— astra ackerman (+46 16 464 1264)

(New York, galerie d’exposition, 1er août 2021, 14h00 – déjeuner) – Dix mois. Peut-être jour pour jour, mais on doit s’en approcher. Dix mois où rien de fait sens, où Adrian doit continuer de vivre comme si tout allait pour le mieux alors que sa petite sœur a disparu du jour au lendemain, sans laisser de traces, laissant uniquement un appartement vide et marqué comme scène de crime. Ses questions auprès des forces de l’ordre sont restées sans réponse – il ne compte pas les paroles vides de sens entendues, comme quoi on ne peut rien dévoiler sur une enquête en cours, non pas du tout, ce n’est pas comme s’il s’agissait de sa petite sœur, bande de cons. Ses tentatives de faire appel aux contacts de son père, via ce dernier, ont fait chou blanc et il ne veut même pas repenser à Shani. Il prend une inspiration pour se calmer, tandis qu’il réchauffe son repas dans le micro-onde, ayant fermé la galerie pour une demie-heure, le temps de se restaurer. Sa tasse de thé déjà prête, il s’assoit avec un grognement sur le fauteuil face à son bureau, sirotant sans vraiment profiter du goût, les yeux rivés sur l’écran d’ordinateur, recherchant encore et toujours la moindre information sur Astra ou une femme portant sa description. Il sait pertinemment que ça ne mènera à rien, mais il faut qu’il tente quelque chose. Il ne peut pas quitter la ville pour mener ses recherches ailleurs et ses amis à l’étranger n’ont rien trouvé non plus. Une bouchée après l’autre, il mange sans grand appétit, écumant les pages internet. Jusqu’à ce que vibre son smartphone, de surprise, il a failli renversé sa tasse tandis qu’il fronce les sourcils fasse à l’écran n’affichant aucun numéro. Il décide de répondre. Ses dix derniers mois, il n’a ignoré aucun appel et il est prêt à faire face à un énième marchandeurs. « Allô ? » Répond-il, le silence lui répondant. Il fait un bruit agacé, « Est-ce qu’il y a quelqu’un ? » Il perçoit bien une respiration et « A… Adrian ? C’est… C’est moi… C’est Astra… » Son souffle se coupe dans sa gorge. Adrian a reconnu la voix dès qu’il l’a entendu et il s’agrippe au téléphone avec force, « Astra ? » Sa voix se brise sûrement entre les deux syllabes, « C’est toi ? » La stupidité de cette question lui échappe, il a besoin de s'en assurer, qu'il s'agit bien de sa petite sœur. Il se lève brusquement, commençant à faire les cent pas dans son bureau, « Bordel Astra, c’est toi. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Comment tu vas ? Où es-tu ? »Il balance les questions comme elles lui viennent, mais la plus importante, il la répète « Tu vas bien ? Ton appartement, » ça lui sert le cœur d’y repenser, « c’est comme s’il s’était passé quelque chose d’horrible ... » Sa voix se termine sur un murmure, alors qu’il repense à tous les terribles scénarios qu’il a imaginés durant l’année qui s’est quasiment écoulée.

