera piétiner par son étalon fougueux pour ses dix ans. Ne reste à sa pauvre mère que Kat, la jolie Kat, la douce Kat, que l'on courtise pour sa douce beauté, que l'on repousse pour son statut de bâtarde.
[1693] La douce colombe est finalement vendue pour un bon prix à un dresseur d'oiseaux et intronisée auprès de la cour, maintenant que son titre est moins bafouant que sa bâtardise. Misha est plutôt gentil. Beau garçon. A l'écoute. Pourtant, les enfants ne naissent pas forcément de l'amour. Son ventre reste plat. Ses seins ne sont pas douloureux. Les mois passent. Si Misha ne se désintéresse pas de son corps, en tout cas comprend que la fille bâtarde est maudite par les dieux : elle n'enfantera pas.
[1695] La douce et belle Kat croyait que l'amour sauvait des mondes. Il s'est contenté de briser son cœur. Misha court les autres poulaillers. Pour faire d'autres enfants comme elles ; qui ne se sentent bien nulle part.
[1700] Ekaterina apprend à écrire. A jouer de la harpe. A réparer son cœur sanguinolent. A plaquer un sourire sur son visage en toute circonstance. Même lorsque Misha, aviné, l'allonge sur la couche nuptiale pour la labourer pendant une heure en grognant dans son cou.
[1707] Catherine Ière devient l'épouse de Pierre Ier. Pour la première fois, Kat la colombe est considérée au sein de la cour. Catherine l'Impératrice la trouve exquise, ainsi que toutes les autres dames qui ont autrefois craché leur venin. Cultivée et divertissante, elle trouve une réelle place au sein de cette institution, même si elle sait qu'elle doit se méfier. Kat continue de s'aiguiser.
[1710] Mais la douce Kat se voit la gorge tranchée, au moment de quitter un bal d'Hiver donné par une intrigante de la Cour. Son corps est ensuite jeté dans la Neva. Et Kat trouve la résurrection.
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[1710] Petite colombe a froid. Tellement froid. Ses vêtements sont déchirés. Elle se traîne sur les berges de la Neva sans comprendre ce qui lui est arrivé. Les traces de sang maculent sa sublime robe assortie à ses yeux. Ses cheveux poisseux ne lui ont jamais paru si monstrueux. Il lui faut quelques heures avant de comprendre ce qui lui est arrivé. De comprendre que ce serait l'occasion de... de quoi ? Fuir ce pays qui l'a brisée ? Elle se traîne dans les bas-fonds, troque ses beaux bijoux contre de l'argent. Change de vêtements. Même la boue sur sa peau ne sera bientôt plus qu'un des douloureux souvenirs la composant.
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[1711] Les guerres éclosent partout, comme autant de plaies purulentes. Ekaterina Volkova s'efface pour laisser fleurir Katia Wolf, une jeune dame de la cour de Grande-Bretagne. Toutes ses ressources se sont évaporées dans l'achat d'une tenue décente et du coût du voyage pour s'expatrier. Elle dit adieu à sa terre patrie, consciente qu'elle a été trahie par la femme de son père, qui craignait que l'héritage ne lui revienne un jour. Katia est bien aiguisée, maintenant et elle ne vieillit plus. Elle devient maîtresse des songes de ces hommes qui se croient bien élevés, se fait entretenir le temps de comprendre ce qui se passe, de trouver quelque chose qui lui parle.
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[1711] Ou... quelqu'un. Peu de temps après son arrivée en cette belle Angleterre, voilà que ce qu'elle ressentait au fond d'elle trouve une explication. Et c'est Eirik, qui lui apprend les astres, les constellations, que le soleil n'est plus leur seul objectif. Qu'ils peuvent se serrer les coudes. Qu'elle n'est pas monstrueuse, anormale, seule au monde. C'est seulement après avoir pris conscience qu'ils sont là, eux aussi, pour l'épauler, qu'elle réalise que ses poumons sont toujours encrassés de la saleté du fond de la Neva. Elle n'avait pas ressuscité totalement. C'est maintenant chose faite.
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[Siècle des lumières] Elle vague, divague, vagabonde, découvre le cœur des hommes, des femmes, la philosophie, et l'art si beau d'écrire. De coucher ses pensées sur le papier. Voilà des années qu'elle n'a pas osé s'y frotter. Mais c'est une nouvelle arme qu'elle veut aiguiser, alors elle le fait. En parallèle, elle développe ce qui semble être ses dons. L'éloquence n'a plus de secret pour elle, qui d'un coup d'œil peut terrasser ses opposants. Tantôt adulée, tantôt haïe, elle passe de pays en pays, découvrant l'Ecosse, la France, l'Allemagne, avide de connaissances, de compréhensions, de découvertes.
