the misplaced optimism of the doomed (Lazarus & Gabriella)

Ça allait de mal en pis pour le bras droit du Conclave Écarlate. Après s’être fait rouer de coups à Saint-Pétersbourg par Eirik Aaronson, précédemment détenu dans une cellule et utilisé comme rien de moins qu’un rat de laboratoire, voilà que sa route recroisait celle de Salim Al-Amin au Musée du Louvre, l’immortel lui ayant sauvé la mise lors des attentats du 11 septembre. À l’heure actuelle, il n’espérait plus qu’une chose : avoir la paix, ne fut-ce que pendant une journée… ou, pour être plus réaliste, pendant au moins quelques heures. Avec son bras dans le plâtre et ses nombreuses ecchymoses au visage, il estimait mériter un petit répit. C’était d’ailleurs l’une des raisons principales qui l’avaient poussé à se réfugier dans la capitale française, secrètement gouvernée par le Conclave depuis un peu plus de deux cents ans. Rares étaient les immortels osant s’y montrer en plein jour, encore plus pour y exécuter leurs sombres desseins. S’ils s’y aventuraient, ils s’y terraient faute de mieux ou s’en servaient comme escale pour une destination moins dangereuse. Londres, par exemple, contrôlée par les Adorateurs de l’Hydre. Ou encore Saint-Pétersbourg, contrôlée par l’Ordre de l’Hydre, comme Lazarus en avait eu la preuve tout récemment.
Mais, Paris? Non, Lazarus n’y craignait pas pour sa vie. Il comptait justement y demeurer pendant quelque temps avant de retourner à New York, où l’attendait sa femme Cordelia. Quoique, elle l’avait informé l’autre jour qu’elle comptait enquêter en personne sur les documents volés du Vatican. Autrement dit, peut-être que les deux époux ne se reverraient pas avant un bon moment. Oh, Lazarus, ça l’arrangeait bien. Après avoir appris qu’elle l’avait trompé, avec une immortelle qui plus est, il ne se sentait pas d’humeur à tolérer sa présence près de lui. Il sentait que quelque chose s’était brisé entre eux depuis cette choquante révélation, et ce n’était pas pour lui plaire. Sans la froide et impitoyable Cordelia à ses côtés — celle qu’il considérait comme la vraie Cordelia — , il n’était pas certain d’être capable de venir à bout de tous ces immortels, n’en déplaise à son égo.
Enfin, aujourd’hui, il comptait profiter de son bref séjour en sol parisien pour se changer les idées. Le dos droit, la tête haute, il flânait dans l’immense propriété — un touriste parmi tant d’autres. Les arbres givrés encadraient son chemin, pavé d’une fine couche de neige fraîchement tombée. À présent, le silence reposait sur le Jardin du Luxembourg. Sa main libre, enfouie dans la poche de sa veste noire, effleurait du bout des doigts son fidèle Glock, prêt à servir. Juste au cas où. Par simple précaution. Son regard s’arrêta sur l’une des nombreuses statues semées çà et là. Il l’admira un moment, le regard perdu dans le vide. Il s’estimait heureux que ses deux jambes n’aient pas souffert de sa très charmante rencontre avec Eirik. Ce dernier s’était défoulé sur lui, sans la moindre merci, mais fort heureusement, il pouvait encore se déplacer par ses propres moyens. Ça aurait été diablement humiliant que d’être cloué à une chaise roulante, par exemple. Il songeait à sa bonne fortune quand il sentit soudain un corps se presser contre le sien, par-derrière. Il se crispa aussitôt, les dents serrées, bien qu’il ne laissât point paraître son trouble. Se serait-il réjoui trop vite? « Vous allez coopérer gentiment, monsieur Fawkes. Vous voyez la voiture noire à votre gauche, à quelques mètres de vous? Bien. Vous allez vous installer sur la banquette arrière, sans faire d’histoires. Vous avez rendez-vous avec une vieille amie que vous tardez vraiment trop à rencontrer. » Malgré sa gorge sèche, il parvint à articuler : « Une vieille amie? » « La Faucheuse. » Lazarus roula les yeux face à la théâtralité de la scène. « C’est gentil à vous de m’en informer. Et si je refuse de coopérer? » « Oh, je ne le vous conseille pas. » Le canon d’une arme à feu caressa la jointure de ses omoplates. « Vraiment pas. »
Lazarus ferma les yeux, une grimace aux lèvres. Nul doute que cet homme, à en juger par son timbre de voix, souhaitait l’achever dans un lieu désert, sans témoins gênants. Un assassin à la botte de l’Ordre de l’Hydre? Ou des Enfants de Prométhée? Qu’importait l’insigne qu’arborait cet homme. Monter dans cette voiture signerait son arrêt de mort. S’il souhaitait déjouer son agresseur, c’était maintenant ou jamais. Le seul hic, c’était son bras figé dans le plâtre. Si par miracle il parvenait à prendre le dessus sur l’autre homme, son impotence le gênerait dans ses mouvements. Que faire? « Ne m’obligez pas à me répéter, monsieur Fawkes. » À contrecœur, Lazarus avança d’un pas, puis d’un autre. Il marchait vers la potence, un pas à la fois.