(New York, galerie d’exposition, 1er août 2021, 14h00 – déjeuner) – Le silence sur la ligne l’agace et c’est à peine s’il ne fait pas tomber son téléphone lorsque la voix de sa sœur raisonne au bout du fil. Il ne s’y attend tellement, qu’il a besoin de confirmation, Adrian. Pourtant, il l’a reconnu, on ne parle pas tous les jours au téléphone ou en visio, des années durant, pour ne pas être entièrement familier avec la voix de cette dernière. Sauf que ça fait dix long mois. « Je… Je vais bien. Je vais bien maintenant, ne t’en fais pas. Je vais bien. » Et c’est bien sa petite sœur. Néamnoins, « Maintenant ? » Pourquoi elle allait mal avant ? Bon, l’état de l’appartement n’avait rien d’une scène charmante et douce, certes, mais le besoin de précision l’inquiète encore plus. « Je suis désolée, Adrian, je suis tellement désolée… Je n’ai pas eu le choix… Tout s’est passé si vite… » Il se passe une main sur le visage et s’affale dans un des fauteuil – au demeurant confortable – « Tu veux dire quoi par là ? » Il l’interromps, sentant poindre un début de mal de crâne, alors qu’une partie de ses nerfs se détendent et l’autre reste aussi tendu qu’un arc, « Je ne sais pas par où commencer… Au téléphone, c’est… Tu ne me croiras pas, à ta place je ne me croirais pas… Mais je vais bien, d’accord ? Je ne suis pas toute seule, Eirik est avec moi et c’est grâce à lui que je vais bien… » Son froncement de sourcils s’accentue, « Et je dois m’en réjouir parce que … ? » s’entend-il marmonner, alors que sa sœur continue son explication, « Ne va pas t’imaginer qu’il m’a kidnappée ou je ne sais quoi, ce n’est pas du tout le cas, on pourrait presque dire que c’est plutôt le contraire… » Le silence qui suit est une réponse en soit, il a effectivement accusé l’autre homme de tous les maux. Pour sa défense, il était tout aussi introuvable qu’Astra alors cette hypothèse est légitime. « Hm. » Mais c’est la suite, qui lui coupe le sifflet, « Écoute, c’est… C’est Shani. Elle a essayé de me faire tuer et elle a bien failli réussir son coup. Je ne sais pas si papa était au courant, je n’en sais rien… Mais Shani a essayé de me faire tuer. » Il ouvre la bouche et la referme, son cerveaux procédant cette information alors qu’il essaie de dire quelque chose. Le silence s’allonge et il prend une inspiration, « Pardon ? » Sa voix est sourde à son oreille et ça doit être dû au battement de son cœur qui semble taper contre ses tempes, « Shani ? » Il cligne des yeux, « Te tuer ? » Et il repense à l’indifférence totale de la jeune femme quant à la disparition de leur petite sœur, du silence totale de leur père, « Astra, je comprend rien à ce que tu racontes. » l serre un peu la mâchoire, « Pourquoi elle ferait ça ? Et pourquoi Stellan serait-il au courant ? »

(New York, galerie d’exposition, 1er août 2021, 14h00 – déjeuner) – « C’est compliqué, Adrian… » Il soupire avec une certaine irritation. Jusque-là, il en était arrivé à cette conclusion, effectivement. « Si je te disais la vérité, tu ne me croirais pas. C’est juste que… Ce n’est pas exactement le genre de choses que je peux te dire au téléphone… Tu risquerais de me prendre pour une folle… Tu me connais, Adrian, tu sais que je ne t’aurais jamais laissé si j’avais eu le choix ! » Il ferme les yeux, il n’a pas besoin de la voix serrée de sa sœur pour savoir ça. « Je sais, Astra, je sais ... » Il soupire, frustré de ce manque de sens que toute cette histoire semble faire, « Comprend que ça ne fait que rajouter à mon inquiétude. » Se défend-il, avant qu’elle ne reprenne « Shani et Stellan… Ils ne sont pas ce que tu crois. Ils sont mêlés à des… à des affaires louches, ils trempent dans des milieux dangereux… » Il serre la mâchoire, étrangement peu surpris, mais il ne voit toujours pas le rapport avec la disparition de la plus jeune, « Stellan tire beaucoup de ficelles et Shani… Tu sais comment elle est, elle en veut toujours plus… Malgré moi j’ai mis les pieds là-dedans, je n’en savais rien, mais Shani… Elle s’est dit que c’était l’occasion rêvée de se débarrasser de moi. Mais les choses ne se sont pas passées comme elle l’avait prévu, Eirik a interrompu ses plans… » Il l’incite à continuer, ne sachant pas trop quoi rétorquer alors qu’il essaie de comprendre les paroles d’Astra. « C’est quoi le rapport avec toi ? » Pourquoi Astra ? « Et okay, elle n’a jamais vraiment voulu se lier à nous, mais de là à vouloir se débarrasser de toi ... » Ça lui brise le cœur rien que d’y penser, encore plus quand il se remémore la promesse faite à leur mère, où il veillerait sur ses sœurs. « Au début nous sommes allés en Russie, mais même là-bas ils nous ont retrouvé… Shani est une garce sociopathe et Stellan n’est pas mieux ! » Vraiment, ça lui serre le cœur, « La Russie ? » Il s’entend murmurer, « Pour avoir des contacts jusque-là bas ... » Il pousse un long soupir, « Stellan en a ... » En tout cas, il prétendait en avoir à l’époque où il insistait sur l’importance d’un large carnet d’adresses. « Quant à Shani, » Il secoue la tête, même s’il sait qu’on ne peut pas le voir, « Ça expliquerait son indifférence quand je l’ai appelé. » Il reste silencieux quelques secondes avant de reprendre, « Qu’est-ce que je peux faire, Astra ? » C’est qu’il se sent tout aussi démuni qu’auparavant, malgré le soulagement de savoir sa cadette en vie et somme toute en bonne santé.

