intrigue en cours Entre les Enfants de Prométhée et l'Ordre de l'Hydre, la guerre semble à présent inévitable. Les uns comme les autres se préparent à l'affrontement. De son côté, le Conclave Écarlate peine à se faire à l'absence des Fawkes et au nouveau leadership des Ackerman. À moins que les laboratoires d'Amaranth Pharmaceuticals ne fassent de grandes découvertes dans peu de temps, ou que le Conclave ne mette la main sur un immortel, il se pourrait bien que ces tensions coûtent cher à l'organisation... Et après être longtemps resté dans l'ombre, un vieil ennemi s'apprête à refaire surface.
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 les nuits parisiennes (gilbert)

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(#) les nuits parisiennes (gilbert)    Lun 11 Jan - 3:48


C’est le bras dans le plâtre et le visage embrasé de moult ecchymoses que Lazarus Fawkes poussa la porte du modeste café en ce début de soirée. Il s’attendait à ce que tous les regards convergent vers sa personne sitôt le seuil franchi et bien sûr, la suite lui donna raison. D’un côté, il pouvait comprendre la curiosité presque morbide des gens vis-à-vis de son physique amoché; d’un autre côté, ça l’agaçait profondément de faire office de bête de foire, ne fut-ce que pendant quelques minutes. Il n’aimait pas ce rappel constant de son cuisant échec aux mains d’Astra Ackerman et d’Eirik Aaronson sur le sol russe, quelques jours plus tôt. Puis, de sa fuite précipitée dans la capitale française, où toute attaque contre le Conclave Écarlate relevait d’une singulière anomalie. En effet, Paris demeurait un endroit sûr pour les ennemis numéro un des immortels. Enfin, il se plaisait à le croire. Il n’oubliait pas que la loyauté devenait une denrée rare en ces temps troubles.
Toujours planté sur le seuil de la porte, l’homme toisa les quelques clients assis aux tables en bois, avec un livre à la main ou devant leur ordinateur portable. Il n’en fallut pas plus pour qu’on détourne le regard du nouveau venu; Lazarus possédait un regard perçant et méprisant qui n’appelait pas aux moqueries, verbales ou silencieuses. Encore moins à la pitié. D’un pas altier, trop peut-être pour ce lieu décontracté au possible, le quadragénaire s’avança vers une table libre, près de l’imposante baie vitrée occupant tout un pan du mur. Il soupira en prenant place sur la chaise ô combien inconfortable, puis avisa le journal plié en deux, posé devant lui. Il datait de quelques jours, à en juger par la date — avec le jour écrit avant le mois, comme les Britanniques, mais quelle drôle d’idée.
En attendant qu’on vienne prendre sa commande, il parcourut les premières pages du journal, histoire de se tenir au courant de l’actualité et de pratiquer son français. Il le parlait avec fluidité, mais devait admettre que sa dernière conversation dans cette langue remontait à… eh bien, lui-même l’avait oublié. Faute de mieux, il se promit d’acheter un roman français avant de s’envoler de la capitale. Lire quotidiennement lui manquait. Il n’avait que trop délaissé ce passe-temps pour se consacrer aux cours de science politique qu’il donnait à l’Université Columbia ou encore à la chasse aux immortels au nom du Conclave. Il en venait presque à regretter que son temps sur cette bonne vieille terre soit compté. Presque.
Enfin, un garçon vint lui demander ce qu’il souhaitait et Lazarus arrêta son choix sur un cappuccino saupoudré de cannelle. En général, il buvait son café noir — noir comme son âme, persiflaient certains —, mais il ne se refusait pas une petite douceur de temps en temps. Juste pour se faire plaisir. Et Dieu savait combien il l’avait mérité après son calvaire des derniers jours, comme en témoignait son plâtre et ses blessures internes. Bien entendu, il finirait par guérir tôt ou tard. Mais son amour-propre en avait pris un sacré coup, même s’il rechignait à l’admettre. Une moue accrochée à ses lèvres, il poursuivit sa lecture d’un article sur une inquiétante série de meurtres perpétrés sur des enfants dans le 19e arrondissement. L’air blasé, il lisait chaque phrase sans trop de difficulté, ses vieux réflexes linguistiques revenant à la charge. Si certains mots le laissaient perplexe, il parvenait à comprendre le sens général du texte, non sans fierté.
Lorsque le garçon revint avec le cappuccino demandé, la porte du café s’ouvrit sur un homme au visage familier. Gilbert. Lazarus lui envoya un petit signe amical de la main pour l’inviter à sa table. Il délaissa son journal, du reste inintéressant, pour se consacrer à son ami. Après les salutations de base, il s’exclama : « Quelle chance inouïe de se retrouver tous les deux à Paris. Enfin, comme je te le disais dans ma dernière lettre, je comptais être de passage en Europe ce mois-ci, mais j’ignorais si tu serais disponible à ce moment-là. Il faut croire que les astres sont de notre côté, hein? » Un sourire accompagna sa petite boutade. Le courant avait tout de suite passé avec l’homme de l’église et il était heureux de pouvoir renouer avec lui aujourd’hui en chair et en os, plutôt qu’à travers leurs échanges épistolaires.
Il désigna de sa main libre son bras cassé et son visage tuméfié. « Oh, avant que tu ne me le demandes : j’ai eu l’infortune de tomber dans un escalier et… voilà le résultat. Remarque, ce ne serait sûrement pas arrivé si un sale mioche ne m’avait pas bousculé. » Ce n’était pas tout à fait un mensonge. Un sale mioche l’avait bousculé récemment, mais il n’était nullement responsable de son passage à tabac. Mais bon, cela, Gilbert l’ignorait. « Je n’ai rien contre les enfants, mais certains… Disons simplement qu’on se demande parfois ce que fabriquent leurs parents. Enfin. Tu veux quelque chose à boire? C’est moi qui invite. »


Dernière édition par Lazarus Fawkes le Mar 12 Jan - 5:56, édité 1 fois
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(#) Re: les nuits parisiennes (gilbert)    Lun 11 Jan - 13:36


Gilbert aurait dû se sentir particulièrement investi par le sujet de la conférence à laquelle il était venu assister, à Paris. Le prêtre courait après la modernisation de sa paroisse,de la transmission de ses idées, et quoi de mieux pour cela qu'Internet ? C'était là le thème du séminaire auquel il avait pris part : "La place d'Internet dans la vie religieuse". Pourtant, il était resté muet tout le temps de la conférence et avait à peine retenu ce qui s'était dit, lui qui était si participatif d'ordinaire.

