queendom of cards (cordelia)

[001] Les Graves sont parmi les premiers colons anglais à faire de New York ce qu'est actuellement New York. Fondateurs de la Trinity Church, mécènes du King's College, fers-de-lance des Fils de la Liberté, ils s'implantent dans toutes les strates de pouvoir et font prospérer leur fortune bourgeoise à ne plus savoir qu'en faire.

[002] Introduit au Conclave par le biais du roi anglais George III, Charles Graves, l'ancêtre de Cordelia, se voit confier la bonne installation de l'antenne nord américaine lorsque les Treize Colonies déclarent leur indépendance. Les Graves n'en délogeront plus, et élèveront chaque génération pour assurer la relève de la précédente sans que le flambeau ne s'éteigne jamais.

[003] Les Graves ont connu leur lot de pasteurs, de théologiens et de prédicateurs. A ce titre, Cordelia est baptisée protestante et est d'ailleurs une paroissienne fidèle de l'Église épiscopale des États-Unis. Tous les dimanches matins, et autant que son emploi du temps lui permet, elle se rend religieusement au culte de la Trinity Church. Cela dit, son rapport à la foi s'intrique de manière complexe : tout ce que condamne l'Église, Cordelia y goûte sans peur des conséquences, et plutôt avec l'intime conviction que, sans avoir la prétention de le faire au nom de Dieu, elle orchestre selon ses desseins.

[004] C'est une surdouée. Au sens strict. Elle a fini son secondaire à quinze ans, et était doctorante à vingt-et-un ans. Sa thèse portait sur l'utilisation des nanoparticules pour combler la dégénérescence tissulaire dans le cas de maladies dégénératives. Le prix de ce génie, c'est que Cordelia n'a pas eu d'enfance : constamment flanquée par une armée de précepteurs et obsédée par la course à l'excellence, elle est devenue cette sorte de monstre dépourvu d'affect, d'innocence, de chaleur et de compassion. Au point que le sort d'autrui lui est désormais proprement indifférent, et qu'elle se croit même plus légitime à décider pour les faibles d'esprit. Pour tout. En tout. Et autant que ça soit clair : ils sont peu, ceux qui, comparés à elle, ne le sont pas.

[005] Comme son parcours académique, celui que Cordelia trace au sein du Conclave est stellaire, et impeccable. Depuis qu'elle en est à la tête, elle s'échine d'ailleurs à lui rendre ses lettres de noblesse, et pour ça, il n'y a aucun immortel trop innocent, trop humain, ou trop insignifiant à écraser. Et plutôt en grandes pompes, que dans le plus assourdissant des silences. Que tous les craignent, qu'aucun ne se sente à l'abri, car plus qu'aux mortels, le monde lui appartient à elle. Ils feraient bien de s'en rappeler.

[006] Cordelia est directive, obsédée par le contrôle, et méfiante au point d'en friser la paranoïa. Elle porte des vêtements en kevlar réfléchissant, a deux traqueurs gps sous la peau, garde toujours un couteau suisse et une arme à feu dans une poche intérieure, quand elle n'est pas simplement encadrée par quatre de ses gardes du corps. Dix ans qu'elle est à la tête du Conclave, et autant d'années que les chassés-croisés avec l'Hydre et Prométhée grondent. Son corps serait déjà froid, si elle avait eu l'insolence de laisser son destin aux mains du hasard.  

[007] Pour combler ses angles morts, il y a Lazarus Fawkes. Son mari. Et sans doute la seule personne à qui elle fasse confiance en ce bas monde. C'est qu'il s'est prouvé à elle et qu'elle s'est prouvée à lui, de sorte à ce qu'ils soient à jamais rivés l'un à l'autre par des liens plus résistants encore que celui du mariage. Ou de l'amour. Il y en a pourtant eu, de l'amour. C'était même le premier. Et le seul. Mais le temps érode tout, et, sans donner de quoi se nourrir à leur passion, elle s'est éteinte de concert avec leurs espoirs d'avoir un jour des enfants à offrir au Conclave.

[008] Depuis qu'à ses cinq ans, son père a commencé à lui parler des immortels, ces derniers n'ont eu de cesse d'hanter un carré de sa tête. A leur endroit, Cordelia trouve de la haine, oui. Une haine familiale plusieurs fois centenaire que ses parents ont pris correctement la peine de ficher bien au fond de son crâne. Mais il y a aussi quelque chose de plus subtile qui lui surine les instincts, une sorte de curiosité bâtarde et obsessive qui, plutôt que d'éliminer les immortels, voudrait disséquer chaque morceau d'éternité pour en percer les secrets. Pourquoi eux ? Et pourquoi pas elle ?

[009] Si Cordelia a un set de compétences très variées, son plus grand atout demeure l'érudition. Sans même citer ses recherches en biologie cellulaire, sa résilience fait qu'elle est capable d'ingérer tout et n'importe quoi. Elle parle ainsi sept langues (français, latin, arabe, chinois, espagnol, anglais et russe), connaît chaque modèle d'arme qui existe ou a existé, a étudié les tactiques militaires de plusieurs pays, pourrait citer la Constitution au mot près, ... La liste est longue, et n'en finirait jamais, tant le puits va profond.

[010] Depuis l'incident du Vatican et la fuite de son sujet zéro, Cordelia fait une fixation sur Amaranth Pharamceuticals et sur sa fondatrice, Elizabeth Abbott, dont elle a promis d'installer la tête au bout d'une pique. Nul ne trahit le Conclave sans en payer le prix, répète-t-elle. La vérité, c'est plutôt que Cordelia ne supporte pas bien d'avoir été supplantée par cette dernière. Dans tous les domaines. C'est la première fois que son égo est à ce point blessé, et ça la rend erratique. Impulsive. Plus qu'elle ne l'a jamais été. Comme si elle s'échinait, par tous les moyens possibles, à rétablir une sorte d'équilibre, ou à prouver sa valeur véritable.