Comme on m'attend au tournant, j'ai décidé d'aller tout droit • timo

[5000 BC] Timo ne se souvient ni de son nom, ni de son origine, ni de sa famille. Il peut bien romancer, inventer des fables, parler de parents aimants ou morts jeunes. Il peut parler de dorures et d'ors propres aux proto-thraces, de vie paisible à errer dans un territoire immense ou de la mort à chaque coin de colline. Il ne sait pas et ne sait plus. Enfant de chasseur cueilleur nomade ou d'une de ces tribus qui ne rêve pas même d'écriture ? Le néant. Même sa mort est flou. On dit qu'on n'oublie jamais la première fois et pourtant même en rêve il ne sait pas. Alors il invente une nouvelle histoire à chaque fois. Noyade, maladie, blessure, infection, chute, sacrifice, bataille.

[4000 - 2500 BC] Les bords de la Méditerranée sont truffés de petites tribus qui vivent chichement mais de manière heureuse. Seules les peuplades les plus riches se permettent de voyager. Un étranger est généralement accueilli avec affabilité sans être invité à rester dans le groupe ; les tribus sédentaires quant à elles sont plus hostiles. La peur de manquer rend les gens agressifs et ceux qui n'ont rien préfèrent aller prendre chez les autres. Timo s'est servi plus d'une fois et a donné son bras, tantôt pour gratter la terre et mener le bétail, tantôt pour abattre les hommes et prendre leurs marchandises et leurs femmes.

C'est vers l'Est pourtant que se développe l'essentiel. Le teint trop pâle, bien que tanné par le soleil à force de marcher dans les terres semi-arides du Proche-Orient, il rencontre les Hittites, les Urukiens, les habitants de Mari. Tout ça dans le but premier de goûter aux douceurs de l'Est, en tant que marchand ou en tant que mercenaire. Puis pour retrouver Neda qu'il a senti vibrer à sa mort.

Ses premières morts, violentes parfois, dans le dénuement généralement, l'ont rendu méfiant des gens et des personnes. Il ne s'est pas attardé suffisamment longtemps pour créer de véritables familles. Il les a abandonnées à sa mort, à la mort d'un enfant, d'une conjointe. Il ne garde pas de réels souvenirs de ses relations à cette époque. Peut-être également que la perte d'un être cher était plus ancrée dans les mœurs et les habitudes et que, bien que douloureuse, était un schéma de la vie. Tout le monde mourrait sauf lui et s'il a pris cela comme un don des dieux, une bénédiction, l'inverse s'est insidieusement marqué dans son esprit. Cherchant à comprendre ce qu'il avait fait pour causer l'ire de Dieux, il a longtemps oscillé entre un altruisme confondant et une violence et une haine exacerbée.  

[2500 BC - 500 AD] Il connait l'Hydre, s'approche d'eux, se mêle à eux. Il aime Neda mais il veut connaître d'autres immortels, en apprendre sur eux, leurs arts, comment ils sont morts, pourquoi ils sont ainsi. C'est à cette époque qu'il se pose des questions, qu'il s'intéresse à la philosophie, la science, l'ésotérisme, tout ce qui peut justifier leur présence sur terre.

Il va en Crête, fait partie de ces rares personnes à avoir pu lire le linéaire A, a profité de la prospérité de l'île, autant au niveau de ses capacités en horticulture que dans sa connaissance des courants marins. Il a connu les phéniciens, fait du commerce avec eux, a travaillé sur leurs comptoirs et s'est arrêté un long moment entre 7 collines. Là, il a connu les Tarquins, la naissance d'une Ville Éternelle. Il a beaucoup voyagé, tantôt se faisant passer pour un Grec, tantôt pour un Thrace, tantôt pour un Romain, parfois un Germain, rarement un Gaulois dont les différentes peuplades l'intéressaient peu.

C'est d'abord auprès de la République qu'il a suivi l'apogée de Rome, trop peu intéressé cependant pour se faire passer pour un homme prêt à rejoindre les rangs de l'armée. Il n'a commencé à se mêler aux voies du pouvoir et leur ascension que lors des guerres civiles, rejoignant le parti de Sylla, se moquant bien de Marius qui allait pourtant facilité son intégration dans l'armée romaine. Par la suite, il a été tel Plancus, à retourner sa veste, choisir le parti qui l'amusait le plus, déjà las des joutes, cherchant plutôt à se divertir. Tantôt du côté des Républicains, tantôt du côté des optimates, il a chuchoté dans l'oreille d'Agrippa, prêté son épée à Lépide, s'est intéressé à Claude dans l'ombre, à suivi les manœuvres de Livie et s'est attaché à Tibère.

Il s'est à nouveau éloigné du centre du pouvoir. Rome puait, Rome état constamment noire, de monde ou de pollution. Il est allé en Orient, foulé les restes de l'empire du Pont, l'empire Séleucide, passé à Tigranocerte. Il s'est amusé à Constantinople, puis est revenu à l'Ouest et s'est acoquiné aux Goths puis aux Gépides, les alliés des Huns. Lorsqu'Attila est mort, il a ri avec Jordanès de la trahison de son peuple.

[600 - 1700] Il s'ennuie, il a l'impression d'avoir beaucoup vu. Il cherche de quoi s'amuser, de quoi éveiller des lueurs d'intérêts. Par le sang, par le corps, par l'esprit. Il meurt en boucle, lors des Croisades, de la Peste, sur les chemins, lors de grands procès, pour avoir déshonoré une femme, pour avoir insulté le roi, pour s'être ri du doge. Il s'éloigne de l'Hydre avec laquelle il s'est acoquiné à ses débuts. Il retrouve les membres de sa constellation, ils  marchent ensemble un moment et se séparent. Les enfants avec Neda hantent leur esprit et le dernier meurt, presque centenaire. Il meurt et cet enfant chéri leur brise le coeur. Ils se séparent et arrive Agnès dans leur monde. Il sait qu'elle est là mais ne veut pas le sentir, il lui en veut mais ne sait pas pourquoi, il ne ressent plus que ça, une irritation grandissante et malsaine.

[1700 - 2020] Il s'en fout. Seule Agnès le sort de sa torpeur. Il accueille les événements, les évolutions avec apathie, reste éloigné des mœurs actuelles. Les colonies sont un moyen et une raison de voyager, il prend Agnès comme une raison de vivre, l'identifie à une enfant, se fait du mal à la comparer aux siens. Il la toise, se moque d'elle, de son impatience, de ses découvertes, il donne l'impression d'avoir tout vu, tout entendu, tout vécu et peut-être que c'est vrai. La mort, même elle, l'ennuie. Il combat sur tous les fronts, sous tous les uniformes, complétement fermé aux idéologies. En URSS, il observe l'Holodomor. Il observe la montée des fascismes. Il se trouve en Yougoslavie, en Russie, en Allemagne, en France, en Indochine, en Corée, en Afghanistan.