Plus le temps passait, moins il parvenait à s'investir dans ce qui donnait autrefois un sens à sa vie. Comment s'intéresser à un tel sujet quand Gilbert n'était même plus certain de vouloir continuer à mener une existence religieuse ? L'existence des Immortels, dont il était désormais conscient, faisait de ses enseignements un mensonge, pur et simple. Du moins, c'était ainsi qu'il voyait les choses.

Mais plus que cela, Gilbert avait perdu le sens qu'il donnait à sa mission, à ce mariage éternel avec Dieu qu'il avait entrepris en prononçant ses voeux. Il voulait s'assurer une place au Paradis, auprès de son père, et voilà que ce paternel était encore en vie, et qu'il le serait probablement bien après l'existence de Gilbert... Sauf si Gilbert était lui-même un Immortel. Une théorie que Gilbert ne voulait pas vérifier, et qu'il espérait ne pas être positive...

Avec tout ça, difficile de garder l'équilibre, d'avancer avec sûreté dans son existence. C'était pour cette raison qu'il avait été si heureux et soulagé de savoir que Lazarus était là, à Paris, où la conférence à laquelle il se rendait avait lieu. Plus que jamais, Gilbert avait besoin de la présence de son ami épistolaire, de son assurance, et de ses certitudes. Lazarus saurait peut-être le rassurer, le guider... Il devait l'espérer, en tout cas.

En pénétrant dans le café où ils s'étaient donnés rendez-vous, Gilbert eut la surprise de voir son ami couvert d'ecchymoses, le bras en écharpe. Ses yeux s'écarquillèrent et il s'approcha avec une expression emplie d'inquiétude, hochant la tête lorsque Lazarus souligna la chance qu'ils avaient, sans parvenir à s'en réjouir en voyant l'état de son ami. Que lui était-il arrivé ?

Gilbert n'eut toutefois pas le temps d'exprimer ses inquiétudes, car Lazarus eut tôt fait de lui répondre : apparemment, il avait été poussé dans les escaliers par un enfant. D'autres que lui auraient probablement douté de l'histoire de son ami, mais Gilbert n'était pas perceptif, et il ne soupçonnait donc pas une seule seconde que Lazarus puisse lui mentir. Pour quelle raison, de toute façon ? Tous deux n'étaient que de simples hommes de foi, après tout. Ou Gilbert l'était, jusqu'à apprendre la véritable identité de son père et ce qu'il était (peut-être) destiné à devenir lui-même...

Gilbert s'assit enfin sur son siège, tirant nerveusement sur son col romain. Le tour de cou blanc, symbole de son engagement religieux, l'avait toujours réconforté jusqu'alors, mais à présent, il avait l'impression que ce dernier l'étranglait, l'étouffait. Forçant un sourire sur ses lèvres, il continua à triturer son col, tout en déclarant de sa voix douce :

"J'espère que l'enfant t'a présenté ses excuses, ce serait la moindre des choses. Peut-être ne l'a-t-il pas fait exprès, mais l'absence de remords face à son geste indiquerait une véritable malice, et ce serait préoccupant."

Gilbert était capable de pardonner toutes les offenses qui lui étaient faites, pour peu qu'on lui exprimait la recherche du pardon. Il avait excusé des erreurs qui l'avaient pourtant atrocement fait souffert, pour la simple et bonne raison qu'il estimait qu'un "Pardon" était suffisant, qu'un "Pardon" exprimait sincèrement le regret, et qu'il n'était pas prononcé sans honnêteté. Naïf, lui ? Probablement...

"Quelque chose à boire, tu dis ?"

Gilbert eut un rire nerveux, tapotant la table du bout des doigts :

"Une boisson forte, probablement. Que... Quelque chose pour me remettre les idées en place. De... De l'alcool, je suppose. Est-ce approprié de boire à cette heure de la journée ? Je... euh..."

Gilbert dissimula brièvement son visage dans ses mains, frottant sa peau furieusement, prenant de profondes inspirations. Une fois cela fait, il releva la tête, présentant ses excuses auprès de Lazarus :

"Je suis désolé. Tu es dans cet état, on se revoit après tout ce temps, et tout ce que je fais, c'est... c'est me plaindre et créer un malaise entre nous. Nous devrions parler de quelque chose d'autre. Plus... Moins... Je ne sais pas."

Il força à nouveau un sourire sur son visage, qui ressemblait plus à une grimace. Etait-il encore en mesure d'interagir normalement avec autrui ou était-il voué à avoir une crise de nerfs chaque fois qu'il s'adressait à qui que ce soit ?

"Alors, Paris... Belle ville, n'est-il pas ? La Tour Eiffel... Notre-Dame, toujours debout, malgré l'incendie... Les Parisiens... Les... Les pigeons..."

Gilbert jeta un oeil autour de lui, craignant la proximité de ces satanés volatiles. Pourquoi y en avait-il autant à Paris ? Heureusement, ils semblaient être à distance. Pour le moment.

"Que me conseillerais-tu, en boisson ? A la réflexion, peut-être que de l'alcool n'est pas une si bonne idée. Ou peut-être pas."