(New York, galerie d’exposition, 1er août 2021, 14h00 – déjeuner) – « Tu sous-estimes Shani, Adrian. Elle n’est pas… Elle n’est pas comme on le pensait, elle est pire ! » Ça à l’effet d’un douche froide. Oh, il ne remet pas en doute les paroles d’Astra, il a simplement du mal à intégrer que leur autre sœur est attenté à la vie de leur cadette. Il ne parvient pas à comprendre à quel moment ça semble être une idée saine. Elle était tombée sur la tête à quel moment ? Il secoue la tête, il ne cherche qu’une excuse et ça n’est pas excusable, « Vu ce qu’elle a tenté de te faire, je n’en doute pas. » La voix défaite, il lance un regard plein de douleur à l’un des petits cadres photos qui se trouvent sur son bureau. « Ils ont des contacts partout. Ils font des choses terribles ! Et en toute impunité ! Tu n’imagines pas… » « Mais tu es au courant. » Le phrasé de sa sœur ne le laisse pas penser autrement. Ou alors, avec ces dix mois d’absence, il ne parvient plus à la comprendre. « Bien sûr qu’elle a fait l’indifférente… Ce n’est pas comme si elle allait t’avouer avoir mon sang sur les mains ! Si Eirik n’avait pas été là… C’est à la morgue que tu m’aurais retrouvée. » Il ferme les yeux, prenant sur lui pour ne pas céder à une crise de nerf, « Puisque, ce n’est pas arriver, je préfère éviter d’y penser. » marmonne-t-il, l’image de sa sœur dans un linceul se dessinant contre son gré, dans son esprit. Saloperie. « J’aimerais pouvoir te dire où je suis, mais je ne sais pas si… Je ne sais pas si je peux, je ne sais pas si c’est sûr… Je suis certaine qu’ils surveillent tes moindres faits et gestes et tes communications… Si j’ai pu t’appeler aujourd’hui, c’est parce qu’une amie d’Eirik a pu sécuriser la ligne. Si je te dis où je suis, j’ai peur qu’ils te suivent et… » Eh bien si Eirik a pu sécuriser la ligne, alors, tout va bien. Il lève les yeux au ciel pour lui-même, mais fait un son d’assentiment, comprenant ce qu’elle sous-entend… D’ailleurs en parlant du blond. Oh merde. Il va devoir aussi annonce quelque chose de son côté, mais Astra le devance, « Si ça ne concernait que moi, je te dirais sans hésiter où je suis, mais… » Les sourcils froncés, il se demande bien ce qu’elle va lui trouver, cette fois, « Je… Je suis enceinte. » Il cligne des yeux et ouvre la bouche comme un poisson rouge. Ça dure plusieurs secondes avant qu’il parvienne à dire un mot, « Hein ? » L’éloquence s’est envolée, on dirait.

