Oldfriend (Lupe)

Fin des cours, fin de journée. Lupe terminait de discuter avec quelques élèves, qui demandaient aussi des nouvelles de son collègue qui, aux dernières nouvelles, était en Haïti actuellement. Il sera de retour à l’université l’été prochain et l’immortel lui, ira vers d’autres horizons. Il n’avait pas encore décidé de ce qu’il ferait ensuite, il pensait peut-être prendre un mois, planqué dans une de ses safe houses ou alors même dans son quartier général. Peu importe, il avait encore du temps pour s’organiser, de plus outre sa collection de théières, ainsi que quelques livres et vêtement, Lupe n’avait pas grand chose dans son appartement qui lui appartenait. Le reste était une décoration du lieu, minimaliste et avec goût, s’il avait tenté de lui donner un petit peu de personnalité, c’était bien parce qu’il avait passé plus d’une année dans ce studio. L’unique raison que l’immortel avait opté pour le studio était la mezzanine qui servait de chambre avec la salle de bain au même étage et les grandes baies vitrées qui lui donné une vue sur la rivière. Non, même en tant qu’humble professeur d’université, il s’était fait plaisir, surtout après plusieurs années à dormir sur des lits de camp, avoir un vrai lit, un vrai chez lui, il avait cherché le confort avant tout. De plus, parler la langue lui avait donné un avantage pour négocier le loyer et un semblant de discrétion.

Lupe entrait dans le hall de l’immeuble, récupérant son courrier, le concierge le saluant avant de rejoindre l’ascenseur qui menait au dernier étage. Clef en main, perdue dans ses propres réflexions, il fronçait les sourcils quand il remarquait un parfum familier dans le couloir et ce dernier semblait être de plus en plus fort en s’approchant de la porte d’entrée. Il y avait quelqu’un dans son appartement, difficile de prendre par surprise l’immortel au sens surdéveloppés, même si son odorat était de loin celui qu’il affectionnait. La clef dans le verrou, il ouvrait la porte de l’appartement, valise posée contre un mur, parfum d’un thé dans l’air, mêlé à l’odeur auquel il avait fini par mettre un nom dessus. Un léger soupir s’échappant alors qu’il posait son sac sur la console, clef dans un petit bol en céramique, il pénètre dans la salle principale, main dans les poches alors qu’il trouve Agnès allongée sur la table, tasse encore entre ses mains, les lettres à ses côtés. Il y a sourire qui s’esquissait sur les lèvres de Lupe, même s’il voulait savoir comment elle l’avait trouvé et ce qui l’amenait à l’autre bout du continent en cette fin d’année.

Il avait une idée. S’il avait mis de la distance entre lui et les membres de la constellation, il ne pouvait pas échapper aux rêves pour autant, même si ça faisait trente-quatre ans qu’il n’avait pas eu une véritable nuit de sommeil et les seuls rêves dont il se souvenait été bien ceux où il avait aperçu la nouvelle étoile de leur constellation. Il décida de ne pas la réveiller tout de suite, rejoignant la cuisine afin de se faire un café. Noir, tout un pot en vérité, car il en aura certainement besoin. Pendant que la machine fait ses merveilles, enveloppant l’appartement avec l’odeur du café, Lupe traversé la pièce principale qui lui servait de salon et salle à manger pour regarder un instant par la fenêtre.

Un bruissement de feuille et grognement le faisait tourner en direction de la jolie brune. Ses yeux clairs derrière ses lunettes rencontrant ceux de son amie. « Bonsoir Agnès, j’ai vu que tu avais déjà pris tes aises, mais tu aurais pu t’installer sur le canapé, beaucoup plus confortable en cas de jet-lag. » Lui disait-il avec un léger sourire amusé. « Qu’est-ce qui t’amène ici ? »

« Jupaschémwa » Lupe traduisait cela en ‘je ne suis pas chez moi’ et non, en effet, elle n’était pas chez elle, mais puisqu’elle était entrée chez lui déjà, il ne lui en aurait pas voulu si elle avait décidé de s’installer sur le canapé plutôt que la table. Agnès n’avait pas changé, il n'était d’ailleurs pas surpris de la voir elle, c’était elle que l’immortel avait choisi pour donner des nouvelles aux membres de la constellation, aussi vague soient-elles. Et puis, il imaginait bien que Timo ne serait pas du genre a provoquer ce genre de visite, ce dernier aussi tenait à sa solitude. Neda aurait pu l’accompagner, mais elle était certainement celle qui connaissait le mieux Lupe et donc celle qui savait qu’il serait venu les voir s’il avait un vrai problème, comme elle savait qu’il n’était pas missing in action pour rien. Mew, devait certainement être déçu de ne pas avoir été celui avec les nouvelles, les deux immortels ayant toujours eu un lien fort. Oui, Agnès était celle qui le connaissait le moins, donc pas de scrupule à lui en coller une ou deux, comment ayant la distance nécessaire pour être objective. Agnès, par contre, était la seule des quatre à savoir pour Clarence. Et c’était pour cela qu’il l’avait choisi, lui.

« N’insulte donc pas le café de ton hôte, commentait-il en éclatant de rire, je te prépare une tasse, tu pourras ajouter le reste. » Répondait-il avant de la laisser s’installer dans le canapé avec la couverture qui traînait, pendant que lui retournait côté cuisine afin de leur préparer deux tasses, il préparait aussi un petit plateau avec du sucre de canne et de la crème afin que la jeune femme puisse mettre les doses qu’elle voulait. L’odeur du café lui rendait son sourire un instant, retournant sur ses pas pour tendre la tasse à la jeune femme, déposant le plateau sur la table basse.  