Le discours de Gilbert était confus, presque manique. Cela faisait presque deux ans qu'il avait pris conscience de l'existence des Immortels, quelques mois depuis qu'il faisait partie des Adorateurs de l'Hydre, et il se sentait pourtant aussi confus et perdu qu'au premier jour. Probablement en raison d'une vie passée à réprimer ses émotions et ses angoisses, afin de préserver son lien avec Lui et obtenir sa place au Paradis.
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(#) Re: les nuits parisiennes (gilbert)    Mar 12 Jan - 6:53


Il ignorait s’il considérait Gilbert Monroe comme un véritable ami ou une simple connaissance. Peut-être l’homme se situait-il quelque part entre ces deux extrémités? Ils échangeaient des lettres à intervalles irréguliers, composant avec leurs horaires respectifs, et il s’agissait seulement de leur seconde rencontre en chair et en os. Enfin, ce n’était pas pour autant qu’ils n’étaient pas parvenus à s’apprivoiser au fil du temps. Bien entendu, Lazarus taisait son allégeance pour le Conclave Écarlate dans chacune de ses missives. Révéler l’existence de l’organisation au premier venu rimait avec une disparition en bonne et due forme, tous les membres le savaient, qu’on soit le bras droit ou non. Et le Conclave était particulièrement efficace lorsqu’il s’agissait de réduire au silence les éléments rebelles en son sein. Mais Lazarus n’avait pas menti à son ami pour autant. Il devait effectivement voyager en Europe à cette période de l’année, il lui avait simplement tu les véritables raisons de ce déplacement.
Il remarqua bien sûr l’inquiétude peinte sur le visage du prêtre. Sacré Gilbert, il n’avait donc pas changé depuis la dernière fois. Toujours aussi bon et candide. À croire que la Providence s’amusait à lui envoyer des individus trop gentils, pour lui montrer que ça ne servait à rien d’être si méfiant, si cruel. Gilbert. Salim. Lazarus s’étonnait encore et toujours de leur existence en ce monde. L’autre homme prit place à sa table, l’air nerveux. C’était étrange. Un peu inquiétant, même. Par politesse, il préféra ne pas le lui souligner, acquiesça simplement à ses paroles, conscient de toute son hypocrisie. Si telle est ta définition de la malice, alors je suis le roi de la malice, grinça-t-il in petto.
Il sirota son cappuccino, la chaleur se propageant dans tout son être. Il se faisait tard et sans doute s’endormirait-il à une heure avancée à cause de la caféine, mais tant pis. Il en profiterait pour se tenir au courant des dernières avancées du Conclave. Ses pensées furent interrompues par la voix de Gilbert, à ses côtés. « De l’alcool? » répéta-t-il, interdit. « Hum, non, je suppose que c’est l’heure idéale pour prendre un verre. Mais je pensais que tu t’abstenais de boire de l’alcool, en tant que prêtre? » Sa question était sincère, sans moquerie aucune. Il fronça les sourcils, étonné par la tournure de la conversation. « Tout va bien, Gilbert? Tu m’as l’air un peu nerveux, si je puis me permettre. » Le comportement de son ami commençait à l’inquiéter un peu.
La nature suspicieuse de Lazarus montra le bout de son nez et il en vint à se demander s’il lui cachait des choses, lui aussi. Il y avait fort à parier que sa langue se délierait après un verre ou deux… « Ne sois pas ridicule, commande ce que tu veux, c’est moi qui invite, je te dis. Mais pardonne-moi si je ne t’accompagne pas, moi, je vais me contenter de mon cappuccino. » Il accompagna ses paroles d’un sourire qui se voulait encourageant. Il ne put s’empêcher de rire à la remarque de l’autre homme. Oui, Paris, une belle ville en effet. Pour sa part, Lazarus l’appréciait surtout parce qu’elle lui offrait un lieu sûr sur le sol européen, Rome mis à part. La remarque sur les pigeons lui arracha un sourire en coin, amusé. Il croyait se souvenir que Gilbert lui en avait glissé un mot dans l’une de ses lettres. Il ne comprenait vraiment pas pourquoi ces oiseaux suscitaient chez lui une telle frayeur, mais soit. Certaines peurs étaient irrationnelles, disait-on.
« Mais non, c’est une excellente idée, mon ami, » insista Lazarus, de plus en plus intrigué par le comportement de l’autre homme. Pour tirer les vers du nez de quelqu’un, rien de mieux que l’alcool. « Dans un endroit comme celui-ci, j’imagine que seule la bière est buvable, encore que… »  songea-t-il à voix haute, un œil méprisant sur la carte posée sur la table. Si ce n’avait été de Gilbert, jamais n’aurait-il mis le pied dans ce café qui puait la médiocrité à plein nez. Vu l’hésitation de son ami, il prit l’initiative de commander pour lui la première bière qui retint son regard sur la carte. Elles devaient toutes avoir le même goût exécrable, de toute façon. Il ne prit pas la peine de vérifier si son comportement dérangeait Gilbert; il aimait guider, ou plutôt gouverner les autres, c’était ainsi. Une fois la boisson posée devant son ami, Lazarus passa à l’offensive : « Alors, cette conférence à laquelle tu as assisté aujourd’hui? C’était bien? Peut-être que ça te donnera de l’inspiration pour ton prochain sermon, qui sait? » Peut-être aurait-il dû l’aiguiller vers une boisson plus forte qu’une bière pour accélérer l’engourdissement des sens de son interlocuteur, mais tant pis. Une simple bière ferait l’affaire. Et puis, Lazarus était un homme patient. Très patient.
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(#) Re: les nuits parisiennes (gilbert)    Mer 13 Jan - 21:54

Lazarus était quelque peu surpris par son comportement et, honnêtement, Gilbert ne pouvait pas le blâmer. Lui-même avait du mal à comprendre ce qu'il traversait, depuis la découverte du statut de son père, et tout ce qui avait suivi après. Son esprit sautait volontiers du coq à l'âne, ses convictions et ses désirs vacillant sans cesse. Un jour, il se persuadait de continuer à mener sa mission de foi, à être là pour ceux et celles qu'il pouvait aider de par son rôle de Prêtre et de Missionnaire. Le lendemain, Gilbert était prêt à arracher son col romain, brûler ses habits religieux, et se jeter dans tous les péchés imaginables, pour rattraper le temps perdu.

Actuellement, Gilbert était surtout... égaré. Il n'était pas parvenu à s'intéresser un seul instant à ce qui l'exaltait d'habitude, et cette absence de motivation l'angoissait. S'il n'avait plus cette "étincelle" pour la religion, pour sa foi... Que lui restait-il ? Qui était-il supposé être, à présent ? Une question qu'il se posait depuis près de deux ans, et à laquelle il n'avait toujours pas de réponse, malgré le temps passé...

