Ain't no party like my nana's tea party (Timo)

La sonnerie du téléphone sortit Neda de sa rêverie. Elle cligna des yeux comme une chouette, avisa l’antiquité entre ses doigts, le bureau, et réintégra le XXIe siècle avec la même grâce qu’un lendemain de cuite. Pendant un instant, elle s’était abimé dans une vision de désert brûlant, de nuits aux étoiles brillantes et de murs aux mille et une couleurs sans savoir si c’était le souvenir d’une autre vie ou d’un documentaire Arte. De l’autre côté de la ligne, le directeur du département venait s’enquérir de son étude et de sa date de rendu. Elle papota l’esprit ailleurs, raccrocha et décidé de s’arrêter là pour la journée. L’impression de s’être mal réveillée d’un cauchemar tenace lui mettait l’âme à l’envers et elle eut très envie d’être n’importe où ailleurs qu’ici. Un peu d’air frais faisait parfois des miracle, songea-t-elle en enfilant son manteau et en fermant l’office derrière elle.

L’instant d’après, Neda se surprit à retirer une antique bouilloire du feu chez Timo sans se souvenir d’avoir marché jusque-là. « Qu’est-ce que… ? » Confuse, elle regarda autour d’elle le décor familier puis céda un instant à l’incompréhension avant de se dire que, cette fois c’était sûr, sa mémoire était bonne pour la retraite. Elle remplit d’eau la théière clairement préparée par ses soins et la ramena au salon sur un plateau, avec deux tasses. Timo y était, pas plus choqué que ça de la voir chez lui – mais d’un autre côté, plus rien ne le choquait plus à présent, alors… La brune servit le thé et se cala confortablement dans le fauteuil. « De quoi parlions-nous ? » Demanda-t-elle dans leur patois habituel.

Utile, comme toujours.

Neda souffla sur sa tasse de thé en fouillant sa mémoire immédiate à la recherche de comment elle était arrivée là. Mais si ç’avait été la solution à son problème, elle s’en serait rendu compte depuis bien longtemps. Tout comme espérer un peu d’aide de la part de Timo. Elle haussa les épaules pour toute réponse et fronça les sourcils en l’entendant lutter avec son vocabulaire. « Souvenir », compléta-t-elle in petto à sa place avant d’avaler une gorgée brûlante à souhait. Ah, ils faisaient la paire tous les deux ! A se demander pourquoi ses pas l’avaient menée chez lui. Qu’espérait-elle trouver ? Vu que ce n’était clairement pas du soutien. La brune aurait pu se faire assassiner sous ses yeux qu’il n’aurait pas levé le petit doigt pour l’aider et aurait sûrement eu du mal à lui dire ce qui s’était passé après coup. Peut-être la tranquillité et le sérénité d’un foyer familier, réconfortant et rassurant. Comme un vieux fauteuil confortable empli de nostalgie, dont les ressorts ressortaient de la pire manière mais qui rappelait des temps heureux où rien ne pouvait nous atteindre si on s’y blottissait. Elle fronça le nez en le voyant ouvrir et fermer la bouche dans une piètre tentative de communication. Le pire, c’est que Timo ne devait même pas faire exprès de la torturer en étant incompréhensible. Si c’était à ça qu’elle ressemblait quand elle cherchait ses mots, elle plaignait ses interlocuteurs. Neda claqua sa langue brûlée pour l’éprouver puis demanda, de plus en plus confuse : « Ramené quoi ? »

