One night together (Alastair & Livna)

does it almost feel like nothing's changed at all ?

(DECEMBRE 2021) Elle est fatiguée, Livna. Elle a l'impression que toute sa vie part en vrille, comme si le karma avait décidé de lui coller une gifle violente et de continuer à la tabasser alors qu'elle est déjà par terre. La cellule est fraîche, le banc inconfortable au possible, et en dépit de l'épuisement et des cernes immenses sous ses yeux, elle se trouve dans l'incapacité totale de dormir, ne serait-ce que vingt minutes. Sa jambe continue de tressauter nerveusement alors qu'elle observe fixement le plafond, ses bras sont croisés sur sa poitrine et ses doigts serrent furieusement le tissu élimé de son pull.

Une histoire de vol. Elle n'a jamais rien volé de sa vie — même pas alors qu'elle n'a pas de toit sur la tête et à peine vingt livres dans la poche. Mauvais endroit au mauvais moment, elle en est sûre, et a même enjoint au flic qui l'a embarquée de vérifier les caméras de surveillance du magasin, s'il n'y avait que ça. Elle n'a rien à se reprocher, et pourtant. Elle attend encore. Peut-être devrait-elle se montrer reconnaissante d'avoir pu garder son tichel sur la tête, même s'il a fallu qu'elle le défasse un moment, juste histoire de prouver qu'elle n'avait rien dedans.

Livna soupire, mais le bruit d'une porte métallique qu'on ouvre lui fait redresser la tête. Il y a un flic derrière, qui pousse un homme dans la cellule, auquel elle n'accorde que peu d'attention. « Um, et moi ? Ca en est où ? » Le policier se contente de secouer la tête, et elle se rapproche des barreaux alors qu'il ferme la porte derrière lui. « Hé, attendez ! Il faut que je sorte de là ! »

Silence. Elle se retient, difficilement, de coller un coup de pied dans les barreaux et se contente de retourner vers le banc, sur lequel elle se laisse tomber lourdement. Elle n'a plus qu'à prier que son incarcération, bien que temporaire, ne remonte aux oreilles de personne. Hors de question qu'elle retourne à son ancienne vie. C'est peut-être ça qui lui fait le plus peur.

(DECEMBRE 2021) Titubant. Grognant. Tendu. Revêche. La panoplie du sale enfoiré ne dégonfle pas malgré les menottes enserrant mes poignets. La gueule amochée et le goût agréablement ferreux noyant mon palais, j’me repais de l’ankylose générale d’ma carcasse échauffée alors qu’on m’pousse jusqu’à la cage temporaire. Ouais, temporaire, parce que c’est qu’une question d’heures avant qu’on m’sorte de là. Violence sur flicaille ou pas, j’ai l’nom bien trop pesant pour qu’on m’garde entre ces murs ternis et froids. Comme moi. J’aurai p’t’être aimé qu’ils soient ma dernière demeure, mon putain d’cercueil. Mais la malédiction continue ses efforts à m’faire subir ses macabres vices, encore et encore.

C’est pas grave ; les jointures esquintées, ouvertes et sanguinolentes me suffisent à inhaler l’odeur du soulagement. Aussi infime soit-il, la silhouette s’apaise aux souvenirs récents d’la violence déchargée. Le karambit m’a été confisqué, juste à temps avant qu’un de leurs collègues ne succombe à sa lame. Goût amer d’inachevé, j’me contente de l’adrénaline qui tâtonne encore mes veines alcoolisées. Ingrat prisonnier, insultant et irrespectueux, la voix grave et lasse tonne un « J’ai pas fini mon verre, fils de pute. » caverneux. C’est le whisky qui prime, ce dernier qu’j’ai laissé à regret sur le comptoir quand la rixe a débuté -sûrement d’ma propre volonté-. Intervention des forces de l’ordre dont j’me questionne encore sur la source de cette putain d’appellation à la con. Forces, quel genre de faiblard ‘faut être pour s’prétendre ainsi, uh ?

« T’en profiteras pour décuver, O’Connor.  », seule répartie fendarde de l’uniforme qui m’arrache un rire gras et mauvais. Secousse toquée d’la tronche comme un clébard blindé d’puces qui s’ébroue. Mes fringues sont bons à jeter, c’est c’que j’me dis en faisant l’inventaire une fois avachi sur l’un des bancs, quand une voix féminine se lève et résonne. Les iris de zinc se redressent sous une arcade fendue. Elle a la silhouette, l’allure et l’aura d’une femme. Seulement d’une femme, mais pas d’elle. Reniflement de déception et le nez se retrousse dérisoirement, laissant le stoïcisme de ma trogne intact. Les hallucinations continuent d’me hanter malgré les années qui filent et les souvenirs qui s’effritent. Les dents grincent d’rester prisonnier d’ce carcan d’antan, pendant qu’les orbes, elles, examinent la femme… « Meilleur argument pour sortir de là, quand on est du mauvais côté des grilles… Continues. J’suis sûr qu’t’y arriveras. », sarcasme fatigué, la voix soupire presque sa moquerie harassée quand les coins d’bouche s'affaissent dans une moue faussement impressionnée. Premier contact toujours aussi chaleureux…