Gilbert avait haussé les épaules aux déclarations de Lazarus, ne sachant comment réagir. Il ne pouvait pas lui dire pourquoi il était si nerveux, l'homme penserait qu'il avait perdu la raison pour de bon, et Gilbert ne pourrait pas le blâmer. Des Immortels, une organisation secrète chargée de les aider et de les préserver de ceux et celles qui leur voulaient du tort... Cela ressemblait plus à un livre de science-fiction qu'à la réalité, et pourtant, ça l'était.

"Je... Je bois le vin de messe quand je suis supposé le faire, lors de mes cérémonies, mais il est vrai que je consomme peu, en général. Mais..."

Gilbert étira un sourire maladroit, tapotant la table du bout des doigts :

"Mais, de temps en temps, ça ne peut pas faire de mal, n'est-ce pas ? Et peut-être que cela m'aidera à me remettre du décalage horaire. Je ne suis pas nerveux, juste fatigué."

Gilbert était un piètre menteur, pour la simple et bonne raison qu'il n'était pas habitué à ce faire. Il était d'une nature sincère, et ce depuis son plus jeune âge. Sa mère avait réussi à le convaincre que mentir était une porte ouverte vers l'Enfer, nourrissant ses angoisses juvéniles, et il s'était donc abstenu autant que faire se peut. Mais Gilbert ne pouvait pas exactement dire la vérité à son ami, n'est-ce pas ?

Gilbert doutait du bienfait d'un verre d'alcool, qui risquait d'en entraîner d'autres (il se connaissait), mais son ami l'aidait à rassurer ses craintes. Après tout, il était en bonne compagnie. Sûrement, Lazarus saurait l'aider à être raisonnable, si besoin. Et ce n'était pas comme si Gilbert était un alcoolique, il ne buvait jamais trop. Simplement, l'homme était si peu habitué à boire qu'il lui fallait un rien pour basculer dans l'ivresse...

Considérant la suggestion de Lazarus, Gilbert le laissa commander une bière pour lui, ignorant le sourcil haussé de l'homme face à la requête et la tenue religieuse de l'homme d'église. Gilbert était peut-être vertueux, mais bien d'autres confrères et consoeurs ne se privaient pas, était-ce réellement si choquant ? Et puis, ce n'était pas comme s'il avait l'intention d'en faire une habitude. C'était juste plus facile de gérer ses angoisses, avec un peu d'alcool dans le système...

Tirant sur son col romain, distrait, il lui fallut un instant pour réaliser que Lazarus lui avait posé une question et, plus encore, en comprendre le sens :

"Hein ? Ah, le sermon... Non, la conférence, plutôt."

Gilbert rit d'un air gêné, frottant sa nuque d'un geste anxieux. Même s'il essayait de paraître "normal", Gilbert était malheureusement un livre ouvert, aisément déchiffrable. N'importe qui était en mesure de déceler que l'homme était atrocement nerveux, à cet instant précis...

"Oui, je suppose que ça pourrait m'inspirer. "La place d'Internet dans la vie religieuse", il y a beaucoup à dire là-dessus. Beaucoup..."

Et il se rappelait à peine de ce qui avait été dit. Gilbert soupira, se mordillant la lèvre inférieure dans un geste incontrôlé. Il se força à sourire, agrippant son verre lorsque le serveur le posa sur la table, ses doigts refermés dessus un peu trop vigoureusement :

"Excuse-moi, je suis d'affreuse compagnie aujourd'hui. La fatigue... Je dors très peu, ces derniers temps. Disons que cela me laisse plus de temps pour prier. Mes dernières prières étaient pour toi, d'ailleurs. Te souhaitant le meilleur."

Ce n'était pas entièrement un mensonge. Si Gilbert était actuellement insomniaque et qu'il lui arrivait de prier durant cette intervalle, il était plus souvent occupé à se poser des tas et des tas de questions existentielles, ou à essayer des choses qu'il n'avait jamais osé auparavant, par crainte de Son courroux. Des choses dont il ne voulait certainement pas parler à Lazarus... Ou personne d'autre. Ce serait atrocement embarrassant...

"Mais je parle, je parle, et je ne t'ai pas encore demandé de tes nouvelles proprement. Que deviens-tu ? Comment occupes-tu ton quotidien, lorsque tu ne dois pas affronter des enfants démoniaques qui te poussent dans les escaliers ?"

Cela avait l'air douloureux... Gilbert espérait que l'homme ne souffrait pas trop. Cette pensée en tête, il but son verre. Trop vite. Le goût amer lui brûla la gorge et il toussota, reposant le verre d'un geste tremblant. Il n'était vraiment pas habitué à boire, et le faire aussi intensément et rapidement... Ca ne présageait rien de bon.
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(#) Re: les nuits parisiennes (gilbert)    Mer 13 Jan - 23:30