(New York, galerie d’exposition, 1er août 2021, 14h00 – déjeuner) – Il ignore à quel point le silence s’éternise, alors qu’il essaie de comprendre l’annonce de sa sœur. Sa petite-sœur, qui a faillit se faire tuer – ah l’ignorance, qu’elle est douche – est enceinte. Il a besoin d’un verre. Voire d’une bouteille, en fait, « Écoute, ce n’était pas prévu, certainement pas après ce que Shani m’a fait… Mais c’est arrivé et j’ai voulu les garder. » « Les garder ? » Sa voix s’étrangle, comment ça les ? Bien sûr, la partie rationnelle de son esprit lui souffle la réponse, des jumeaux, mais il faut laisser le temps à l’information de monter au cerveau. « C’est une fille et un garçon… Je sais que ça va être compliqué, mais c’était ma décision. Je ne voulais pas laisser Shani m’enlever ça, je ne voulais pas la laisser gagner… Tu comprends ? C’est pour cette raison que je dois être prudente… Je… Je ne suis plus très loin de mon terme, c’est arrivé si vite… Je voudrais que tu sois là, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu partager avec toi… Je vais essayer de trouver un moyen sûr de te faire voyager, d’accord ? Il doit forcément y avoir un moyen, Shani et Stellan ne peuvent pas être partout… » Tu fermes les yeux et retient un soupir, ne souhaitant pas inquiéter la plus jeune, « Je ne suis pas sûr de comprendre, » commence-t-il, la voix volontairement douce, « mais des félicitations sont de mises, non ? » Il met de côté ses questions, se voulant rassurant auprès de sa sœur, « Je serais honoré d’être là, Astra. » Et si ça peut te permettre de lancer un regard noir au deux à Eirik au passage, pourquoi pas. « Si ça ne vous fait pas risquer votre position. » Quelle étrangeté à dire. « Je suppose qu’il y a 50 % de chances à ce qu’ils soient blonds, hein ? » C’est dramatique, vraiment. Il se râcle la gorge, « À ce sujet, » il est hésitant, c’est évident, « Ce qui fait que tu as pu m’appeler ... » il commence, incertain sur comment annoncer, « Hm, vous devriez peut-être faire quelque chose pour les personnes recherchées. » Voilà, on pose les base, « Il se pourrait que Eirik le soit. » Et on annonce ça avec le plus grand des tact, bien joué, Adrian. Enfin, il n’allait pas tourner autour du pot pendant cent ans, « Recherché. » Il peut presque anticiper l’explosion.

(New York, galerie d’exposition, 1er août 2021, 14h00 – déjeuner) – S’il a encore du mal à digérer tout ce qu’il vient d’entendre, Adrian prend sur lui pour éviter que ça ne s’entende de trop. D’autant plus qu’Astra a une très bonne nouvelle à lui annoncer, l’air de rien et s’il est sous le choc, il n’en est pas moins heureux pour sa sœur. Même si, pour le coup, ça ajoute une certaine complexité à toute cette situation – et il n’a pas la moindre idée à quel point il a raison, « Non, non… J’ai bon espoir qu’au moins l’un d’entre eux soit brun ou hérite au moins de mes yeux… Et puis même s’ils sont tous les deux blonds aux yeux bleus, ils seront parfaits. » Il a petit rire Adrian. Léger, mais bien présent. Mais la bonne humeur finis par s’éloigner alors qu’il annonce l’avis de recherche sur Eirik, « Quoi ?! » Évidemment, la pilule ne passe pas très très bien, « Adrian… Adrian, qu’est-ce que tu as fait ? » Un froncement de sourcil, barre son visage, « Ce que j’ai fais ? » Il répète, la mâchoire serrée, « Je te cherchais, figure-toi ! Mets-toi à ma place trois secondes, tu rencontres un homme et quelques mois plus tard, je retrouve ton appartement ... » il secoue la tête, « et lui comme toi êtes introuvables. C’était une hypothèse tout à fait logique et censée, d’accord ! » Il se défend comme il peut« Adrian… Quoi que tu aies fait… Il faut que tu trouves le moyen d’arranger les choses… Eirik ne m’a jamais rien fait, tu entends ? Rien ! Tout ce qui est arrivé, c’est de la faute de Shani et de personne d’autre ! C’est elle la responsable, c’est elle qui a tout gâché… Elle et personne d’autre ! Eirik n’y est pour rien. » Il soupire, maintenant, « Je l’ai bien compris. » Et c’est encore plus tordu, si on lui demande son avis, « Et ça risquerait pas d’être suspicieux, si je demande de faire retirer ça, sans rien dire d’autres ? À ce stade, ça ne serait pas surprenant qu’elle ait des contacts jusque-là. » Et il s’en veut, Adrian, maintenant. « C’est complètement informatisé. La personne qui t’a dit que cet appel serait protégé ne pourrait pas faire quelque chose à ce sujet ? » Plus pratique que s’il se pointe comme une fleur pour annoncer qu’il n’a plus besoin de rechercher Eirik. Passant une main sur son visage, il soupire à nouveau, « Je suis désolée, Astra. » Dit-il, épuisé, « J’étais tellement inquiet et personne ne semblait prendre ta disparition au sérieux, je ... » Sa voix se bloque dans sa gorge et il doit prendre une inspiration avant de continuer, « je n’aurais jamais imaginé que Shanti puisse attenter à ta vie. » Comment l’aurait-il pu ? « C’était la seule piste logique. » Il ne pensait pas à mal, Adrian. Il voulait simplement retrouver sa petite sœur, on ne peut pas lui en vouloir, pas vrai ?