« Y’a un nouveau. - Je sais. » Répondait-il dans un ton presque solennel, retenant le ‘et donc ?’ qui lui brûlait les lèvres. Ils étaient capables de le trouver à quatre, et bien entendu, s’il avait été dans la région, Lupe aurait aidé, mais il n’avait pas eu cette impression. Lupe s’installait sur l’autre partie du canapé en angle, sa tasse de café à la main. « Si tu es ici, je suppose que c’est parce que vous faites une réunion. » Et qu’elle venait lui demander de venir et là tout de suite, il ne pensait pas que c’était une bonne idée. « Comment tu as eu l’adresse ? Et ne me dis pas que c’est parce que tu as demandé aux gens dans la rue s’ils avaient vu un brun d’un mètre quatre-vint seize. » Même si l’image le fait sourire, ça n’aurait pas été très efficace, sauf peut-être une fois dans le quartier, du coup ensuite, elle aurait trouvée l'immeuble, puis une fois dans le hall le numéro d'appartement, mais pour atterrir dans le bon quartier il fallait beaucoup de chance ou d’instinct, même en sachant dans quelle ville le trouver. « Outre le jet-lag, t'as l'air bien. » Ajoutait-il avec un sourire dont lui seul avait le secret.

« J’ai fait marcher le milieu, comme on dit. - Je vois. » Répondait Lupe amusé, se doutant bien que la demoiselle ne manquait pas d’astuces lorsqu’elle souhaitait obtenir quelque chose. Il fronçait les sourcils, alors qu’il la regardait verser presque la totalité du sucre qu’il lui avait servi dans son café, en ajoutant de la crème, transformant le café, en un mélange sucré comme aimer les jeunes de son université. Il ne fit aucun commentaire, son expression d’elle-même et puis de toute façon, ce n’était pas une tasse qui lui était destinée. Et puis c’était ouvrir une porte pour que la jolie brune le traite de boomer ou autre insulte dédié aux personnes de son âge. Il pourrait protester, il faisait le même genre de mélange avec certain thé, donc s’il était un puriste pour le café il l’était moins avec le thé. C’était quand même beaucoup de sucre. Réflexion qui ne l’avait pas empêcher le récit de sa camarade, même s’il avait un doute sur la possibilité qu’il y avait des étudiants qui voulait savoir où il été passé. Ou plutôt peut-être qu’il avait un peu peur de tous ses élèves à qui il avait partagé son savoir et un peu d’inspiration, pour ensuite partir sans laisser d’adresse, simplement des souvenirs. C’était aussi cela la vie non? Lupe pouvait comprendre l’envie de rester connecté, mais il avait parfois l’impression que c’était une illusion si on ne faisait pas un petit effort de venir demander des nouvelles, écrire des lettres, des cartes postales. Pour donner des vraies nouvelles et pas un simple statut sur Facebook ou autre réseau social sur lequel il refusait de se mettre.

Agnès n’avait pas répondu à sa supposition, exprès ou non, ce n’était pas vraiment important pour le moment. Ça l’était, mais il n’était pas pressé, et puis il espérait qu’elle lui donnerait bien quelques jours pour s’organiser si elle s’attendait à ce qu’il accepte de venir avec elle. Après, elle était peut-être ici pour une autre raison, mais on ne fait pas tout un voyage au bout d’un continent pour prendre des nouvelles de quelqu’un qui ne voulait pas être retrouvé. Il prenait une gorgée de son café, avant que les yeux d’Agnès plonge dans les siens, « Ouais, j’vais bien. Toi aussi t’as l’air bien. T’as l’air mieux. » Son regard malicieux se voilait un instant, alors que la tasse venait se poser dans la paume de sa main libre. « Je vais mieux, oui. » Est-ce qu’il été au top de sa forme, peut-être pas, les années de solitudes avaient un peu pesé sur lui, en plus de sa culpabilité et son combat contre ses propres démons, mais son deuil, il avait fini par le faire, même si ça restait douloureux, évidemment, ça le restera. Lupe avait perdu d'autres personnes dans sa vie, mais c'était bien là le lot des immortels, ils continuaient à vivre et évoluer dans son monde où le passage sur terre n'est qu'éphémère, même lui un jour mourra pour de bon. Et Lupe avait fait attention depuis sa dernière mort traumatique, que ça ne se passe pas aussi souvent, il était devenu plus prudent et surtout il faisait en sorte de ne pas laisser les personnes trop s'attacher à lui, pour ne pas qu'ils viennent à leur tour prendre une balle perdue pour lui.

Ravalant sa salive, l'image de Clarence mortellement blessé lui revenait en mémoire, il secouait la tête, tapotant des doigts sa tasse, alors qu'il croisait de nouveau les prunelles d'Agnès toujours braquées sur lui. « Tu disais que tu n'avais pas le temps pour du tourisme, mais tu vas bien pouvoir au moins faire un petit tour de la ville, je pourrais t'amener voir le lac et la pagode si tu veux. » Changement de sujet, parce que parler de Clarence ça restait douloureux, parce qu'il ne voulait pas parler du reste non plus. Il préférait qu'elle lui donne des nouvelles de tout le monde et si elle était venue le chercher pour une réunion, il comptait sur elle pour avoir des arguments en béton, car il était déjà prêt dire non.