Contre soirée (Agnès)

Un peu intriguée – et surtout flattée, ne nous voilons pas la face – par cette histoire de surprise, Neda suivit sa jeune amie dans ses quartiers, laissant les garçons entre eux. Enfin… un des garçons et la plante verte, pour ne pas dire légume, qu’était devenu Timo. Admirative de la candeur d’Agnès, elle songea qu’elles auraient plus de chance de les retrouver dans la même position que dans les bruns l’un de l’autre mais tint sa langue pour ne pas lui faire de peine. Il lui sembla entendre la douce voix mélodieuse de Mew au moment où elle passait la porte de la chambre, mais elle pouvait tout à fait l’avoir rêvé entre les hurlements qui passaient pour des chants dans la musique d’Agnès.

Placée bien en évidence l’attendait une robe accrochée sur un cintre. Elle commença à soupçonner que sa surprise était une manière polie de lui dire que sa tenue n’allait pas. Neda affronta ses récriminations en refermant son châle sur elle, en une piètre tentative de protéger ses vêtements des assauts de l’Immortelle. Ce n’était pas tant l’idée qu’Agnès parait à ses affronts à la mode mais plutôt l’idée de devoir retirer ce qu’elle portait et enfiler autre chose qui l’embêtait dans cette affaire. Il faisait froid et faire des efforts pour son apparence physique dans une réunion entre Immortels ne lui plaisait pas. Tout ce qu’elle souhaitait, c’était s’assoir et de ne plus bouger tant que personne n’avait besoin d’elle. Sans compter qu’elle n’avait même pas encore eu à boire ! « Ma chère amie, sache que l’on peut refuser un cadeau. » Commença t-elle après avoir poussé un petit soupir impatient. Cela dit, elle devait en effet reconnaitre que la petite avait un point, et un bon. On ne pouvait pas compter sur l’aïeul du groupe pour faire une bonne impression et si leur petite fête avait eu lieu chez elle, elle aurait sûrement glissé une des pilules de Curt dans sa boisson pour s’en débarrasser le temps d’apprivoiser Antonin. Un nouveau soupir lui échappa et elle se tourna vers Agnès pour lui caresser la joue. « Merci pour ce cadeau. C’est une très jolie robe. C’est toi qui l’a faite ? » Demanda-t-elle dans une capitulation qui se voulait élégante mais qui cachait surtout la justesse des arguments de son amie. « Bon, aide-moi à l’enfiler. » Ajouta-t-elle ensuite avec empressement en rejetant les pans de son châle.

Neda la sage prit le pas devant les paroles. « Tu devrais reprendre si tu aimes ça. De la manière que tu préfères. » De toute manière, les façons de faire modernes n’étaient pas forcément gage de qualité ou de plaisir. Qu’est-ce qu’on s’en fichait qu’elle utilise ou non cette fameuse machine ? Elle cligna des yeux comme un vieux chat en continuant d’occulter le tissu. « Ne perds pas ton temps avec des choses sans intérêts. » D’autant que si un comportement déviant aurait potentiellement – peut-être pu – lui attirer des ennuis voilà de cela un siècle, il était aujourd’hui encouragé, du moins dans cette société. « Je te fais confiance. » Eluda-t-elle en laissant retomber ses cheveux maintenant que la fermeture éclair avait été remontée. La brune se doutait bien qu’elle n’avait pas insisté pour la tirer de ses frusques juste pour le plaisir de la mettre dans pire encore. Rabattant son châle – sa côte de maille plutôt, destinée à lui permettre d’affronter la soirée – sur elle, elle secoua la tête à l’invitation de sa cadette. « Merci, mais je garde mes chaussures. » Et elle se laissa tomber sur le lit pour remettre lesdites chaussures avant qu’Agnès ait eu le temps de protester.