Timo répéta encore son manège comme un mime incompris, tirant à Neda un profond soupir d’exaspération en voyant qu’il ne faisait pas le moindre effort. « C’est ton thé, vieille carne. » Lâcha-t-elle avec un aplomb qu’elle n’était pas en droit d’user en saisissant enfin le sens de ses gesticulations. Après tout, que savait-elle du chemin qu’elle avait pris pour arriver ici ? Quoique… elle avait sûrement dû s’épargner un crochet par la maison, faire un détour pour du thé ne lui ressemblait pas. Elle admira sans le montrer la grâce avec laquelle il s’affala dans son vieux sofa sans s’offrir une douche de thé puis retourna à ses pensées. « Mh. » Fut sa seule réponse à sa question aussi vague que l’océan. Est-ce qu’il voulait vraiment entendre ce qui occupait ses journées ? Neda en doutait et, dans le doute, préférait garder son énergie à autre chose que deviner ses questions. Un jeu auquel elle était très mauvaise tant Timo était confus et difficile à suivre. Est-ce qu’ils ne pouvaient pas simplement boire leur thé en silence ? « Curt ? » Proposa-t-elle en levant un sourcil interrogateur. « Il n’est pas mort. » Le détrompa-t-elle en se redressant sur son assise. « Mais ce n’est plus qu’une question de temps à présent. » Faire l’autruche à ce sujet ne servirait à rien. « Il va falloir que je vérifie l’état de sa succession si je ne veux pas avoir à trouver une nouvelle maison. Et j’aime bien ma maison. » Ajouta-t-elle avant de jeter un coup d’œil autour d’elle qui en disait long sur ses sentiments vis-à-vis de celle de Timo. Du menton, elle désigna l'écran qui trônait face à eux. « À quoi occupais-tu ta journée ? »

Neda dut réfléchir un instant à sa question, prise d’un doute avant de se souvenir. « Non, aucun. » Et il n’en avait jamais voulu, ce qui l’avait toujours étonné tout en l’arrangeant. Ses affaires se compliquaient toujours lorsqu’il y avait de la famille trop curieuse qui venait s’occuper de ce qui n’était pas leurs oignons. A poser des questions, à s’étonner ou murmurer sur son compte pour lui rendre la vie compliquée. Avec le concours de Curt, rien ne l’empêchait cette fois-ci – et grâce à des efforts sur plusieurs années – de garder sa vie telle qu’elle l’était en se faisant passer pour sa petite fille, d’autant que tous les gens qui auraient pu sourciller devant sa ressemblance troublante d’avec sa « grand-mère » étaient une espèce en voie de disparition.

Neda baissa les yeux sur la manette entre ses mains puis les remonta sur l’écran avec un air dubitatif. Lui avait l’air d’apprécier énormément ce « jeu » à qui il dévouait un grand nombre de ses heures. Prudente, elle posa l’objet sur ses genoux et appuya au hasard, tous index pointés, sur les touches, n’importe comment sans savoir ce qu’elle faisait et en se sentant de plus en plus idiote. On ne pouvait pas voir où on allait quand on changeait de direction et l’objet vibrait régulièrement sur ses genoux dès qu’elle se heurtait à un obstacle ou un ennemi dans sa course folle sans queue ni tête. Son petit personnage passa par-dessus bord sans qu’elle ne sache ni pourquoi ni comment cette falaise était arrivée là. « Mh. » Commenta-t-elle en voyant Game over apparaitre à l’écran. « En quoi est-ce censé être amusant ? » Qu’est-ce qu’il pouvait trouver à ce jeu ? Qu’il y passe des heures la laissait perplexe, que ce soit considéré comme un des meilleurs jeux de la décennie, encore plus. Elle lui rendit la manette et reprit sa tasse de thé. On se demandait pourquoi les gens étaient de plus en plus paresseux mais on les divertissait avec des jeux qui n’apportaient rien.

Neda lui jeta un regard éteint pour toute réponse et le laissa débarrasser ses mains de cet objet qui lui était parfaitement inutile. Elle avait déjà entendu dire que ce genre de jeu brûlait la cervelle des plus jeunes. A voir Timo, elle aurait tendance à aller dans le sens de cette accusation même si ses millénaires de vie pouvaient aussi avoir à faire à la décrépitude de ses capacités. Elle planta sa joue sur son point, le regard posé sur lui sans le voir et éteignit son cerveau en comprenant qu’elle ne souhaitait pas faire l’effort de donner du sens à l’enchevêtrement de mots sortant de la bouche de son ancien compagnon. A la place, la brune laissa vagabonder son esprit vers ses préoccupations du moment qu’elle hésitait à partager avec lui. Elle n’était pas certaine de pouvoir tirer un avis – ou juste de l’intérêt – de sa part mais au moins s’en ouvrir à lui à haute voix lui permettrait sans doute d’y voir plus clair. « Quoi ? » Demanda-t-elle d’un ton mal embouchée, irritée d’être aussi rudement sortie de ses pensées. « Pourquoi tu… ? » Et voilà que le mot qui échappait à nouveau. Elle claqua des doigts comme pour sommer au mot de revenir occuper sa juste place dans sa phrase. « Aufregst ? »