Il ne put s’empêcher d’esquisser un léger sourire aux propos de son ami. Boire le vin de messe, mais bien sûr, il aurait dû y songer. Ça lui faisait penser qu’il n’avait jamais assisté à une messe célébrée par Gilbert, ce qui n’était guère étonnant quand on savait qu’un océan les séparait en temps normal. Gilbert en Angleterre, Lazarus aux États-Unis. Six heures de décalage horaire. Et pourtant, ils étaient parvenus à garder contact au fil des années, une lettre à la fois. Ce moyen de communication, bien que désuet, l’amusait. Au moins, il pouvait s’attendre à recevoir une lettre intéressante au moins une fois par mois, parmi toute la pile de factures et autres missives inintéressantes. Qui plus est, Gilbert s’exprimait bien, maniait les mots avec dextérité. Dans le cas contraire, sans doute Lazarus n’aurait-il pas hésité à abandonner cette correspondance, il demeurait un homme (très) occupé et s’il pouvait libérer son horaire d’une heure ou deux, c’était avec grand plaisir. Mais le courant était si bien passé avec l’autre homme qu’il en venait aujourd’hui à le considérer comme un ami, ou du moins ce qui s’en approchait en ce qui concernait Lazarus. Il fallait dire qu’il n’avait que très peu d’amis dans son cercle proche; il comptait même plus d’ennemis que d’amis, puisqu’il était à la tête du Conclave. Telle était sa triste existence.
Il retint le sourire qui menaçait d’apparaître sur sa figure. Boire de l’alcool après un long voyage, surtout quand on essayait encore de lutter contre le décalage horaire, était une très mauvaise idée. Lazarus le savait pour l’avoir essayé dans ses jeunes années. Mais il n’entendait certainement pas le souligner à Gilbert si ce dernier avait envie de boire un peu, surtout si ça lui permettait de savoir ce qui le tracassait. Eh, si Lazarus était son ami, il n’était pas pour autant un bon ami. La faute à son égoïsme, sans doute. Ou sa curiosité maladive. « Oh, bien sûr, je comprends. Un verre ne te fera pas de mal, je crois. Surtout après cette conférence qui ne semble pas t’avoir passionné, je me trompe? » Il eut encore plus envie de connaître le fin mot de l’histoire, car il était maintenant évident que Gilbert lui cachait bel et bien quelque chose.
Mais que pouvait bien cacher un prêtre?
C’est dans l’intention ferme de le savoir que Lazarus commanda une bière pour lui, qui ne tarda pas à apparaître devant lui. Il souleva son cappuccino déjà entamé, qu’il frappa avec douceur contre le verre de son ami. « À ta santé! » Il but une gorgée de son café sans aucun doute bien trop sucré, puis reporta son attention sur l’homme à côté de lui, toujours aussi nerveux, quoi qu’il en dise. Il arqua un sourcil. « Tu ne dois pas prier assez fort, regarde ma tête et mon bras. » Il désigna de sa main libre son plâtre ainsi que son visage tuméfié. Il plaisantait, bien sûr. Mais ça confirmait ses soupçons, à savoir qu’il y avait matière à s’inquiéter pour Gil. Patient, il attendit que son ami en vienne à se confier à lui, mais hélas, il préféra prendre de ses nouvelles.
Lazarus claqua la langue, secoua la tête. « Oh, moi, je ne suis pas intéressant. Et puis, c’est de toi qu’on parle. Pardonne-moi d’être aussi franc, mais tu n’as pas l’air d’aller bien. Dis-moi ce qui se passe. » Pour l’encourager, il énuméra les éventuelles possibilités qui s’imposaient à son esprit : « Un souci financier? Un conflit familial? Une peine de cœur? » Il réalisa qu’au fond, il ne connaissait pas grand-chose de la vie personnelle de l’autre homme. Bien souvent, dans leurs lettres, ils débattaient volontiers de la vie et de la mort, de sujets hautement philosophiques somme toute, mais rien qui ne touchât directement à leur vie intime respective. Ça arrangeait bien Lazarus, qui n’était pas de nature bavarde quant à sa propre vie ou même sa propre personne, mais au final, qui était Gilbert Monroe?
Lazaus ajouta, une étincelle taquine dans les prunelles : « À moins que tu ne veuilles rien me révéler parce que ça me concerne directement? Sacré Gil, désolé mon vieux, mais seules les femmes m’intéressent! » Il s’esclaffa, bien qu’au fond, il ne s’était jamais véritablement interrogé sur ses préférences amoureuses et sexuelles. Toute sa vie, il n’avait fréquenté que des femmes, se croyant attiré par les femmes et rien qu’elles, mais en vérité, il paraissait que rien n’était coulé dans le béton à ce sujet. Il l’avait lu dans un magazine, une fois. Et même s’il savait qu’il ne fallait pas croire tout ce qu’on lisait, il était enclin à croire cette information. Cordelia n’avait-elle pas couché avec une femme, dernièrement, alors qu’il la supposait hétérosexuelle? Un sourire sinistre apparut sur ses lèvres. Était-on attiré.e par le sexe opposé jusqu’à preuve du contraire, tout simplement?
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(#) Re: les nuits parisiennes (gilbert)    Lun 18 Jan - 18:19

Lazarus n'était pas stupide. Gilbert en était douloureusement conscient. Il devait avoir déjà commencé à recomposer le puzzle, toutes ces petites pièces qui, collées les unes les autres, révélaient trop aisément les mensonges de Gilbert... Cette histoire de décalage horaire, par exemple. Pourquoi avait-il mentionné cela, alors qu'il savait très bien qu'il n'y avait qu'une heure de différence entre la France et l'Angleterre ? Gilbert se maudit intérieurement, comprenant qu'il se trouvait malgré lui au pied du mur. S'il ne trouvait pas un prétexte solide pour expliquer sa nervosité, voilà les ennuis assurés...

Une part de lui voulait se confier, trouver quelqu'un qui saurait le comprendre. Parmi les adorateurs, on pensait qu'il devrait se ravir de savoir que son père était toujours vivant et qu'il était fils d'Immortel. Pour Gilbert, ce n'était qu'une source de tourments, empoisonnant son âme, remettant toute son existence en question, ce à quoi il avait consacré sa vie en péril... Peut-être que Lazarus pourrait le comprendre. Ou, plus probablement, il penserait que Gilbert avait perdu la raison.

Gilbert grimaça une première fois lorsque Lazarus souligna son manque d'intérêt pour la conférence. En d'autres temps, le sujet l'aurait passionné. Gilbert était pour l'association de la modernité et de la religion, pensant qu'il y avait plus à gagner à se tourner vers l'avenir qu'à stagner dans un passé révolu. Internet faisait partie de cette avancée, indéniablement. Mais à l'heure actuelle, il lui était difficile de s'investir pleinement dans tout ce qui touchait à la religion. Comment était-il supposé faire cela, alors que tout ce en quoi il croyait avait été renversé, bouleversé ?

Gilbert eut un autre rire nerveux, massant son cou nerveusement, cherchant à se dépêtrer de son embarras tant bien que mal :

"Oh, ce n'était pas inintéressant, mais je manquais de la concentration nécessaire pour m'y investir pleinement. Ce que j'ai pu en retenir sera définitivement intégré dans mes sermons et ma pratique religieuse, toutefois."