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[1820] Katia veut écrire. Alors elle écrit. Elle inverse son nom, se trouve la plume masculine, pour protéger son anonymat et surtout pour obtenir publication. Kai Wolf naît. Et bien d'autres naîtront par la suite, car elle ne s'arrêtera jamais d'écrire, de coucher ses états d'âme sur le papier.
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[Et les années passent...] Noirceur. Tristesse. Eclats dans l'obscurité, parfois, avec la constellation. Il lui arrive d'avoir moins froid, le soir, quand elle se glisse dans ses draps. Elle essaye de réchauffer son cœur, sans succès. Elle écrit, danse, vit, jouit. A moitié. Comme si un bout de son âme était restée au fond de la rivière, cette nuit-là. Piégée dans une éternité, dans un monde qu'elle n'aime pas mais qu'elle a trop peur de quitter.
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[1914] Première Guerre Mondiale. Ekaterina veut aider, veut faire quelque chose pour tous ces gens désemparés. Elle s'engage en tant qu'infirmière du côté des forces françaises. Elle qui est tombée amoureuse du charme de Paris et de sa province. Elle n'a pas plus peur de mourir. Elle ne veut plus vivre dans un monde qui se déchire. Mais la Mort ne se penchera pas sur son cas ce jour-là. "Not today."
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[Seconde Guerre Mondiale] La Mort se penche à nouveau sur le cas du monde. Ekaterina se lance dans l'écriture de policiers gores et trash, incapable de faire face à l'hypocrisie et l'horreur du monde. Elle extirpe toutes ses pensées négatives, couche sur le papier tout ce qui germe dans son cœur, en un fruit défendu que personne ne devrait cueillir. Elle se fait voler ses textes par son mari de l'époque, qui ne supporte pas de la voir aussi douée d'un stylo. Dieu merci, si Dieu existe encore, pensera Katia, la faucheuse viendra le chercher sur le champ de bataille.
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[Nouveau millénaire] Ekaterina continue d'écrire. Elle est passée par une phase romantique ; elle est amoureuse. De la vie, de Clyde, cet homme qui arrive enfin à l'aimer comme elle rêvait d'être aimée. Tous ses romans se terminent par un happy end, mariage, bébé, les paillettes dans la vie, dans le cœur. Elle se surprend même à signer ses nouveaux romans du nom de Katherine Volkov. Le nom le plus proche de son réel patronyme depuis le début. Elle n'est jamais décédée de nouveau, n'a jamais retrouvé les bras langoureux des fonds marins. Pourtant, ce n'est pas l'envie qui lui manquait, à l'époque, quand les années 90 ont toqué à sa porte. Sauf que voilà, Clyde est là, maintenant. Ca va faire trois ans : elle n'a pas pris une ride. Elle sait que le temps tic-taque dangereusement. Et Clyde se demande "on a trente ans, maintenant, une position stable, pourquoi on ne ferait pas un petit-nous ?". Qu'elle aimerait faire un petit-eux. Mais elle a peur, par la même occasion. Et si ça ne marchait pas ? Est-ce qu'elle aurait à nouveau cette déception cuisante de n'être plus qu'un corps qui marche, sans but ? Et s'il arrive quelque chose, à ce petit-eux hypothétique ? Si elle le voit vieillir, mourir, pourrir. Et est-ce que Clyde l'aimera toujours, quand les rides souligneront ses yeux ? Mais tout va bien. La question ne se posera plus. Au détour d'un onze septembre, la possibilité lui est arrachée. Et emporte avec elle ce cœur qu'elle venait de réparer.
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[2020] Peut-être qu'elle n'est pas faite pour l'amour, en fin de compte. Ni pour la mort, d'ailleurs. Peut-être qu'elle n'est faite pour rien, nulle part, avec personne. Sauf peut-être cette constellation, qui a toujours été là pour veiller sur elle. Katia a trois-cent ans et pourtant elle se sent encore adolescente ; mal dans sa peau, mal dans sa tête, mal dans son âme. Mais ça va aller, oui. Ca va aller. Elle n'a de toute façon pas le courage de tout arrêter.