bromance ((rahim))

Londres, Angleterre, fin février 2022.

« Enregistrement MPQ8. Simulations des données en cours. » Immobile, tu observes avec passion l'ordinateur quantique afficher une foultitude de chiffres et de lettres. Un autre écran montre des courbes et des graphiques. Tes prunelles avides réceptionnent les informations ; tu voûtes ta grande carcasse pour attraper les feuilels encore tièdes qui sortent de l'imprimante à tes côtés. D'un coup de crayon rouge, tu annotes ici ou là des suggestions. Une sonnerie retentit soudain, te tirant difficilement de tes calculs. L'heure sur ton alarme te fait sursauter. Merde ! Le temps passe vite quand on s'amuse ! Fourrant, tel un babouain, les feuillets dans ta sacoche, tu te dépêtres de ta blouse blanche non sans ébourrifer tes cheveux et mettre de travers tes lunettes. L'amour scientifique fait place à une espèce d'impatience, dans tes flancs entrecoupés de tes souffles erratiques. Les bras surchargés, tu trottines dans les couloirs du Quantum Science and Technology Institute. Tu salues diffiilement d'un coucou enthousiaste l'agente d'accueil, manquant de faire tomber ton sac ; elle sourit et te tend les livres que tu avais commandé, qui trouvent leurs places avec les feuillets. Tu retiens une grimace : est-ce que tu seras à l'heure ? Quelle ironie. Rahim vient enfin chez toi, et tu risques de ne pas être là pour l'accueillir. Il est temps de voir si ta vieille âme peut se remuer assez pour remonter le temps.

Quelques rues à courir, une flaque qui trempe ton bas de pantalon, et c'est avec un flic floc désagréable que tu déboules dans le couloir de ta résidence où se trouve ton loft. Heureusement; Rahim n'est pas encore là - tu vas pouvoir mettre au point la dernière touche à la speciale decoration que tu as mise en place. Tu lui envoies un petit sms rapidement, pianotant sur ton téléphone en déposant, lourdement sans respect pour ta sacoche, ta blouse, tout sur le sol. Si Erin avait été là, sûr de sûr, elle t'aurait passé un savon.

Aloy

Yo, Rahim ! Alors, comment s'est passé l'avion ? J'espère que t'as pas eu d'affreux bébé qui crie. Et que t'as pu avancer dans une série, mater un film ... ou gagner UN MILLIARD DE CLOCHETTES sur AC. T'as toujours mon adresse, j'espère ? C'est juste en face du métro, à trois rues de l'Institut de Physique Quantique. Si besoin, appelle-moi, j'viens te chercher - mais si je viens, j'ai le droit d'être déguisé en spiderman ? Allez, tchao, à plus dans l'bus !

Envoyé. T'as un léger sourire. Non pas que vivre avec Erin fût ennuyeux, mais tu étais heureux qu'elle se soit évadée le temps que Rahim soit là. Attrapant au hasard un des nombreux félins dont tu étais l'esclave, tu caresses Einstein en le serrant vaguement contre toi. Puis, tu remontes les manches de ton sweat-shirt aux références obscures geek, et tu achèves ta décoration. Depuis votre rencontre il y a avait presque trois mois, tu avais largement accroché avec Rahim : d'arrière-arrière-petit fils de Chichi, vous étiez devenus duo de gamers, mais également complotistes malicieux. Vous ne cessiez d'inventer mille et une façons d'ennuyer Bastian. Vous ragiez en coeur, au milieu de la nuit pour l'un d'entre vous, contre un boss trop difficile, contre Tom Nook ce sale capitaliste, et vous discutiez de beaucoup de choses. Tu ne t'estimais ni sage ni philosophe, mais de ce que tu savais de Rahim, tu étais désolé pour ce qu'il avait vécu jusque là. La vie d'éternel n'était pas sensée être rose ou belle, mais elle pouvait être douce. Ta constellation était ta famille, tu étais proche de chacun d'eux, particulièrement de certains, mais vous restiez soudés. Tu incluais Rahim dans ces membres : vous aviez assez en commun pour êtres devenus complices. Le revoir égayait ta journée. Tu achevas de mettre en oeuvre ta décoration de geek - tout ce dont vous aviez parlé, Animal Crossing en premier, mais aussi les autres choses que vous partagiez. Au moins c'était accueillant et à peu près rangé ; certes, ton bazzar informatique et technologique trônait à présent sur la table du salon, mais qu'importait ? Néons, affiches de films et de jeux vidéos, quelques figurines ...  Tu espérais que Rahim se sentirait chez lui. Le canapé avait troqué son vieux plaid pour ce qui se faisait de mieux en terme de literie ; hors de question que le pauvre Rahim se casse le dos. Tu avais hâte de le voir, et puis, la dernière fois que vous aviez fait une visio, il était au Danemark non ? Et il avait vu Bastian et Chi, un peu plus tôt dans l'année ; tu avais hâte d'avoir des nouvelles de tes deux frères de constellation.

T'avais commandé assez de nourriture pour douze, parce que tu étais piètre cuisinier et que tes étoiles ne cessaient de se moquer de la toxicité de la nourriture simple une fois qu'elle était tombée entre tes doigts. Tu te fis un café brûlant et, par acquis de conscience, tu t'installas à la table du salon, arrangée en atelier, où trônaient tes dernières inventions et travaux. Tournevis à la main, tu te mis à jouer avec tes bidules de geek, le temps que Rahim n'arrive, sifflotant doucement et de façon horriblement fausse - qui aurait cru que tu avais été musicien ? Personne, et encore moins les voisins. Tu mis ton téléphone en mode caméra, positionnée contre un bibelot, et souriant de toutes tes dents, tu te mis à enregistrer tes propres travaux. « Aujourd'hui, on essaye d'avancer sur la montre holographique. Mes derniers essais n'ont pas été concluants mais je n'avais pas pris en compte les données du réfléchissement. »

Près de la porte, deux chats t'observaient avec dédain. Ils avaient bien compris que quelque chose se tramait. Et ils n'aimaient pas ça. Tu étais concentré sur tes petits travaux, pour oublier ton impatience de retrouver Rahim, d'avoir quelqu'un à qui parler, de pouvoir jouer avec lui. Qui aurait cru qu'il descendait de Chiranth ? C'était un peu fou. Chiranth était plus jeune que toi, mais paradoxalement, pas physiquement. C'était une drôle d'histoire, et te retrouver devant son arrière-arrière-petit fils, c'était une démence généalogique. Surtout que Rahim était lui aussi une étoile. Repoussant tes cheveux en arrière, tu mis en pause la vidéo ; tu n'arrivais pas réellement à te concentrer. Tu avais toujours eu ce tempérament énergique, un peu fou, ce qui avait provoqué moqueries et affection chez tes pairs. Des idées délirantes plein le crâne, tu n'entendis pas tes chats miauler un peu plus loin, ni les bruits de couloir.