Tout cela lui paraissait si lointain, si superficiel... A mille lieues de ce que son monde était désormais devenu. Gilbert s'efforça néanmoins de continuer à sourire, une tentative qui se solda vite par une deuxième grimace lorsque Lazarus lui signala qu'il n'avait pas dû prier assez fort pour lui, étant donné l'état de sa tête et de son bras. Sa réponse glissa hors de ses lèvres avant que Gilbert n'ait eu le temps de le retenir, triturant son verre du bout des doigts :

"C'est peut-être grâce à mes prières que tu n'es pas dans un état pire encore..."

Lorsqu'il réalisa ce qu'il venait de déclarer, Gilbert releva les yeux vers Lazarus, une expression atrocement gênée sur le visage. Il n'était pas un cynique ou un pratiquant du sarcasme, bien au contraire. Cet humour sec, pour ne pas dire morbide, cela ne lui ressemblait pas. Il s'excusa d'une petite voix, se dandinant sur son siège :

"Désolé, je... J'espère ne pas t'avoir offensé. Si c'est le cas, tu es dans ton droit de m'en vouloir et je... je te prie de bien vouloir m'excuser. C'était déplacé de ma part."

Gilbert n'était pas sûr d'aimer l'homme qu'il était en train de devenir. Cette amertume qui l'envahissait et dans laquelle il menaçait de se noyer... Etait-ce la personne qu'il était voué à être, maintenant que sa vie était sur le point de s'effondrer ? Gilbert se demandait régulièrement s'il n'aurait pas préféré continuer à vivre dans l'ignorance et, à ce moment-là, il était certain que c'était le cas...

Sa tentative de dévier la conversation fut rapidement contrée, Lazarus arguant qu'il n'était pas intéressant, avant de rebondir sur le mal-être évident de son interlocuteur. Gilbert désapprouvait les propos de celui qu'il considérait comme son ami. De ce qu'il avait pu voir dans ses lettres, dans leurs échanges écrits et verbaux, Lazarus était un homme profond, à l'âme riche, connaisseur de toutes sortes de choses et éloquent autant par la plume que par la voix. Gilbert aimerait mieux le connaître, en toute sincérité.

Alors qu'il réfléchissait à une façon de répondre aux interrogations de Lazarus, ce dernier ajouta une dernière suggestion, conduisant Gilbert à avaler de travers et tousser incontrôlablement. Il ne s'attendait certainement pas à ce que Lazarus suggère qu'il puisse avoir ce genre d'intérêt envers sa personne... Gilbert avait gardé ce détail pour lui, mais son coeur avait déjà battu aussi bien pour des femmes que des hommes, une tentation qu'il avait combattu encore et encore. Il ne savait pas comment Lazarus réagirait à la possibilité que Gilbert soit intéressé sexuellement sans distinction de genre (il n'était pas encore prêt à s'attribuer un label, pour être honnête), et il ne voulait pas risquer de le perdre à cause de ça...

"Non, non, je... tu es un ami pour moi, mais je n'ai pas ce genre d'attraction à ton égard."

Gilbert montra son col romain, un sourire vacillant aux lèvres :

"Ma dévotion est réservée à Notre Seigneur. Tu sais bien que je ne puis céder à l'appel de la chair."

Ou il pensait ne pas le pouvoir, jusqu'à il y a peu... Et maintenant ? Quelle importance, s'il couchait avec quelqu'un ? Qu'est-ce que cela changerait vraiment, au fond ? Cette pensée le tourmentait, entre envie et anxiété, tentation et crainte, comme un pas à franchir dont il ne pourrait pas revenir...

Gilbert n'était pas à l'aise pour mentir. Lazarus n'était pas si éloigné que ça de la vérité dans ses suggestions, et Gilbert décida de s'en servir, avouant à demi-mot :

"Pour tout te dire, j'ai... j'ai un souci familial. Et je ne pense pas qu'il se résoudra de sitôt. On m'a menti pendant des années, et la vérité a éclaté. Maintenant, je suis... perdu."

Le mot était faible. Gilbert s'était aventuré sur un chemin dont il n'était pas en mesure de s'écarter, obligé de se confronter à une réalité qui envoyait voler aux éclats la moindre de ses certitudes. Il avait l'impression de s'être brisé en mille morceaux, et de manquer de pièces pour reconstituer un puzzle cohérent... Terminant sa bière, Gilbert avoua à demi-mot, n'osant croiser le regard de Lazarus :

"Je n'arrive pas à trouver réponse dans mes prières. C'est comme si... comme si..."

Comme s'il n'y avait personne de l'autre côté pour l'aider. Gilbert y croyait de plus en plus et cela le détruisait à petit feu, lui qui avait consacré son existence et son âme à la religion. Mais il ne pouvait pas prononcer ces mots. Pas à voix haute. Pas devant Lazarus. Il... Il...

Forçant un énième sourire sur son visage, Gilbert reprit tant bien que mal, triturant son col romain :

"Enfin, ce n'est sûrement que passager. Rien qu'une boisson partagée avec un ami ne saurait arranger ! Tu es sûr que tu ne veux pas boire avec moi ? Autre chose que de la caféine, je veux dire."

C'était déraisonnable, mais il avait la sensation que l'alcool l'aidait à accepter l'inacceptable, à cet instant. Et il en avait désespérément besoin...
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(#) Re: les nuits parisiennes (gilbert)    Mar 26 Jan - 23:49