« Estimons-nous heureux s’il ne part pas d’ici en hurlant qu’il ne veut rien avoir à faire avec nous. » Répondit-elle en ajustant à nouveau les manches de la robe sur ses épaules qui décidément épousait son corps comme une deuxième peau. Prise d’une soudaine inspiration, elle se retourna vers Agnès avec un air concerné. « Il n’est pas trop tard pour glisser un somnifère dans le thé de l’autre vieux. » Elle avait tout prévu au cas où et pouvait mettre en place cette solution de secours en très peu de temps. Timo dirait bonjour au dernier membre de leur famille et serait pris de sommeil avant d’avoir pu lui faire peur. « Le gamin pourra toujours le rencontrer plus tard, une fois qu’il se sera fait à l’idée de nous. Tu n’as qu’un mot à dire et je m’en occupe. » Ajouta-t-elle dans le doute. Elle ne voulait pas que de simples scrupules l’arrêtent simplement parce qu’elle devrait composer avec l’autre momie dans les jours à venir.

Neda jeta un regard peu convaincu à Agnès dans le miroir. Son raisonnement lui échappait un peu mais elle ne voyait pas l’intérêt d’en débattre. La brune avait réussi à s’affirmer comme experte dans son domaine simplement en suivant ce qui l’intéressait et en en faisant le minimum pour pouvoir continuer. En l’occurrence, rendre des devoirs et passer des examens. Elle ne comprenait pas vraiment qu’Agnès s’impose ce genre de contrariétés lorsqu’il existait tant de manières de tricher. Mais avec elle, toute cette agitation faisait peut-être partie du jeu. Elle était assez grande pour choisir comment elle occupait son temps. « Hum. » Se contenta-t-elle de répondre, évitant de trop bouger pour laisser sa jeune consœur finir de la coiffer. Plusieurs souvenirs, entremêlés, de vies antérieurs se superposèrent à la scène actuelle. Inventés ? Réels ? Elle aurait été incapable d’en avoir la certitude, autant laisser la question retourner au néant dont elle était née. La seule chose dont elle était certaine, c’est que ce n’était pas la première fois qu’on l’habillait ou la coiffait. Et qu’elle aimait ça. « Ce n’est pas bien dur ces derniers temps. » Se moqua-t-elle en traitant ces derniers siècles comme s’il s’agissait de mois. Il y avait un moment que le vieil Immortel avait cessé de se préoccuper de l’image qu’il renvoyait au reste du monde. Ce qui pourrait porter préjudice à leur groupe si on le laissait mener la rencontre avec leur dernier membre.

Heureusement pour lui, il était dans les petits papiers d’Agnès. Elle voulait lui laisser une chance ? Très bien. Rien ne l’empêcherait de glisser un petit quelque chose pour l’envoyer au lit avant le dessert s’il commençait à leur faire honte. Et comme par magie, ses pensées trouvèrent échos dans la bouche de la petite. Neda se retourna vers elle avec un grand sourire. Il lui arrivait beaucoup trop souvent d’oublier à quel point elle le connaissait et savait le prendre. Même quand il s’agissait de se débarrasser de lui. Elle passa sa main autour de son cou pour ramener ses cheveux tressés sur son épaule puis agita la main comme pour balayer ses inquiétudes. « Crois-moi, il vaut mieux que ce genre d’affaire soit réglée au plus vite. Sinon, tu dois souffrir de siècles de nuits parasitées par les aventures de quelqu’un d’autres. » Bartholomew je crie ton nom, pirate de malheur… Elle s’approcha d’Agnès et prit son visage dans une de ses mains pour ranger une mèche rebelle derrière son oreille. Elle contempla un instant son joli visage en cœur avant de continuer. « A la longue, c’est très agaçant. Après ce soir, tout le monde pourra retourner à sa petite vie comme si de rien n’était. » Le regard de Neda se tourna vers la porte de la chambre. Mew et le petit dernier devaient avoir passé la porte maintenant. Elle ne voulait pas priver Agnès de son plaisir. C’était la première fois qu’elle assistait à une nouvelle arrivée. « Vas-y. » Souffla-t-elle en se retourna vers le miroir pour rajuster à nouveau son châle et sa tresse. « Ne rate pas ça. J’arrive. » Conclut-elle avec majesté. Même si ce qu’elle voulait vraiment, c’était surtout de soigner son entrée.