Nul besoin d’un doctorat pour deviner que quelque chose clochait chez son ami. Certes, ce n’était que la seconde fois que les deux hommes se rencontraient en chair et en os, et la première commençait à dater un peu, mais Lazarus pouvait sentir que l’homme d’Église lui cachait quelque chose. L’intuition, clameraient certains. Le pouvoir de l’amitié, clameraient d’autres. Pour sa part, le professeur de sciences politiques ne croyait ni en l’un, ni en l’autre. Il lui suffisait de prêter attention aux paroles de son vis-à-vis pour remarquer des incohérences dans son discours, sans parler de son insistance à tirer sur son col romain, comme si sa vie en dépendait. Mais il préférait d’abord essayer de lui tirer les vers du nez plutôt que de lui déclarer tout de go qu’il lui mentait et ainsi risquer qu’il se renferme. Au travers de leur échange épistolaire, Lazarus devinait que son ami était un être sensible et davantage enclin à écouter les problèmes des autres qu’à se confier sur les siens. Certaines personnes étaient ainsi faites : prêtes à se dévouer à autrui sans rien demander en retour. Peut-être pour respecter les Saintes Écritures, peut-être aussi pour se valoriser d’être si bienveillant et à l’écoute de son prochain. Malgré sa foi profonde en Dieu, Lazarus demeurait quelqu’un de profondément égoïste, n’agissant que s’il pouvait retirer quelque chose de l’affaire. Tout le contraire de Gilbert, apparemment.
Sans crier gare, le quadragénaire éclata de rire. Il avait très tôt appris à feindre l’hilarité en société, une compétence fort utile pour gratter des points d’estime auprès de ses contemporains. Tout le monde voulait faire rire tout le monde; c’était même un gage de réussite lors d’une conversation. Une façon de dire tu es capable de divertir ton interlocuteur, tu es vraiment quelqu’un de cool, continue. Alors il feignit de rire pendant quelques secondes, assez pour que ça paraisse sincère et crédible. « Mais non, tu ne m’as pas du tout offensé, ne t’en fais pas. En plus, tu as raison, j’aurais pu m’en tirer avec bien pire qu’un bras cassé et quelques ecchymoses de rien du tout. Ça finira par guérir. L’humiliation de… tomber dans les escaliers, par contre? Disons que ça, je vais mettre un peu plus de temps à m’en remettre. » Son sourire mourut sur ses lèvres, remplacé par un rictus plein d’amertume. Comme quoi la vérité s’insinuait dans ses mensonges.
Il voulut alléger la conversation en taquinant l’autre homme, mais ce dernier sembla le prendre au sérieux. Les sourcils froncés, Lazarus ne put s’empêcher de le questionner à ce sujet : « Et… ça ne t’est jamais venu à l’esprit de transgresser l’interdit? Je n’ai jamais compris pourquoi les prêtres, ou toute personne œuvrant pour le Seigneur, devraient ainsi se priver, si tu me permets de parler franchement. » Bien sûr, certains ne se privaient pas pour goûter au fruit interdit, comme le prouvaient les nombreuses allégations d’agressions sexuelles. Il se demandait ce qu’en pensait Gilbert, qui d’ailleurs sembla vouloir cracher le morceau, enfin. Lazarus se pencha au-dessus de la table, comme pour ne pas en perdre une seule miette. Les mains autour de son café, il écouta les paroles de l’autre homme. « Ce doit être horrible d’être dans l’ignorance pendant des années et de soudain découvrir la vérité, » fit-il mine de compatir. Peut-être que le secret de Gilbert n’était rien de bien intéressant, au final? Rien qu’un énième drame familial, cliché et inintéressant. Peut-être.
Il but une gorgée de son cappuccino, puis pesa chacun de ses mots : « Oui, je comprends. Il m’est arrivé moi aussi de douter de Notre Seigneur. Comme s’Il m’avait abandonné. Il y a des choses dans ce monde qui dépassent Son entendement, de même que le nôtre, j’en ai bien peur. Par exemple… Oh, mais tu vas rire de moi. » Il s’esclaffa en tapotant l’épaule de son ami, puis s’étira le cou jusqu’à approcher sa bouche de l’oreille de Gilbert. Il lui confia à voix basse : « Bon, parce que c’est toi, je veux bien te le dire. Il y a quelques années de cela, j’ai déjà entendu parler d’êtres capables de revenir à la vie. Des êtres, eh bien… Appelons un chat un chat : des êtres immortels. » Il haussa les épaules, l’air désinvolte, avant de reprendre place sur sa chaise. « Si de telles personnes existent, elles ne font certainement pas partie de la Création Divine, qu’est-ce que tu en penses? » Il héla un serveur qui passait près de leur table et commanda deux bières. « Si on s’aventure à parler d’un sujet aussi grave, je vais avoir besoin d’un peu d’alcool dans le sang, » se justifia-t-il avec un sourire en coin. Il touchait presque au cœur du problème de Gilbert. Il en était persuadé.
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(#) Re: les nuits parisiennes (gilbert)    Lun 15 Fév - 15:10

Gilbert étira un sourire gêné lorsque Lazarus rit et lui affirma qu'il ne l'avait pas offensé. Il n'était vraiment pas certain d'apprécier l'homme qu'il était en train de devenir, sans les chaînes de la religion et de sa foi pour le garder sous contrôle. Gilbert n'avait jamais été particulièrement cynique ou sarcastique, et pourtant, il n'avait pu s'empêcher de parler de la sorte, comme si ses prières avaient réellement pu aider Lazarus d'une façon ou d'une autre. Gilbert ne se reconnaissait pas dans ces mots-là, dans cette manière d'agir et de penser. Mais peut-être n'avait-il jamais vraiment eu l'occasion de se connaître, derrière les principes, la peur du péché...

Il s'excusa à nouveau, marmonnant d'une voix embarrassée :

"Je suis désolé. Et je... J'espère que tu vas vite te remettre de tout cela. De ta chute et de... hem... l'humiliation, je suppose."

Gilbert ne voyait pas ce qu'il y avait de fondamentalement humiliant dans ce qui était arrivé à son ami, mais son caractère ne lui permettait pas de douter de ses mots, de son histoire. Gilbert lui faisait confiance, une confiance qui relevait de la naïveté.

"Je ne pense pas qu'il soit humiliant de tomber. Ce qui compte, c'est de pouvoir s'en relever, n'est-ce pas ? Et tu es toujours là, en vie. Ce genre de chutes peuvent être fatales, j'aurais été terriblement attristé de te perdre ainsi."

Peut-être qu'ils se voyaient peu, mais Gilbert tenait à Lazarus, le considérant comme un ami. Et il ne souhaitait pas le perdre, encore moins maintenant qu'il doutait de l'existence d'un au-delà. Et si mourir signifiait disparaître, tout simplement ? Il ne pourrait jamais revoir Lazarus, si son ami venait à quitter ce monde... Et si Gilbert mourrait, s'il le pouvait seulement, il...

Le reste des paroles de Lazarus lui permit d'oublier temporairement ses doutes, ses peurs, et de se focaliser sur la question qu'on lui avait posé. Oh, Gilbert avait été tenté, bien avant de commencer à douter de sa foi, mais il n'était jamais passé à l'acte. Il en avait eu envie, pourtant. Auprès d'une femme, auprès d'un homme... Et voilà comment, à 41 ans, il était toujours vierge et, au-delà de la théorie pure, ignorant de ces pratiques sexuelles qui lui avaient été interdites toutes ces années. Gilbert ne savait que penser de cela...

Il reprit une gorgée de sa boisson, tirant nerveusement sur son col :

"J'ai été... tenté. Mis à l'épreuve par ma foi. Comme beaucoup d'hommes et de femmes d'Eglise avant moi. Mais je n'ai pas cédé."

Gilbert s'était interrogé plusieurs fois sur le célibat des hommes d'Eglise, sur cette nécessité à renoncer à la chair, et les réponses qu'il avait trouvé n'étaient guère satisfaisantes, mais il n'avait remis tout cela en cause que très récemment. Finissant son verre, il déclara en toute franchise ce qu'il éviterait de crier sur tous les toits sans alcool dans ses veines :

"On te dira qu'un prêtre ne peut qu'aimer que Dieu, et pas une personne en particulier. Ou que cela permet de s'assurer que l'homme d'Eglise ne se consacre qu'à sa mission et rien d'autre. Mais en vrai, c'était une question d'argent, des années auparavant."

Gilbert eut un rire jaune, répugné comme il l'avait été de nombreuses fois par les institutions qui entouraient sa croyance :

"En empêchant un prêtre de se marier et d'avoir des enfants, l'Eglise s'assure que son héritage lui revienne. Pas d'héritiers pour y prétendre. Quel beau système..."

Et tout cela participait à ses doutes. Ses doutes vis-à-vis de ses croyances, de sa foi, de l'habit qu'il portait actuellement... Au fond, Gilbert n'avait-il pas cru simplement dans l'espoir de revoir un jour son père, arraché si brutalement ? Et aujourd'hui, que lui restait-il ?

Il avait hoché la tête lorsque Lazarus avait fait preuve de compassion à son égard. Toutes ces années, il avait pleuré son père, hanté par les images de sa mort, par la peur de ne pas parvenir à le retrouver au Paradis. Le moindre péché auquel Gilbert avait cédé le convainquait qu'il s'éloignait de son but, qu'il ne pourrait pas revoir ce père qu'il aimait tant, qu'il allait tout perdre... Gilbert avait été obsédé par son paternel et l'idée de le rejoindre dans l'au-delà, tout ça pour apprendre que l'homme était bien vivant. Immortel. Et qu'il l'était peut-être également... Comment ne pas douter ? Comment ne pas s'effondrer ?

"Si j'avais su, tout... tout aurait été différent. Peut-être même n'aurais-je pas consacré ma vie à Dieu."

Gilbert n'arrivait pas à décider si cela aurait été une bonne ou une mauvaise chose. Il savait juste qu'il était complètement perdu, et qu'il se sentait atrocement seul. Seul avec ses secrets et ses incompréhensions. Mais Lazarus doutait également, comme il le lui fit savoir en lui murmurant à l'oreille quelque chose qu'il ne s'attendait pas de sa part. Les yeux de Gilbert s'écarquillèrent, alors que son ami parlait si casuellement de ce sujet qui le tourmentait quotidiennement. Il crispa ses mains sur ses jambes, le battement de son coeur s'accélérant considérablement.

Et s'il lui disait tout ? S'il lui parlait de son père ? Gilbert était affreusement tenté, ne serait-ce que pour se défaire de ce sentiment de solitude et d'égarement qui l'étreignait depuis trop longtemps, mais il était habitué à ne pas céder à ses tentations. Lazarus pensait certainement que ce n'était qu'un sujet fantasque. Une théorie amusante, particulièrement à débattre entre hommes de foi... Et si Gilbert commençait à lui lâcher la vérité, tout de go, il penserait certainement que son ami perdait l'esprit. Qu'il s'était égaré en chemin. Et Gilbert ne pourrait pas le blâmer. C'était tellement... absurde.

Gilbert eut un rire gêné. Soudainement, il n'avait plus du tout envie de boire. Il voulait partir, se réfugier chez lui, et laisser l'angoisse l'envelopper jusqu'à ce qu'elle se décide à partir. Au lieu de cela, il marmonna, son regard fuyant celui de Lazarus malgré lui :

"Je... Je pense que nous sommes tous créatures de Dieu. Et si... Et si de tels êtres existaient, pourquoi cela serait-il différent ?"

Pourquoi, oui. Pourquoi cela serait différent ? Gilbert se torturait sans cesse avec cette question, sa foi vacillant, se brisant, se reformant, dans un cycle perpétuel sur lequel il n'avait pas le contrôle. Il ne croyait plus, mais voulait se persuader du contraire, parce que c'était tout ce qu'il avait, tout ce qui lui restait, tout ce qui justifiait cette vie de privations qu'il avait mené. Que tout cela avait du sens.

"Mais... Mais ce n'est qu'une conversation entre théologiens, n'est-ce pas ? Rien de plus que des spéculations. Ce genre de... d'êtres, ça n'existe pas réellement, après tout."

Gilbert commençait à avoir du mal à respirer. Il ne voulait plus parler de cela. Il ne devait pas. On lui avait clairement fait comprendre qu'il devait garder le secret sur les Immortels, parce que ceux qui acceptaient de le croire pourraient bien devenir une menace pour eux. Pour son père. Et même si Gilbert en voulait à l'homme pour l'avoir traumatisé et abandonné toutes ces années, il ne souhaitait pas son malheur...

Ce pourquoi il s'efforça de changer de sujet, manquant de la subtilité nécessaire pour ce faire. Gilbert était trop vrai, trop franc, trop naïf pour manier l'art de la conversation et les jeux sociaux avec autant d'aisance que son ami...

"Mais... Mais je ne t'ai même pas demandé ce que tu faisais à Paris. A... A part être poussé par des enfants dans les escaliers."

Un autre rire nerveux. Gilbert tapota la table du bout des doigts, tentant de garder ses émotions sous contrôle. Il avait l'impression qu'il pouvait exploser à tout moment...
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